Etudes cliniques, quand la santé devient un revenu: «Cobaye, sujet d’expérimentation, patient, c’est un peu de tout ça.» © Getty Images

Etudes cliniques, quand la santé devient un revenu: «Cobaye, sujet d’expérimentation, patient, c’est un peu de tout ça»

Chaque année, quelque 170.000 Belges participent à des essais cliniques. Des patients sains testent des médicaments expérimentaux dans des centres spécialisés, moyennant rémunération. Si les garanties éthiques sont strictes, le consentement éclairé n’efface ni les risques à long terme ni les motivations économiques souvent déterminantes.

Tout médicament disponible sur le marché a été, un jour ou l’autre, testé sur des êtres humains. C’est une vérité quasi religieuse, dogmatique, mais qui ne coule pas toujours de source. Ces tests, qualifiés de phase 1, sont réalisés par des centres cliniques spécialisés sur des «collaborateurs» sains. En d’autres mots, des volontaires se transforment en patients et prêtent leur corps à la recherche pharmaceutique contre quelques centaines à plusieurs milliers d’euros.

David Gering, porte-parole de l‘Association générale de l’industrie du médicament, est fier de la position dominante de la Belgique dans le monde de la recherche, qui s’est construite sur une base fidèle de volontaires : «Les études cliniques sont essentielles pour évaluer l’efficacité et la sécurité des vaccins ou des médicaments. Elles fournissent des données scientifiques cruciales et ouvrent la voie à des avancées significatives. Sans les sujets sains qui se prêtent aux études cliniques, on ne ferait rien.»

Inokura (ex-ATC Pharma) est l’un des plus importants centres de recherche clinique de Wallonie, basé dans une aile du CHU de Liège. Un îlot isolé au centre de l’hôpital qui contraste avec les autres unités. A l’intérieur de ces murs blancs, les participants ont une santé irréprochable. Tous sont venus de leur plein gré pour participer à une étude clinique. Le principe est simple : un patient en bonne santé reçoit une molécule, puis ses données physiologiques sont analysées pour mesurer les effets secondaires. C’est la phase 1. La première étape humaine, indispensable pour poursuivre le développement d’un médicament. Un processus long de dix à vingt ans.

Certaines études durent deux ou trois jours, d’autres s’étendent sur plusieurs semaines voire un an. Dans la majorité des cas, les volontaires sont hospitalisés sur de courtes périodes dans des chambres partagées. D’autres protocoles nécessitent de longues hospitalisations espacées, parfois sur un mois entier. Julien, 35 ans, une dizaine d’études à son actif, privilégie ces formats longs: «Je ne vois pas trop l’intérêt de faire des essais courts. Quitte à faire le déplacement et tous les protocoles ambulatoires, je préfère rester deux semaines sur place. En plus, ça rapporte beaucoup plus et je suis tranquille plusieurs mois après. Je suis saisonnier dans l’horeca dans le sud de la France. Donc quand je suis libre, je fais des études cliniques.»

Risques sur la santé

Les médicaments testés sont administrés par voie orale ou injectable. Comme pour tout traitement, les essais cliniques ne sont pas sans risques. Les effets indésirables les plus courants sont des maux de tête, nausées, constipation ou vomissements. Des effets généralement passagers. Mais d’autres réactions, plus rares, peuvent survenir bien après l’étude.

Selon l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS), certains effets dits «délai-dépendants» n’apparaissent qu’après une dose cumulée ou une dérégulation biologique lente: atteintes neurologiques, troubles immunitaires, problèmes de fertilité. C’est pour ces cas que les agences exigent un suivi prolongé. Des effets rares ou différés ne sont parfois détectés qu’après la mise sur le marché.

Chaque projet est examiné par un comité d’éthique indépendant. Franck Devaux, éthicien et vice-président du comité d’éthique de l’hôpital universitaire de Bruxelles, précise: «L’éthique est importante dès qu’on touche à l’être humain. On évalue d’abord la pertinence scientifique et la conformité légale. Le volet éthique veille à ce que la personne soit respectée dans sa vulnérabilité. Une étude clinique peut être impressionnante, il faut aussi considérer les impacts psychologiques.»

