compléments alimentaires
Jusqu’où est-on prêt à aller pour avoir des abdos en béton? Des compléments alimentaires, voire un peu plus? © Getty Images

Des compléments alimentaires pour des abdos parfaits? «Un demi-litre de lait chocolaté après l’entraînement est tout aussi efficace»

Derrière la culture fitness en plein essor et les mirobolantes promesses des compléments alimentaires se dissimule un univers de produits douteux. Arne Heyse, chimiste et directeur de la société Nutramix, et le professeur Wim Derave (UGent), spécialiste de la nutrition sportive, distinguent ici faits réels et attentes exagérées.

«Mon fils de dix ans regarde déjà son ventre et me demande pourquoi il n’a pas de « tablettes »», soupire Arne Heyse lorsque la discussion aborde la folie du fitness chez les jeunes. Ces dernières années, la tendance s’est emballée. «Autrefois, pratiquer le fitness faisait passer pour un bodybuilder ou un marginal. Aujourd’hui, c’est devenu grand public, porté par des chaînes abordables comme BasicFit qui ont démocratisé l’accès.»

Que les jeunes prennent soin de leur corps au lieu de fixer l’écran de leur smartphone peut sembler positif. Mais il existe aussi une part d’ombre, avertit-il. «Sur les réseaux sociaux, les adolescents sont inondés d’images de corps parfaitement musclés. Les enfants voient des vedettes comme Cristiano Ronaldo, qui enlève sans cesse son maillot, et s’imaginent que c’est la norme. Or un tel physique reste inaccessible sans un dévouement extrême et de longues années d’entraînement. De plus, il faut disposer de la prédisposition génétique nécessaire.»


L’entraînement musculaire, même précoce, n’est pourtant pas négatif, nuance le professeur Wim Derave. «En une génération, la force musculaire moyenne de la population a baissé de 15%. Un programme de fitness bien conçu et rigoureusement encadré peut s’avérer bénéfique aux adolescents. Le danger surgit lorsque l’idéal bascule dans l’excès.»

Le grand risque, selon Arne Heyse, ce sont les «fitfluenceurs» sur Instagram ou TikTok. Ils promettent des résultats express: abdos dessinés en trois mois grâce à divers compléments alimentaires, ou pire, grâce au dopage. Là aussi, il constate un regain. «Dans les années 1980 et 1990, l’âge d’or d’Arnold Schwarzenegger, le dopage était monnaie courante dans le monde du bodybuilding. Tout le monde le savait, mais nul n’en parlait.»

«Par la suite, un contre-mouvement a mis davantage l’accent sur des méthodes naturelles et une approche plus saine du fitness. Mais ces cinq dernières années, le balancier est reparti du mauvais côté, explique Arne Heyse. Dans certains centres de fitness, il suffit d’un mot pour obtenir des produits dopants. Ils opèrent comme de véritables dealers, souvent via des circuits clandestins venus de l’étranger. Celui qui les vend sous le manteau peut opérer longtemps, sauf s’il est dénoncé. Mais la probabilité reste faible, car une stricte omerta règne toujours dans ce milieu

«Sur le dark Web, mais aussi sur des sites classiques, on trouve sans peine des stéroïdes anabolisants dès lors qu’on sait où chercher. La demande explose, l’offre s’aligne.

Arne Heyse cite l’exemple d’une salle belge qui a écoulé des produits dopants durant des années. «Lorsqu’une descente de police se préparait, elle était avertie par des agents qui achetaient eux-mêmes leurs anabolisants sur place. Jusqu’à il y a quelques années, un distributeur belge de compléments alimentaires menait en parallèle un commerce de dopage. Il possédait un dépôt de l’autre côté de la frontière, aux Pays-Bas, où il n’y avait aucun contrôle, et d’où il expédiait ces substances. Les autorités belges ne pouvaient rien entreprendre.»

Commander des produits dopants en ligne est encore plus simple. «Sur le dark Web, mais aussi sur des sites classiques, on trouve sans peine des stéroïdes anabolisants dès lors qu’on sait où chercher. La demande explose, l’offre s’aligne.»

© Getty Images/Tetra images RF

Les boosters de testostérone ne fonctionnent pas

Même lorsqu’il ne s’agit pas de «vrai» dopage, des risques existent. Arne Heyse attire l’attention sur les boosters de testostérone massivement promus sur les réseaux sociaux. «Il s’agit souvent d’extraits végétaux comme les saponines, dont la structure moléculaire ressemble à celle des hormones sexuelles masculines. Ils tiennent rarement leurs promesses: leur effet demeure minime.»

