La France va interdire de fumer sur toutes ses plages. La Belgique va-t-elle suivre? © Andia/Universal Images Group via

La Belgique doit-elle interdire de fumer sur la plage? «Il faut supprimer la cigarette de la carte postale»

En début d’année, la liste des espaces extérieurs où il est interdit de fumer s’est fameusement allongée. Et c’est loin d’être fini, puisque les terrasses devraient bientôt être concernées à leur tour. Avant les plages?

Jeudi, la ministre française de la Santé Catherine Vautrin a annoncé qu’il sera bientôt interdit de fumer dans les lieux publics extérieurs où peuvent se trouver des enfants. A partir du 1er juillet, la cigarette sera notamment bannie des abords des écoles, des équipements sportifs et des plages. Si ces deux premiers espaces sont également concernés en Belgique depuis le 1er janvier dernier, la côte reste, elle, très cigarette friendly.

A l’heure actuelle, tout est du ressort des communes côtières. Et force est de constater qu’elles ne semblent pas pressées de voir une telle interdiction arriver en Belgique. Le long des 65 kilomètres de côte, il n’est défendu de fumer que sur… quelques centaines de mètres. Selon les tabacologues, il y aurait pourtant tout intérêt à agir rapidement.

Parmi les dix communes qui composent la côte belge, la moitié (Blankenberge, Coxyde, Knokke-Heist, Middelkerke, Nieuport) n’ont jamais pris de mesure pour enrayer la consommation de tabac sur leurs plages. Trois autres (Bredene, La Panne, Le Coq) ont mis en place des projets pilotes il y a quelques années. Enfin, deux autres (Ostende, Zeebruges) disposent actuellement de portions de plage non-fumeurs.

Selon les spécialistes de la prévention anti-tabac, ces quelques exceptions sont encourageantes. «Introduire des interdictions par phase peut être une bonne idée. On peut d’abord choisir d’interdire de fumer dans certaines zones et/ou lors de certaines périodes, comme en été. Cela peut aider à faire accepter la mesure par la population», estime Elise Willame, cheffe du service de prévention tabac au Fares (Fonds des Affections Respiratoires).

Toutefois, cela reste largement insuffisant. Le Fares, au même titre que la Fondation contre le cancer, se positionne en faveur d’une interdiction totale, à la française.

Parmi les maïeurs côtiers farouchement opposés à l’interdiction de fumer sur la plage, Jean-Marie Dedecker (LDD). Interrogé en 2019 par la VRT, le bourgmestre de Middelkerke avait déclaré que le tabagisme passif n’était pas un problème sur un espace si étendu, l’air marin prenant largement le pas sur la fumée.

Un argument que ne remettent pas en cause les experts. Il est effectivement assez aisé de déplacer ses draps de plage si quelqu’un se met à fumer à proximité. En réalité, le combat se joue sur un autre terrain: la débanalisation de la cigarette.

«Plus on voit des gens fumer, plus ça rentre dans les mœurs et plus ça devient naturel. C’est d’autant plus vrai dans un lieu synonyme de bien-être. L’émotion positive liée à la plage peut être associée à un comportement qui semble banal, à savoir fumer. C’est notamment à cause de ça que des jeunes commencent à fumer et que certains fumeurs rechutent. Arriver à une génération sans tabac d’ici 2040 passe par la suppression de la cigarette de la carte postale», fait valoir Martial Bodo, tabacologue au Centre d’aide aux fumeurs de l’Institut Jules Bordet.

Protéger les non-fumeurs, spécifiquement les plus jeunes, de la vue de la cigarette est devenu l’enjeu numéro un de la lutte anti-tabac. «Toutes les mesures qui dénormalisent l’usage du tabac sont les bienvenues. L’interdire à la plage participe à protéger les enfants et à changer les normes sociales», abonde Sophie Adam, porte-parole tabac de la Fondation contre le cancer.