Le comité examine également l’incitation financière: «On s’assure que la somme soit juste en fonction de ce à quoi ils s’exposent. Ce sont souvent des profils précaires qui participent. Mais il y a aussi beaucoup de métiers précaires où les risques sont aussi importants. Le rôle du comité est de mesurer les risques et d’évaluer la balance bénéfices-risques. Vous n’aurez jamais un risque zéro.» La sécurité des données n’est pas oubliée: «Il y a des risques de hacking connus sur les hôpitaux belges. On doit considérer cela aussi. Le patient doit être conscient que ses données peuvent fuiter, et être, dans le pire des cas, utilisées contre lui.»

Cobaye ou patient?

Damien, 25 ans, est diplômé d’un Master en langues romanes depuis près d’un an. Cela fait plus de huit mois qu’il scrute les offres d’emploi liées de loin ou de près à son domaine. Mais rien. Cette recherche au point mort l’a motivé à refaire des études cliniques, qu’il faisait déjà lors de ses études: «Cobaye, sujet d’expérimentation, patient, c’est un peu de tout ça. Je ne le prends pas mal si un copain me charie en disant que je suis un cobaye. Mais bon, je suis vachement mieux payé qu’un animal, plaisante-t-il. Je ne vais pas m’anoblir plus que je ne le suis, ce qui m’a poussé à faire ma première étude clinique, ce n’est pas tellement pour faire avancer la science. J’avais besoin d’argent rapidement, et 6.000 euros pour passer deux semaines dans un lit plus quelques visites en journée, c’est facilement gagné. Donc je comprends que pour certains je sois un cobaye. C’est comme ça que je me voyais au début. Puis au fil des essais cliniques, je n’ai jamais eu un seul effet secondaire, en une dizaine de fois. Les cobayes ne vivent pas longtemps. Moi je suis toujours en parfaite santé après tous ces tests. Enfin, d’après leurs médecins. »

Le mot «cobaye» est tabou dans le secteur. «Un cobaye c’est un rongeur domestique. Pas un être humain. Les études cliniques sur nos patients ont dépassé les tests sur des animaux depuis longtemps», rappelle une responsable d’Inokura. Ce que les centres rejettent, c’est l’idée d’un sujet passif, manipulé ou dépossédé de son consentement: «Tout essai repose sur l’adhésion du volontaire, formalisée par une procédure stricte, encadrée par un comité d’éthique et un protocole validé par l’AFMPS.»

D’après les témoignages récoltés, peu participent par pur altruisme, même si le sentiment d’utilité est présent. Etudiant, saisonnier, télétravailleur, chacun adapte sa disponibilité. Un patient ne peut participer qu’à une ou deux études par an, avec un mois d’intervalle. Certains en profitent pour réviser leurs cours, d’autres poursuivent leur activité professionnelle à distance.

Pour l’éthicien Franck Devaux, la frontière entre nécessité économique et choix libre est cruciale: «La participation doit rester un acte volontaire, réfléchi, compris dans toutes ses implications.» Les centres appliquent des critères stricts: pas de tabac, pas de traitement médical, pas d’antécédent chronique. Pendant l’étude, les constantes sont surveillées jour et nuit, les repas standardisés, l’effort physique limité. Toute anomalie peut entraîner l’exclusion immédiate.

La Belgique joue un rôle central dans ce dispositif. Elle compte sept centres spécialisés en études de phase 1. En 2022, 474 essais cliniques ont été autorisés, dont près de 80% à l’initiative de l’industrie pharmaceutique. Près de 30% portaient sur le cancer. A l’échelle européenne, la Belgique concentre environ 20% des essais oncologiques. Elle fait figure de modèle pour la rapidité d’approbation des protocoles, la qualité des infrastructures hospitalières et l’encadrement réglementaire.

Mais ce modèle scientifique repose sur un principe simple: sans volontaires, pas de données. Sans données, pas de traitement. Et sans garde-fous éthiques, pas de légitimité. Damien, lui, repartira bientôt pour une nouvelle étude  pendant l’été: «Pas en héros. Pas en cobaye. Juste en jeune homme pragmatique, qui prête temporairement son corps à une industrie en échange d’un petit coup de pouce.»

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