«Beaucoup de patientes qui prennent la décision du sans péridurale veulent voir ce que l’accouchement procure comme sensations et douleurs.» © Getty Images

Le retour en force du «sans péridurale»: «Accoucher n’est ni un concours ni une épreuve de force» 

Réseaux sociaux, livres, médias, forums: l’accouchement sans péridurale est partout. Méfiance envers la (sur)médicalisation, désir de retrouver les sensations de son corps, aspiration au naturel ou à l’empowerment: les motivations de cette tendance –plutôt constante ces dernières années en Belgique– sont multiples.  

«J’ai voulu vivre pleinement la naissance de mon fils», confie Elodie, 31 ans. Maman d’un petit Elio depuis un an, la jeune femme a accouché sans anesthésie péridurale. Si le recours à cette dernière reste la norme en Belgique, le rapport «Santé périnatale en Région bruxelloise Année 2023» du Cepip, le Centre d’Epidémiologie Périnatale, montre une proportion d’accouchements sans intervention ni anesthésie loco-régionale (dont les accouchements sans péridurale) relativement constante. En 2014, ils étaient 16,2%, 17,8% en 2017 et 16,2% en 2023. En Wallonie, ce chiffre se stabilise après avoir augmenté de 2014 à 2019.  

Mais, localement, des écarts peuvent être importants et «on ne peut pas connaître la proportion d’accouchements sans péridurale par choix parmi ces statistiques», précise Frédéric Debiève, président du Conseil d’administration du Cepip. Chef du service d’obstétrique des Cliniques universitaires Saint-Luc, il a pu néanmoins constater «une petite augmentation des accompagnements sans péridurale». En cause notamment? Des motifs médicaux qui contre-indiquent l’anesthésie. «Il peut s’agir de problèmes de coagulation ou des maladies du sang avec des risques hémorragiques, car, lors d’une péridurale, un petit vaisseau peut être blessé», précise le médecin. 

Parfois, le refus de la péridurale est un choix. Comme pour Elodie, mais aussi pour Maurine, 30 ans. Cette responsable de prestations en informatique prévoit d’avoir un bébé avec son mari dans les prochains mois. Pour elle, la question de l’accouchement sans péridurale s’est posée à la suite d’une mauvaise expérience à l’hôpital. «J’y suis restée huit heures sans que personne ne vienne s’occuper de moi. Ce n’est pas un endroit qui me rassure et où j’estime que le personnel a les moyens de prendre soin.» Frédéric Debiève contextualise: «Beaucoup de patientes qui choisissent le sans péridurale veulent éprouver directement les sensations et la douleur de l’accouchement. Mais ce n’est pas un rejet du monde médical, contrairement à celles qui refuseraient le monitoring du bébé».  

«Pendant le confinement, on a pris goût à faire son pain, à cuisiner. Dans mon cas, cela s’est prolongé avec l’idée d’une naissance la plus naturelle possible.»

Une envie de découvrir l’accouchement tel quel 

Pourtant, depuis la crise du Covid, les accouchements sous masque et sans visites possibles, ainsi que le débat sur les violences obstétricales, une certaine méfiance vis-à-vis du corps médical a pris de l’ampleur. Et avec elle, l’envie d’un retour au naturel. «Pendant le confinement, on a pris goût à faire son pain, à cuisiner. Dans mon cas, cela s’est prolongé avec l’idée d’une naissance la plus naturelle possible», se souvient Elodie. Mais Frédéric Debiève le rappelle: «La médicalisation a fait chuter la mortalité périnatale. Un minimum de surveillance reste indispensable, car lorsque l’accouchement se passe mal, l’issue peut être dramatique».  

Sur les réseaux sociaux, les publications sous le hashtag #accouchementnaturel se sont depuis multipliées. Sur Instagram, elles sont au nombre de 50.000. De quoi avoir une incidence sur l’attrait pour l’accouchement sans péridurale, notamment des jeunes femmes. «Ce sont souvent des personnes urbaines, éduquées, issues des classes moyennes supérieures qui prônent un retour aux sources», contextualise Audrey Van Ouytsel, docteure en sociologie, thérapeute et professeure à l’UCLouvain.  

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Parmi les motivations d’Elodie et de Maurine, viennent en effet une recherche d’authenticité et un retour aux sensations. Une tendance globale qui se manifeste aussi par le recours croissant aux doulas (accompagnantes morales, émotionnelles et pratiques), parfois influencé par des traditions religieuses et patriarcales. «Il peut y avoir l’idée que la maternité s’éprouve dans une douleur rédemptrice», constate la docteure en sociologie. A contrario, on peut trouver chez les jeunes ou futures mamans le souhait de se réapproprier son corps, dans une logique féministe, d’empowerment. C’est le cas d’Elodie: «Je souhaitais être actrice de ce moment et je pense qu’il y a un avant et un après l’accouchement, d’autant plus sans péridurale. Pour moi c’est un passage et, dans les coups durs, un rappel que j’ai des ressources insoupçonnées». 

Mais il n’y a pas que les jeunes femmes qui sont concernées par la tendance. Et pour cause, les grossesses sont de plus en plus tardives. «Il y a aussi des femmes pour qui tout s’est bien passé lors de leur premier accouchement et qui souhaitent voir comment cela se passe sans péridurale», constate Frédéric Debiève. 

«Certaines patientes étaient dans un tel état de fatigue et de souffrance à la naissance de leur bébé qu’elles n’ont pas voulu le prendre dans les bras.»

Envisager tous les cas de figure: le maître mot

Pour le chef de service, l’important dans le choix de l’accouchement naturel, s’il est possible, est l’envie de la patiente. «Il faut éviter que de pseudo-explications viennent influencer le choix, en prétendant que le sans péridurale serait meilleur pour elle ou l’enfant», insiste-t-il. Mais pour Audrey Van Ouytsel, il est important de préciser que même si la péridurale soulage, «il peut y avoir des effets secondaires sur la mobilité, la récupération post-accouchement, avec des risques de paralysie du bas du corps à moyen terme».  

Pour être préparées à toutes les éventualités et rester flexibles, les futures mères doivent être informées et anticiper pour pouvoir s’adapter le jour J. Autrement, l’accouchement peut se révéler traumatisant. «Certaines patientes étaient dans un tel état de fatigue et de souffrance à la naissance de leur bébé qu’elles n’ont pas voulu le prendre dans les bras. D’autres ont dû avoir une césarienne sous respirateur en urgence et ont manqué la rencontre avec leur enfant, ce qu’elles regrettent», relate Audrey Van Ouytsel.  

La sociologue le rappelle: ne finalement pas avoir recours à la péridurale n’est pas un échec. C’est aussi ce que répète Frédéric Debiève à ses patientes: «Accoucher n’est ni un concours ni une épreuve de force. Cela doit rester un moment où l’on se sent bien. Si l’on s’épuise, si le bébé est mal placé, trop gros ou se présente avec le cordon autour du cou, il faut voir les alternatives». L’accouchement d’Elodie, lui, s’est passé comme espéré. Pour son deuxième enfant, elle compte retenter l’aventure sans péridurale, avec cette fois-ci un accouchement à domicile. 

Marion Bordier 

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