Le professeur Wim Derave confirme: «Les boosters de testostérone n’ont que peu d’utilité, voire aucune. Et lorsqu’ils fonctionnent, c’est qu’ils contiennent des stéroïdes anabolisants, donc du dopage. Ceux-ci peuvent bloquer la production hormonale et entraîner de graves effets secondaires: lésions hépatiques, troubles cardiaques, diabète…»

Selon Arne Heyse, l’ajout d’anabolisants ou d’autres substances dopantes à divers produits devient de plus en plus courant. «Autrefois, il pouvait arriver que des matières premières soient accidentellement contaminées, par exemple par de l’éphédrine issue de plantes poussant en Asie. Mais aujourd’hui? Si un supplément contient du produit dopant, c’est qu’il a été ajouté volontairement. Surtout en Europe de l’Est, certains producteurs recourent à des matières premières meilleur marché, comme des protéines de moindre qualité, plus riches en sucre ou en graisse. Ils y ajoutent une dose de produits dopants, et le consommateur, croyant gagner en force, en redemande. Mais c’est une pure tromperie, avec tous les risques pour la santé que cela comporte.»


Son conseil est limpide: «N’achetez jamais de produits sur des sites douteux. La probabilité qu’ils soient contaminés ou mal dosés est élevée. Pourtant, certains consommateurs le cherchent presque. Ils veulent un produit rapidement efficace. Un fabricant qui déclare honnêtement qu’il faut des années avant de voir des résultats ne vend rien.» D’ailleurs Wim Derave l’affirme: «Des études ont révélé que 15% des suppléments vendus en ligne contiennent des substances dopantes.»

Arne Heyse ajoute: «Certaines études affichent même des chiffres supérieurs –jusqu’au double–, mais tout dépend des suppléments concernés. En une heure à peine de recherche sur Internet, je peux dresser une liste de marques contaminées. Il faut cependant distinguer les marchés est- et sud-européens du marché ouest-européen. La Belgique reste un cas à part, car la réglementation y est la plus stricte d’Europe.» Il rappelle la procédure rigoureuse imposée à tout producteur désireux de commercialiser un supplément. «Les producteurs doivent demander un numéro NUT, un identifiant unique. Il est attribué après un contrôle drastique du SPF Santé publique et de l’Agence fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire. Tout est examiné: composition du produit, emballage, allégations sur l’étiquette.»

«Pour obtenir cette autorisation, le producteur doit soumettre un dossier. Les autorités décident dans un délai de trois mois si le produit peut être commercialisé. En cas de problème –ingrédient interdit ou allégation trompeuse–, il est refusé. Tous les cinq ans, certains suppléments sont réévalués afin que la formule corresponde toujours à la demande initiale. La Belgique est unique en Europe sur ce point, aux côtés de la France qui applique un système comparable.»

«Les marques belges qui respectent des règles strictes perdent des parts de marché face à des producteurs étrangers proposant des produits moins chers et plus puissants.»

Dans d’autres pays européens, les contrôles demeurent souvent minimes. «Les Pays-Bas ont longtemps été le Far West», note Arne Heyse. «Tout était possible, tout était permis. Aujourd’hui, la situation commence lentement à évoluer. Mais en Europe du Sud, et surtout en Europe de l’Est, les contrôles restent quasi inexistants.» L’Europe tente depuis des années d’élaborer une approche harmonisée, avec des règles et des contrôles communs. Mais les avancées sont lentes. «Un système uniforme de numéros NUT pour tout le continent est en discussion, mais cela traîne depuis dix ans», déplore Arne Heyse.

Cette disparité réglementaire crée une concurrence déloyale. «Les marques belges qui respectent des règles strictes perdent des parts de marché face à des producteurs étrangers proposant des produits moins chers et plus puissants. En Pologne, on peut par exemple acheter des suppléments « pre-workout » contenant 400 milligrammes de caféine, alors qu’en Belgique la limite est fixée à 80 milligrammes. Que pensez-vous que les jeunes choisiront?»

Arne Heyse met en évidence le paradoxe de la législation belge: «Le consommateur doit être protégé –et c’est une bonne chose– mais, ce faisant, on stimule l’achat de produits non réglementés venus de l’étranger. «Dans l’espace Schengen, la libre circulation des marchandises empêche de bloquer efficacement ces colis. Les autorités tentent de renforcer les contrôles en mobilisant davantage d’effectifs aux douanes, mais des milliers de paquets arrivent chaque jour. C’est impossible à maîtriser.»

Les allégations de santé constituent un autre écueil. «En Europe du Sud, où les extraits végétaux ont une longue tradition dans la médecine populaire, des affirmations comme « protège tes genoux » ou « améliore tes articulations » sont plus souvent tolérées», explique Arne Heyse.

«En Belgique, de telles allégations sont interdites, sauf si elles sont scientifiquement prouvées et figurent sur une liste européenne. Dans le cas contraire, une amende de plusieurs milliers d’euros est infligée. Un consommateur belge à la recherche d’un supplément contre les douleurs aux genoux sera donc tenté d’acheter un produit italien autorisé à faire cette promesse, même si sa qualité est moindre.» Selon Arne Heyse, le lobbying des producteurs d’Europe du Sud et de l’Est bloque l’harmonisation. «Dans le sud du continent, la filière des extraits de plantes occupe une place importante. Les fabricants font pression sur leurs gouvernements en affirmant: « Si ces allégations deviennent interdites, notre industrie disparaît. » Face à la menace de pertes d’emplois, les autorités finissent par céder.»