«Restreindre les possibilités de fumer, c’est protéger la santé des fumeurs et des non-fumeurs, ainsi que l’environnement»

Outre l’aspect sanitaire, l’interdiction de fumer à la plage comporte aussi des visées environnementales. Premier déchet mondial (y compris sur les plages), un seul mégot peut à lui seul polluer 500 litres d’eau de mer. S’il reste planté dans le sable, il met plusieurs années à se décomposer –et même plus de dix ans pour son filtre. Ce qui, forcément, pollue le sol.

«Les enfants font des châteaux de sable, tombent sur des mégots et les portent à leur bouche. Il est tout bonnement inacceptable de continuer à tolérer cette situation. Si les communes refusent d’interdire la cigarette, elles pourraient a minima offrir aux fumeurs davantage de poubelles», déplore Martial Bodo.

Selon le tabacologue, l’accumulation des effets néfastes de la cigarette doit permettre de renverser le point de vue sur les mesures d’interdiction. «Beaucoup de fumeurs ont la sensation qu’on s’acharne sur eux. Et à force de leur rabâcher le mot « interdiction », on peut les comprendre. Il faudrait mettre davantage l’accent sur le fait qu’il s’agit en fait de mesures de protection. Restreindre les possibilités de fumer, c’est protéger la santé des fumeurs et des non-fumeurs, ainsi que l’environnement», souligne-t-il.

Depuis le début de l’année, la liste des lieux où il est interdit de fumer s’est élargie: zoos, parcs d’attractions, plaines de jeux, terrains de sports, entrées et sorties des établissements de soins et des écoles, etc. Le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) a récemment annoncé vouloir bannir la cigarette des terrasses. Cela devrait être le cas pour l’an prochain. Il est encore trop tôt pour quantifier l’impact de ces mesures sur la consommation de tabac: Sciensano publiera de nouveaux chiffres cet été. Il semble toutefois acquis qu’en plus de protéger les non-fumeurs, ces interdictions encouragent certains fumeurs à arrêter le tabac.

«C’est logique. Moins les fumeurs disposent d’endroits et de temps pour fumer, moins ils fument. Dans les années 1980, on pouvait fumer partout donc on fumait tout le temps. Désormais, le nombre de cigarettes fumées par jour ne cesse de diminuer. De plus, ces mesures renforcent l’inconfort des fumeurs, ce qui en pousse de plus en plus à arrêter de fumer. Cela peut aussi conforter certains qui y songent mais qui n’osent pas franchir le pas», analyse Martial Bodo.

Cet attirail de mesures répressives (interdictions, hausse du prix) n’est toutefois pas suffisant, soulignent les spécialistes, qui ne se montrent pas forcément favorables à l’idée de sanctionner les contrevenants via des amendes –c’est le cas à Ostende. Selon eux, il faut mettre davantage de moyens dans la sensibilisation.

«Avant les sanctions financières, il faut organiser des campagnes pour diffuser auprès des fumeurs la liste des outils qui sont à leur disposition pour les aider à arrêter de fumer. Cela passe notamment par la distribution de flyers et, mieux encore, par des agents qui initient le dialogue avec eux pour les informer sur les accompagnements possibles. Bien sûr, en cas d’interdiction à la plage, il faut doter les communes des moyens pour la faire respecter et pour sensibiliser les fumeurs», souligne Elise Willame.

Contacté, le cabinet de Frank Vandenbroucke n’a pas donné suite à nos sollicitations. La réflexion a toutefois déjà été initiée à l’été 2023, lorsque le SPF Santé avait sondé les communes côtières. Martial Bodo est en tout cas convaincu qu’on se dirige vers une interdiction: «C’est la suite logique des choses. D’ici quelques années, débattre de l’interdiction de fumer à la plage paraîtra anachronique. Tout comme ça l’est aujourd’hui au sujet de la cigarette dans les restaurants.»

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire