Plus de la moitié des résidents de maisons de repos consomment des antidépresseurs, surtout parmi les seniors les plus jeunes. La prise de ces médicaments augmente d’ailleurs à l’entrée en home.
En 2024, plus d’un résident de maison de repos sur deux (53,5%) s’est vu prescrire des antidépresseurs, souvent pour un usage chronique. Quant aux antipsychotiques, trois résidents sur dix en consommaient (32,8%), dont les deux tiers dans le cadre d’une médication à long terme, selon une enquête des Mutualités libres basée sur les données de remboursement de 15.000 résidents par an entre 2017 et 2024.
Pourtant, selon le rapport Belhealth de Sciensano (mai 2023), les personnes âgées sont loin d’être les plus susceptibles de présenter des troubles anxieux ou dépressifs. Parmi les 50-64 ans, la prévalence est de 18% pour l’anxiété et de 15% pour la dépression, et de 10 et 9% pour les seniors de plus de 65 ans. Contre une prévalence de 24% pour les troubles anxieux et de 20% pour la dépression chez les jeunes de 18 à 29 ans.
Le tournant de l’admission en maison de repos
L’admission en maison de repos est pour de nombreux résidents un point de bascule dans l’utilisation de médicaments psychoactifs. L’enquête fait en effet apparaître un changement dans la consommation de médicaments chez les personnes âgées au moment de leur admission. Six mois avant leur emménagement dans l’institution, 27% des futurs résidents sont sous antipsychotiques. Cette proportion monte à 28,2% trois à neuf mois après leur admission. Pour les antidépresseurs, l’utilisation augmente de 43,9% avant l’entrée à 47,2% après.
L’emménagement dans une maison de repos marque aussi un tournant radical pour certains résidents qui, avant leur admission, ne consommaient pas de médicaments psychoactifs. Ils sont ainsi 12,7% à avoir commencé un traitement antipsychotique et 17,2% un traitement antidépresseur dans les trois à neuf mois qui ont suivi leur admission. A l’inverse, 30% des personnes qui consommaient des psychotropes avant leur entrée en maison de repos, et 14,3% pour les antidépresseurs, ont arrêté leur traitement après leur emménagement.
Enfin, l’enquête des Mutualités libres révèle que la population des maisons de repos et de soins qui consomment le plus de médicaments psychoactifs sont les plus jeunes. Ils sont par exemple 52,3% des moins de 65 ans à prendre des antipsychotiques, et 59,6% des 65-74 ans à consommer des antidépresseurs.
Entre pénurie de personnel et manque de temps
L’enquête étant basée sur les données de remboursement, elle ne permet pas d’identifier précisément les causes de la consommation de psychotropes en maison de repos, mais plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Notamment la pénurie de personnel, «un défi majeur dans le secteur des soins aux aînés», souligne la porte-parole des Mutualités libres, Marianne Hiernaux. «Dans les établissements où les équipes sont en sous-effectif ou sous pression, il devient plus difficile de mettre en œuvre des approches individualisées et non médicamenteuses face à des signes de détresse psychologique ou des troubles du comportement», poursuit-elle.
Un manque de coordination entre le personnel (médecins, personnel soignant, psychologues, direction…), mais aussi avec les proches des résidents, peut aussi expliquer une consommation de médicaments psychoactifs plus importante. «Lorsque les décisions thérapeutiques sont discutées collectivement, les traitements sont souvent mieux adaptés. A l’inverse, un manque de coordination peut conduire au maintien prolongé de traitements initiés, sans remise en question de leur pertinence», pointe du doigt la porte-parole.
Enfin, un programme d’activités structuré et adapté, de même qu’une approche tournée vers la participation active des résidents, peuvent aussi faire la différence. «Les résidents qui se sentent stimulés, écoutés, impliqués ou simplement entourés présentent généralement moins de signes de mal-être liés à l’ennui ou à l’isolement, et donc moins de besoins de traitement, avance Marianne Hiernaux. Ces approches demandent plus de temps à mettre en place qu’un traitement médicamenteux aux effets rapides, mais s’inscrivent dans une logique durable et préventive.»
«Certaines périodes de vulnérabilité peuvent nécessiter un soutien ponctuel. Mais cela ne justifie pas toujours une médication chronique.»
Plus d’autonomie, moins de psychotropes
Pour inverser cette tendance dans les maisons de repos et de soins, les Mutualités libres plaident pour un renforcement des équipes et une meilleure prise en charge des résidents. La présence de professionnels formés et spécialisés «est indispensable pour lever le tabou entourant la santé mentale, détecter les troubles psychiques dès leur apparition et orienter les résidents vers une aide adaptée dans un cadre de soins respectueux et bienveillant», insiste l’organisme de sécurité sociale.
Il appelle également à promouvoir l’autonomie des seniors en les encourageant de participer activement à la gestion de leur établissement de résidence. «A Bruxelles, plusieurs maisons de repos s’inspirent de la méthode Tubbe et de l’approche Senior Montessori, explique Kelly Mertens, coordinatrice de la fédération bruxelloise GIBBIS regroupant des maisons de repos. En renforçant le sentiment d’autonomie et de bien-être, ces approches contribuent à réduire le recours aux psychotropes.»
Enfin, les Mutualités libres réclament une meilleure politique en matière de gestion des médicaments psychoactifs dans les établissements. C’est en effet là que la consommation est la plus importante. Selon l’Agence Intermutualiste, en 2022, ils étaient 48,7% résidents à consommer des antidépresseurs, contre 34,7% des personnes recevant des soins à domicile. Ce taux tombe à 12,4% chez les personnes vivant chez elles et ne recevant aucun soin. Le constat est similaire pour les antipsychotiques: 28,1% pour les résidents de maisons de repos, 11,5% pour les personnes recevant des soins à domicile, et 3,5% pour celles vivant chez elles sans assistance.
«Il est bon de rappeler qu’un traitement ne doit pas forcément s’installer dans la durée. Certaines périodes de vulnérabilité, comme un deuil, un changement de lieu de vie ou une perte d’autonomie physique ou cognitive, peuvent nécessiter un soutien ponctuel. Mais cela ne justifie pas toujours une médication chronique. Un suivi rigoureux et pluridisciplinaire est donc indispensable, avec des moments de réévaluation réguliers pour s’assurer que le traitement reste pertinent», conclut Marianne Hiernaux.