Hausse des températures et de l’humidité, inondations plus fréquentes… Les bactéries pathogènes adorent ce cocktail du réchauffement, qui augmente le risque d’intoxications alimentaires. Les bons conseils pour s’en prémunir.
La bactérie Stec, une souche d’Escherichia coli, a fait des dégâts cet été en Belgique. Huit décès, sept en Flandre et un en Wallonie, et des dizaines de personnes qui ont souffert de troubles gastrointestinaux sévères liés à une intoxication alimentaire. La contamination a touché essentiellement des maisons de repos. En juin, c’est aussi une bactérie E-coli qui a rendu 32 personnes gravement malades dans l’Aisne, en France. Parmi celles-ci, une fillette de 11 ans est décédée. Des grandes surfaces ont en outre été chahutées par la listeria quelques semaines plus tard. Si peu de cas de contamination ont été recensés, de nombreux produits (camemberts, fromages de chèvre, filets de poisson…) ont été retirés des rayons ou rappelés. Au début de l’année, une alerte à la Vibrio avait déjà été lancée partout en France. Cette bactérie «mangeuse de chair» s’était attaquée aux crevettes. Les nombreux frontaliers belges qui ont l’habitude de faire leurs courses dans l’Hexagone avaient été concernés. Et ce n’est pas tout. Des plats pour bébé de la marque Nestlé ont dû être rappelés au printemps; ils contenaient des mycotoxines, soit des toxines fongiques qui se développent sur les céréales ou les fruits. Enfin, depuis début septembre, une épidémie de salmonellose sévit en Europe. Près de 300 cas ont été confirmés. Etonnamment, ce sont des tomates cerises produites en Sicile qui seraient à l’origine des intoxications alimentaires par cette bactérie, qui cause d’importantes gastroentérites. D’habitude, c’est davantage dans l’eau, la viande ou le lait qu’on en trouve.
Impossible, pour le moment, de dire si 2025 est une année record en la matière. L’an dernier, 777 intoxications alimentaires collectives (TIA) avaient été répertoriées en Belgique, par l’Afsca. C’était davantage qu’en 2023, moins qu’en 2022 (830 TIA) où le record était dû au retour de l’Horeca après la pandémie, mais bien davantage (entre 50% et 100% de plus) que toutes les années auparavant même hors Covid. Selon Sciensano, le nombre de malades dus à des intoxications alimentaires a sensiblement évolué ces dix dernières années, soit 4.248 cas en 2024 –un record absolu même par rapport à 2022– contre 1.789 en 2014. A quoi peut-on attribuer cette augmentation quasi constante? Ni l’Afsca ni Sciensano n’ont d’explication.
«Les bactéries Vibrio dans les fruits de mer sont un marqueur du réchauffement.»
Optimum à 37 °C
De nombreux microbiologistes s’interrogent, eux, sur l’incidence possible du réchauffement climatique sur les contaminations bactériennes alimentaires. Ce dérèglement entraîne non seulement une hausse des températures, mais aussi davantage d’humidité et d’inondations, autant d’éléments qui peuvent se traduire par une prolifération accrue des bactéries toxiques. «Il y a en effet plus de risques de contamination avec le réchauffement, confirme Delphine Martiny, à la tête du département de microbiologie du laboratoire hospitalier universitaire de Bruxelles (LHUB-ULB). Les bactéries sont capables de se multiplier dans des gammes de température très larges, mais il y a un optimum à laquelle elles se multiplieront plus facilement et plus vite. En général, c’est autour de 37 °C pour les bactéries mésophiles, celles qui infectent les humains. C’est logique vu que c’est notre température corporelle. Avec un mercure élevé en été, qui dépasse largement les 30 °C, leur multiplication et leur persistance dans l’environnement est donc plus grande.»
Le scénario est le même pour les salmonelles et le Campylobacter, qui lui s’attaque principalement aux volailles. Ces bactéries adorent la chaleur. La température optimale pour leur reproduction se situe entre 35 et 42 °C. On comprend que le risque augmente avec les étés caniculaires plus fréquents. Aux variations climatiques sont également associées davantage de pluies diluviennes et d’inondations. Celles-ci peuvent entraîner une contamination des stations d’épuration et des eaux potables par les matières fécales, notamment du bétail, qui s’écoulent avec les eaux de pluies. Or, les e-coli, comme les Norovirus qui causent aussi des troubles gastriques, sont des marqueurs d’infection fécale des eaux. «Cela dit, l’épidémie récente de Stec dans les maisons de repos n’est pas, ici, forcément liée au réchauffement, nuance Marie-Pierre Hayette, cheffe du laboratoire de microbiologie clinique au CHU de Liège (ULiège). Il s’agit a priori plutôt d’un problème de contamination de nourriture dans des institutions fermées où la bactérie se propage plus facilement.» A fortiori au sein d’une population âgée plus fragile.
