Les placebos exercent une véritable influence sur la perception des symptômes. © Getty Images

La puissance des placebos: «Les effets de nombreux médicaments sont surestimés»

L’esprit humain est capable, bien plus qu’on ne le pense, d’influencer les symptômes et les sensations corporelles par une foi profonde dans le traitement. La médecine moderne pourrait-elle mobiliser plus consciemment l’effet placebo?

Des rides du front qui s’effacent comme par magie, sans intervention chirurgicale? Ce miracle ne concerne pas seulement les reines colériques des contes de fées. Dans ses recherches sur le Botox à visée esthétique, le chirurgien plasticien Benoit Hendrickx est récemment tombé sur une étude frappante: un groupe de volontaires avait reçu de véritables injections du relaxant musculaire, un autre seulement de l’eau. Aucun des deux groupes n’avait connaissance de la substance administrée. Le constat fut surprenant: «Chez les patients ayant reçu le véritable traitement au Botox, une amélioration objective a été observée, explique Benoit Hendrickx, mais environ 30% des volontaires du groupe « eau » fronçaient également moins fort le front, et ce de manière mesurable, même quatre mois après le traitement.»

Que l’esprit puisse exercer une influence puissante sur notre corps ressort de nombreux récits fascinants: des symptômes qui disparaissent soudainement dès qu’une personne a pris rendez-vous chez son médecin généraliste, jusqu’à l’étude pionnière de 2002 menée auprès de patients souffrant d’arthrose du genou: un groupe avait subi une opération factice (le chirurgien pratiquait une petite incision, sans effectuer d’intervention), l’autre une arthroscopie réelle. Le résultat a, cette fois, suscité bien des froncements de sourcils: les deux groupes ont éprouvé un soulagement de la douleur tout aussi important.

«Plus surprenant encore, les placebos peuvent montrer la même efficacité lorsque les patients savent qu’ils prennent une pilule dépourvue de principe actif», explique Omer Van den Bergh, professeur émérite de psychologie à la KU Leuven, qui s’étonne parfois lui-même des effets quasi surnaturels des placebos.
«Une étude menée par l’université de Bâle a montré que l’intensité des symptômes du syndrome prémenstruel pouvait être réduite de pas moins de 80% chez les femmes grâce à un placebo ouvert. Il s’agit d’un placebo dont la patiente sait catégoriquement qu’il ne s’agit pas d’un véritable médicament.»

Le «truc» avec la pince

Lorsqu’un médecin prescrit un traitement en suggérant qu’il vous fera du bien, la confiance placée dans ce traitement peut effectivement contribuer à son efficacité. Cette alliance entre le corps et l’esprit dans le processus de guérison est depuis des siècles un fait incontesté. Platon rapporte ainsi dans le dialogue Charmide comment son maître Socrate délivre un jeune homme de son mal de tête en posant une feuille sur sa peau, accompagnée d’une incantation magique. «Sans la formule, cela ne vous sert à rien», disait Socrate.

Dans son ouvrage The Power of Placebos, l’épidémiologiste Jeremy Howick (University of Leicester), qui étudie l’effet placebo depuis 20 ans, cite l’exemple d’un patient souffrant de douleurs abdominales chroniques pour lequel un traitement classique s’était révélé inefficace: «Le médecin traversa lentement le service, tenant devant lui une pince dans laquelle se trouvait un grand comprimé blanc. A mesure qu’il approchait, il devint clair (du moins pour moi) que le comprimé n’était rien d’autre que de la vitamine C. Il le laissa tomber dans un verre d’eau, qui se mit à mousser et à pétiller, puis demanda au patient de boire prudemment une gorgée une fois l’effervescence dissipée. Le nouveau « médicament » mit totalement fin à la douleur du patient.» La pince avait donné au patient l’impression que le comprimé était, d’une façon ou d’une autre, trop puissant pour être manipulé à mains nues.

Les effets positifs observés dans l’étude évoquée précédemment sur le syndrome prémenstruel s’expliquent aussi par la consultation d’environ 20 minutes durant laquelle les femmes recevaient des explications sur les raisons de la prescription du placebo. Elles ont déclaré que l’attention, la communication et l’encadrement leur donnaient enfin le sentiment que leurs plaintes étaient réellement prises au sérieux.

«De nombreux mécanismes subtils interviennent dans l’action d’un placebo. Ils déclenchent une interaction entre le corps et l’esprit dont on n’a pas conscience.»

Comment fonctionne l’effet placebo?

«De nombreux mécanismes subtils interviennent dans l’action d’un placebo, explique Omer Van den Bergh. Ils déclenchent une interaction entre le corps et l’esprit dont on n’a pas conscience. Pensez au rituel qui entoure la prescription d’un médicament, à certains gestes médicaux, à l’odeur typique d’un hôpital, aux éléments visuels d’un cabinet et à l’attention du soignant. Ces facteurs implicites ou explicites stimulent l’espoir et l’attente. Le rôle de la conscience est souvent surestimé. Ce n’est pas illogique: on n’est, par définition, conscient que des facteurs dont il est possible d’être conscient.»

Une seconde explication de l’efficacité des placebos réside dans l’effet de conditionnement. Comme le chien de Pavlov qui salive au son d’une cloche, une pilule, même si elle n’est qu’un comprimé de sucre, entraîne automatiquement un effet positif sur la santé grâce aux expériences antérieures avec des médicaments. En d’autres termes, l’attente qu’un traitement agisse active la pharmacie intérieure du corps en libérant des antidouleurs naturels.

«Des zones cérébrales responsables de la perception des symptômes s’activent et des neurotransmetteurs sont libérés dans le cerveau et la moelle épinière, poursuit Omer Van den Bergh. Cela peut aller très loin. Chez des patients atteints de la maladie de Parkinson, il a été constaté que les placebos soulagent certains symptômes parce qu’ils activent des neurones, jouant un rôle crucial dans le contrôle moteur, situés dans le thalamus et les ganglions de la base.»

Rouges et bleues

L’effet placebo peut parfois tenir aux plus infimes détails. Des recherches ont montré que la forme, l’emballage et même le nom d’un médicament influencent la perception de son efficacité. Une injection avec une aiguille, par exemple, produit un effet placebo plus marqué qu’une simple pilule, parce qu’elle est plus invasive et donc perçue comme «plus médicale». Un emballage attrayant, une notice papier regorgeant de données scientifiques détaillées ou encore le prix d’un médicament: tous ces éléments façonnent la manière dont le patient évalue le traitement.

Des études sur la couleur des médicaments révèlent que les pilules rouges, jaunes et orange sont plus souvent associées à la stimulation, tandis que les bleues –à l’exception du Viagra– sont perçues comme apaisantes, sauf chez les hommes italiens. Pour eux, le bleu renvoie à la Squadra Azzurra, leur équipe nationale de football. Les somnifères bleus pourraient donc se montrer moins efficaces pour ces patients, tandis que le Viagra, à l’inverse, pourrait l’être davantage.

«Prescrire des médicaments factices sans le consentement et la connaissance du patient reste contraire à l’éthique.»

Médicaments factices mais honnêtes

Les médicaments modernes sont une bénédiction, mais leur usage est souvent excessif, ils provoquent des effets secondaires et restent onéreux. Jeremy Howick estime que les médecins devraient consacrer moins de temps aux tâches administratives et exploiter plus consciemment l’effet placebo dans la pratique. Mais uniquement au travers de traitements placebo éthiquement acceptables, sans tromperie. Prescrire des médicaments factices sans le consentement et la connaissance du patient reste contraire à l’éthique.

«Il n’est pas surprenant que les placebos ouverts soient souvent aussi performants que les placebos trompeurs, remarque Omer Van den Bergh. Les facteurs subtils qui rendent possible l’effet placebo sont tout autant présents dans les placebos ouverts. Comparez cela au fait de regarder un film effrayant ou triste. On sait qu’il s’agit de fiction, mais on peut malgré tout le regarder dans une tension extrême, avec un cœur affolé, une respiration accélérée, les mains moites ou les yeux pleins de larmes. Là aussi, des réactions physiques sont déclenchées inconsciemment par l’imitation de situations de la vie réelle

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Il ne voit aucune raison d’écarter les placebos des soins de santé. «Je pense qu’aujourd’hui, une grande partie de l’effet placebo est perdue. Des études intéressantes montrent qu’une partie d’un traitement actif peut être remplacée par un placebo afin de réduire la quantité totale de médicaments sans en altérer les effets. D’autres travaux indiquent que les placebos ouverts se révèlent efficaces contre, entre autres, le syndrome de l’intestin irritable, les douleurs lombaires chroniques, la dépression, la fatigue liée au cancer, l’ADHD, les troubles du sommeil, la migraine, les bouffées de chaleur et le syndrome prémenstruel.»

«Tous les symptômes sont dans la tête»

Si les placebos peuvent, en cas de cancer, soulager des symptômes tels que douleur, nausées et fatigue, et améliorer la qualité de vie, ils ne guériront jamais la maladie elle-même, insiste Omer Van den Bergh. «Cela s’explique par le fait que l’effet placebo ne concerne que des perceptions chroniques ou systémiques du corps. Les symptômes sont une construction du cerveau. Les phrases du type « ce n’est pas réel, c’est dans la tête » m’exaspèrent. Tous les symptômes sont dans la tête, mais ils sont aussi bien réels. Ce qui se trouve dans la tête ne doit pas être sous-estimé. C’est probablement l’organe le plus complexe et le plus fascinant du corps.»

Omer Van den Bergh convoque alors l’image d’un autre organe fascinant: ChatGPT. «Le cerveau fonctionne comme une machine à prédictions. Il n’attend pas les informations venant du corps, mais formule en permanence des hypothèses. Ensuite, il compare ces prédictions avec les signaux reçus et génère, sur cette base, des symptômes conscients. Lorsque l’attente, dans certaines circonstances, est très forte et que l’information issue du corps est faible, l’expérience globale est dominée par l’attente et le signal corporel perd presque tout effet. A l’inverse, si l’information corporelle est aiguë, intense et précise, comme lorsqu’on se coupe le doigt, l’attente modifie peu la perception.»

Le grand frère du placebo: le nocebo

Alors que l’effet placebo reste sous-exploité en médecine, les effets nocebo sont au contraire omniprésents dans la pratique médicale. Le nocebo désigne le phénomène par lequel des attentes négatives à propos d’un traitement ou d’un médicament provoquent réellement des symptômes ou réduisent l’efficacité. Une personne craignant les vaccins éprouvera peut-être davantage d’effets secondaires et en retirera même moins de bénéfices. Environ 20% des volontaires qui participent à des études cliniques interrompent d’ailleurs leur participation en raison d’effets indésirables, alors qu’ils appartiennent en réalité au groupe placebo.

«L’effet nocebo est, pour des raisons liées à l’évolution, encore plus puissant que l’effet placebo, car la survie dépend de la capacité à éviter le danger.»

L’effet nocebo est, pour des raisons liées à l’évolution, encore plus puissant que l’effet placebo, car la survie dépend de la capacité à éviter le danger. Pour l’illustrer, Jeremy Howick évoque dans son livre l’histoire d’un ouvrier du bâtiment qui marcha sur un clou de quinze centimètres ayant transpercé sa botte. «La douleur était si intense que l’homme dut être anesthésié à l’hôpital avec de puissants médicaments pour permettre le retrait du clou. Mais lorsqu’on lui retira sa botte, les médecins découvrirent que le clou s’était logé entre ses orteils. La douleur était donc née du fait que l’ouvrier avait cru à tort que le clou avait pénétré son pied.»

Les attentes négatives ne proviennent pas seulement du patient, elles sont aussi générées par les médecins. «En voulant donner une information complète, les médecins suscitent souvent sans le vouloir l’angoisse de leurs patients, souligne Omer Van den Bergh. Les patients reçoivent ainsi des attentes négatives, commencent à s’observer, à ruminer et développent un comportement de contrôle. Dans une étude sur un médicament contre les conséquences d’une hypertrophie bénigne de la prostate, on expliqua à un groupe que le traitement pouvait provoquer des troubles de l’érection, tandis que rien ne fut dit à l’autre groupe. Dans le premier, 30% des hommes souffrirent de problèmes d’érection, contre seulement 10% dans l’autre

Et quiconque lit une notice de médicament sent parfois monter une véritable attaque de panique. «Les entreprises pharmaceutiques mentionnent tous les effets secondaires possibles dans la notice pour se protéger juridiquement, mais il est légitime de s’interroger sur le caractère éthique d’une telle pratique si, par effet nocebo, elle provoque une multitude d’effets indésirables. Il est exact que le patient doit disposer de toutes les informations pour décider de manière autonome d’accepter ou non un traitement, mais est-il justifié de lui induire ainsi des troubles qui, autrement, n’existeraient pas?»

La malédiction du placebo

Omer Van den Bergh reconnaît que de nombreuses questions demeurent sans réponse dans l’histoire du placebo: qui bénéficie des placebos trompeurs? Qui réagit mieux à un placebo ouvert? Et qui souffre le plus de l’effet nocebo? «Nous savons que les personnes qui ont tendance à éprouver beaucoup d’émotions négatives sont plus sensibles à l’effet nocebo, et que celles qui sont très ouvertes à de nouvelles expériences sont plus réceptives au placebo. Mais on ne peut pas l’affirmer avec certitude à l’avance, surtout pas pour les placebos ouverts. Nous ne savons pas encore bien dans quelles circonstances les gens réagissent le mieux ni avec quel type d’explication. Nous ignorons également combien de temps les effets de telles interventions persistent. Il reste encore énormément à découvrir.»

«Les médicaments dilués au point qu’il ne reste plus une seule molécule de la substance initiale sont bel et bien efficaces, mais uniquement parce qu’ils exploitent mieux l’effet placebo que les médicaments classiques.»

Des découvertes que l’industrie pharmaceutique n’attend pas avec impatience. D’une part parce que les placebos ne sont pas brevetables et n’apportent donc quasiment aucun profit. D’autre part parce que l’effet placebo empêche l’arrivée sur le marché de médicaments potentiellement utiles.
Jeremy Howick cite l’exemple de certains stéroïdes qui réduisent les effets des maladies du foie liées à l’alcool. «Les stéroïdes ne parviennent pas à surpasser l’effet placebo lors des essais et ne peuvent donc pas être prescrits. Certains producteurs ont même cessé de chercher des médicaments contre la dépression et la douleur chronique. C’est simplement trop difficile et trop coûteux de dépasser l’effet placebo.»

C’est aussi la raison pour laquelle l’efficacité de l’homéopathie n’a jamais pu être scientifiquement démontrée. Selon Jeremy Howick, les médicaments dilués au point qu’il ne reste plus une seule molécule de la substance initiale sont bel et bien efficaces, mais uniquement parce qu’ils exploitent mieux l’effet placebo que les médicaments classiques.
D’autres médecines alternatives, comme l’acupuncture, rencontrent aussi un certain succès auprès de certains patients parce que leurs praticiens s’accordent davantage avec la science des placebos: ils consacrent plus de temps et d’attention à leurs patients. A condition toutefois que le patient soit disposé à y croire. Pour ceux qui rejettent les médecines alternatives, il s’agit probablement d’un gaspillage d’argent.

Mais même les médicaments déjà sur le marché pourraient être remis en question si la science s’attardait davantage sur l’effet placebo, estime Omer Van den Bergh. «Aujourd’hui, la référence absolue pour évaluer l’efficacité d’un médicament reste l’essai clinique randomisé, mené en double aveugle et contrôlé par placebo. Dans ce type d’étude, un groupe reçoit un véritable médicament, l’autre une pilule factice. La différence entre les deux est attribuée à l’effet du médicament. Mais dans les deux cas, le patient reçoit quelque chose et une attente se crée. Cette attente est encore amplifiée par l’effet du médicament. Si le médicament est administré de façon « cachée », c’est-à-dire sans que le patient le sache, son efficacité est considérablement réduite.»

Ainsi, des antalgiques anti-inflammatoires comme l’ibuprofène et l’aspirine ne sont efficaces qu’à moitié lorsqu’ils sont administrés à l’insu du patient, et même les opioïdes puissants perdent au moins 30% de leur effet dans ce cas. «Dans une situation idéale, il faudrait ajouter un groupe de contrôle supplémentaire afin de connaître l’efficacité réelle d’un médicament, conclut Omer Van den Bergh. Conclusion: les effets de nombreux médicaments sont aujourd’hui plutôt surestimés

 

 

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