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Frank Vandenbroucke mis en défaut pour une fraude à 3,5 millions: «Il chasse les crevettes au chalutier»

Une fraude à 3,5 millions d’euros, pour de fausses prestations de soins par une infirmière indépendante, agite le Parlement fédéral. Frank Vandenbroucke (Vooruit) assure qu’il ne savait pas, et avance quatre mesures fortes pour «mieux contrôler» les prestataires en défaut. L’opposition dénonce une «utilisation malhonnête» d’un cas particulier, dont le ministre «est l’unique responsable».

C’est un scandale particulier, à forts échos, qui réanime des tensions autour des mesures de renforcement du contrôle des prestataires de soins de santé. Depuis 2017, pendant huit ans, une infirmière indépendante à domicile, mais aussi conseillère communale (Vlaams Belang) en Flandre occidentale, aurait facturé des prestations inexistantes à des patients. Elle a été arrêtée pour «de sérieux soupçons». Sa propriété a été perquisitionnée. 17 voitures de luxe et des sommes d’argent en liquide ont été saisies. Cette dernière déclarait jusqu’à 90 consultations par jour, une moyenne quatre à cinq fois plus élevée que ses compères. La fraude est estimée à 3,5 millions d’euros, montant total des remboursements par les mutualités perçus par l’infirmière.

Frank Vandenbroucke (Vooruit), ministre fédéral de la Santé, est critiqué par les députés fédéraux de l’opposition et syndicats de professionnels de la santé. Ces derniers dénoncent une fraude connue depuis juin 2017, que ni le ministre ni l’organe de contrôle de l’Inami (dont il est le garant) n’ont solutionné, «alors qu’ils avaient connaissance des faits

«En 2020, l’Inami parlait déjà d’un million d’euros de fraudes pour cette infirmière. Comment se fait-il que monsieur Vandenbroucke, mandaté comme ministre de la Santé depuis six ans, ainsi que l’Inami, n’aient pas agi plus tôt? Je me réjouis que monsieur le ministre réagisse aujourd’hui et prenne conscience de la gravité des faits. Mais je dénonce qu’il s’en serve pour soudainement agiter tout un paquet de mesures», s’insurge Jeroen Van Lysebettens, député Groen à la Chambre.

Pour le député fédéral, le problème ne réside pas dans la qualité des contrôles, ou de s’il faut ou non les renforcer, mais plutôt dans le «pourquoi rien n’a été fait des conclusions de l’organe de contrôle? On sait qu’il y a vol, une enquête l’affirme, mais aucune sanction. Ma conclusion, c’est que monsieur le ministre traque les petites crevettes avec un chalut, mais laisse les gros poissons nager librement».

De son côté, le ministre rejette la responsabilité sur les réfractaires à l’élargissement du pouvoir coercitif de l’Inami, proposé dans sa loi-cadre de réforme des soins de santé. Il dit avoir eu les mains liées, avec les seules armes «insuffisantes» qui lui sont attribuées. De même pour celles de l’organe de contrôle de l’Inami.

Arsenal de nouvelles «armes»

Depuis des mois, Frank Vandenbroucke soumet à la discussion des parlementaires quatre mesures fortes pour contrôler et pénaliser les professionnels de la santé fraudeurs. Deux seront d’application dès début 2026: l’instauration de plafonds de prestations pour les infirmiers à domicile, et l’application de contrôles automatisés.

Une troisième a été soumise ce vendredi 21 novembre au Conseil des ministres, «en réaction à la fraude.» Il s’agit d’un projet de loi visant à responsabiliser les mutualités. Elles ne seraient plus «seulement» des intermédiaires qui paient et contrôlent, mais deviendraient aussi coresponsables financièrement de la lutte contre la fraude dans les soins de santé. En l’état, le texte mentionne un objectif fixé à 100 millions d’euros, qui doivent être récupérés ou économisés, grâce aux contrôles et à la détection de fraude.

La dernière mesure, aussi la plus clivante, veut permettre la suspension ou la suppression du numéro Inami en cas de fraude avérée ou suspectée. Ce projet de loi fait partie de la loi-cadre de réforme des soins de santé. Dont une majorité de projets de lois sont toujours en phase de consultation avec les acteurs de terrain jusqu’au 14 décembre 2025.

«Ceux qui ne veulent pas que les numéros Inami soient suspendus en cas de fraude de cette ampleur, sont ceux qui protègent les voleurs. Si vous voulez les attraper, vous devez disposer des armes nécessaires. Nous allons rendre possible la suppression des numéros Inami pour les fraudeurs», clame Frank Vandenbroucke pour défendre sa mesure.

De son côté, l’Absym, principal syndicat des professionnels de la santé, met en garde contre l’expansion des pouvoirs de sanction. Il voit cette mesure comme «particulièrement drastique.» Ces derniers défendent l’idée qu’une amende administrative suffit à pénaliser les prestataires de soins en illégalité ou lors de prestations superflues ou inutilement coûteuses: «Le cas de l’infirmière n’est absolument pas représentatif des pratiques réelles des professionnels de la santé. Elle ne peut pas être utilisée comme bélier pour faire passer des mesures qui vont conduire à une médecine défensive.»

Le couac, c’est que l’infirmière suspectée de fraude avait déjà reçu une flopée d’amendes administratives, sans pour autant mettre fin à ses pratiques supposées. Argument dont se servent les partisans de la mesure.

Le Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’Inami (SECM) souligne que si l’infirmière est un cas grave et isolé, les fraudes et prestataires de soins en défaut ne sont pas de l’ordre de l’exception. Lors des neuf premiers mois de 2025, sur 44 dossiers contrôlés, 39 ont amené à des remboursements ou des amendes. Au total, 4,8 millions d’euros ont été récupérés et 4,5 millions d’euros d’amendes ont été infligés. Le SECM indique qu’il leur reste encore 193 dossiers à étudier, pour un litige potentiel estimé à plus de 20 millions d’euros.

Savait ou savait pas?

Si l’on parle d’une fraude, c’est en fait un scandale en trois temps qui agite le Parlement et met Frank Vandenbroucke dans une position délicate. Etait-il au courant? Pour en avoir une idée, il faut remonter le fil.

En 2017, une plainte de deux infirmières anonymes est adressée à l’organe de contrôle de l’Inami. Ce dernier mènera sa propre enquête, et le tout débouchera sur la rédaction d’un procès-verbal en octobre 2018. Trois ans plus tard, en 2021, l’affaire est jugée en «première instance» par l’administration de l’Inami. Donc pas devant un tribunal judiciaire. Mais bien de façon administrative.

L’infirmière suspectée fait appel, mais la décision est confirmée en 2023. Entre-temps, elle commencera à rembourser une partie des montants fraudés.

Alors déjà sous procédure administrative, une autre affaire éclate en 2020. Une nouvelle infirmière, elle aussi anonyme, signale sa consœur. L’organe de contrôle de l’Inami enquête pour la deuxième fois, rédige un second procès-verbal et constate d’autres anomalies. Sur cette base, le fonctionnaire responsable du contrôle à l’Inami prend une mesure forte et suspend son droit de facturer directement aux mutualités.

Un troisième dossier est ouvert à l’Inami en octobre 2022, qui juge alors les antécédents et les nouveaux éléments comme «problématiques et répétitifs». L’organe de contrôle considère que la situation dépasse ce qu’il peut traiter seul en administratif et transmet le dossier à l’auditorat du travail. Deux ans plus tard, le parquet demande son arrestation et les perquisitions.

Frank Vandenbroucke dit n’avoir été au courant de la fraude qu’«il n’y a que quelques mois. Il est vrai que j’ai utilisé cet exemple en commission (à plusieurs reprises, pour défendre sa mesure de suppression du numéro Inami), mais je ne connaissais pas l’identité de l’infirmière. Les rapports sont anonymisés.»

L’opposition doute de la version des faits du ministre, étant le responsable direct de l’organe de contrôle qui a statué à trois reprises sur cette affaire pendant près de huit ans. «Je ne comprends pas comment c’est possible. Le ministre nous dit avoir été en partie mis au courant il y a quelques mois. Alors qu’à ce moment-là, l’affaire était passée sous la responsabilité de l’auditorat du travail depuis près de deux ans. Pourquoi ne l’était-il pas avant, quand c’était précisément son organisme de contrôle qui avait la charge de l’affaire? Quelque chose ne colle pas», se questionne un député de l’opposition.

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