S’il est des bactéries qui prolifèrent directement à cause du changement climatique, ce sont bien les Vibrio. Celles-ci se logent principalement dans les fruits de mer (huîtres, moules et autres coquillages). Les symptômes liés à une infection sont variables: diarrhées, vomissements, fièvre… Dans des cas plus rares, si l’infection provient du Vibrio cholerae, on peut attraper le choléra. Selon l’Efsa, l’autorité européenne de sécurité des aliments, la prévalence de ces bactéries augmentera en raison de la hausse des températures dans les eaux côtières. «Nous avions réalisé une étude dans la mer du Nord, à Knokke, et on s’est aperçu que, dans les eaux prélevées l’été, il y avait davantage de bactéries comme les Vibrio, constate le Pr. Hayette. Il s’agit donc bien d’un marqueur du réchauffement. Outre les intoxications alimentaires par les fruits de mer, la contamination peut se faire via une plaie sur le corps. Le Vibrio vulnificus peut ainsi entraîner une infection de ces plaies. Il y a eu récemment un cas en Flandre, un patient qui pratiquait des sports nautiques à la côte belge.»
Autre influence du réchauffement: les mycotoxines sur les plantes. Ces composés chimiques dangereux sont produits non pas par des bactéries mais par des moisissures, soit des champignons microscopiques («myco»). «En effet, relève Haïssam Jijakli, responsable du laboratoire de phytopathologie intégrée et urbaine à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège). La production de mycotoxines dans les plantes céréalières est favorisée par des conditions de chaleur et/ou d’humidité élevées. Ces toxines sont produites par des champignons tels que Aspergillus, responsables notamment des aflatoxines, ou encore Fusarium, producteurs de fumonisines. Dans le cas du maïs, des étés plus chauds et plus secs augmentent le risque d’aflatoxines, tandis que des conditions chaudes et humides favorisent plutôt les fumonisines. Enfin, si la récolte est suivie de pluies abondantes et que les grains ne sont pas correctement séchés, le risque de contamination par ces toxines s’accroît considérablement.»
Climatiseurs à risque
Le dérèglement du climat accroît aussi la propagation d’infections microbiennes pathogènes par d’autres vecteurs que les aliments. Comme observé dans un précédent article («2025, l’année du moustique», Le Vif du 7 août), les moustiques tigre, originaires des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est, ont su s’adapter à d’autres régions moins au sud, telles la France méridionale, l’Espagne ou la Grèce, où les températures moyennes sont de plus en plus élevées, même en hiver. Ils peuvent transmettre des maladies comme la dengue ou le chikungunya. Chez nos voisins, la situation a même été tout à fait inédite cet été, selon l’Institut Pasteur, puisque des premiers cas de chikungunya transmis par ces moustiques ont été détectés dès le mois de juin – ce qui est très tôt– notamment dans le Grand Est, une première pour cette région de France.
Par ailleurs, le réchauffement est responsable d’une plus grande prolifération des bactéries parce qu’il engendre des pratiques humaines différentes. «L’utilisation accrue de climatiseurs profite aux légionelles, des bactéries thermophiles qui aiment les températures élevées et subsistent dans des canalisations d’eau, indique le Pr. Martiny. Elles sont vaporisées et maintenues en suspension dans l’air que nous inhalons. Cela peut causer des infections respiratoires graves.» Un autre comportement humain à risque amplifié par les fortes chaleurs: le barbecue d’été, lors duquel il arrive de sortir les aliments trop tôt du frigo. Ce comportement favorise la propagation de bactéries comme la listéria, qui n’est pas directement liée au réchauffement mais plutôt aux ruptures de la chaîne du froid. A fortiori, quand il fait plus chaud, il faut être plus vigilant.
«Le risque existe déjà à 20 °C, il est donc bien plus grand à 30 °C ou à 40 °C, pointe Christophe Blecker, professeur de technologie alimentaire à Gembloux Agro-Bio Tech. Dès lors, sortir sa salade de pâtes à la mayonnaise deux heures avant de manger, puis la remettre au frigo après l’avoir laissée traîner sur la table le temps de manger et en consommer les restes le lendemain, est un comportement dangereux. Avec les aliments, on tient compte du type de micro-organismes qu’on y trouve mais aussi de la charge. Or, cette charge augmente hors du frigo, lequel ne les détruit pas mais les inhibe, c’est-à-dire ralentit leur reproduction.» Il faut tenir compte du fait que certaines franges de la population, comme les enfants en bas âge et les personnes âgées, sont plus fragiles, donc plus à risque. Pour le Pr. Blecker, il faut éviter de manger du filet américain à un certain âge, par exemple, surtout s’il fait chaud.