Contamination

Pour un sportif de haut niveau, un supplément contaminé peut briser une carrière en raison du risque de test antidopage positif. Il existe toutefois des procédures. «Des producteurs fiables font tester leurs produits dans des laboratoires comme le Laboratory of the Government Chemist (LGC) britannique ou l’Université de Cologne, après quoi ils reçoivent un certificat Informed Sport», explique Wim Derave.

Il recommande aux consommateurs de n’acheter que des produits dotés d’un tel label de qualité. «Il est également possible de vérifier la sécurité de ses suppléments en introduisant le numéro de lot (NDLR: un groupe spécifique de produits fabriqués en une seule fois dans les mêmes conditions) sur le site Internet de certains producteurs de confiance. On peut alors voir quel lot a été testé et certifié.»

Arne Heyse dénonce le processus de test: «Le LGC en a fait un véritable modèle économique, proclamant à tout-va que les compléments alimentaires sont contaminés. Or, son système est loin d’être infaillible. Il se contente d’analyser un pot par lot ou –si vous payez davantage– un second pot qu’il achète lui-même en magasin. Mais qu’est-ce que cela dit des 1.000 autres pots qui dorment dans l’entrepôt? Et le tout est exorbitant: 600 à 700 euros par analyse. Pour les petites marques, c’est tout bonnement inaccessible. »

Il évoque le système néerlandais, où les athlètes professionnels ne peuvent utiliser que des suppléments approuvés par le Comité olympique néerlandais (NOC*NSF), mais qui n’offre pas davantage de sûretés. «Il repose sur une seule analyse assortie d’un questionnaire au fabricant: ce n’est en rien une garantie. Si j’envoie un pot propre au LGC mais que je contamine le reste du lot, je ne suis même pas couvert légalement.»

Un système de contrôle piloté à l’échelle européenne, dans lequel les autorités mèneraient les analyses tout en maintenant les coûts à un niveau abordable, pourrait constituer une solution, estime Arne Heyse. «Si une analyse ne révèle rien de suspect, le producteur n’a rien à payer. Mais si l’on découvre du dopage, une lourde amende s’impose. Voilà qui inciterait à produire de manière irréprochable.»

Il mentionne aussi un autre risque: les préparations de compléments alimentaires par les pharmacies. «J’ai connu trois cas d’athlètes belges contrôlés positifs de cette manière. Dans une pharmacie peuvent subsister des traces de substances interdites, comme les corticoïdes. Si le matériel n’est pas parfaitement nettoyé, une trace infime peut subsister. Et les tests antidopage actuels sont si sensibles qu’ils détectent une goutte dans une piscine

«Même pour des amateurs engagés dans des marathons ou des Ironman, l’alimentation de base reste déterminante.»

Utile ou non?

Avec tous les risques évoqués, reste la question: les suppléments sont-ils réellement efficaces? «Ils peuvent, surtout pour les athlètes de haut niveau, apporter peut-être 1 à 2% de différence, indique Wim Derave. Mais la base –les 98% restants– repose sur une alimentation variée et saine. Pour les sportifs amateurs qui s’entraînent au maximum cinq à dix heures par semaine, un meilleur entraînement procure bien plus de résultats. Perdre un ou deux kilos, ou simplement boire et manger suffisamment lors d’efforts prolongés, a davantage d’effet. A ce niveau, les erreurs coûtent bien plus cher à la performance que l’absence de suppléments. Même pour des amateurs engagés dans des marathons ou des Ironman, l’alimentation de base reste déterminante.»

Les shakes protéinés, eux aussi très populaires, ne sont pas indispensables. «Pour la musculation, les protéines sont bien sûr essentielles, mais on peut en obtenir autant dans le poulet, les œufs, le poisson, les haricots ou le yaourt, précise Arne Heyse. Un shake n’est rien d’autre qu’une solution pratique.» Wim Derave confirme: «Un demi-litre de lait chocolaté après l’entraînement fonctionne tout aussi bien que des poudres coûteuses de protéines de lactosérum.»

Wim Derave insiste néanmoins sur l’importance de dépister d’éventuelles carences par une analyse de sang. «En hiver, beaucoup présentent un déficit en vitamine D faute d’ensoleillement suffisant. Une carence en fer, qui limite la production de globules rouges, est également fréquente, surtout chez les sportifs d’endurance. Dans ce cas, des compléments alimentaires peuvent s’avérer utiles. Pour le magnésium ou le zinc, c’est plus complexe. Le magnésium se trouve principalement dans les cellules, plutôt que dans le sang, ce qui rend la mesure d’une carence difficile.»

Il met en garde contre la prise aveugle de suppléments sans preuve d’un déficit. «Certaines substances, comme la vitamine B12, sont mal absorbées par les intestins. Des comprimés supplémentaires n’apportent alors pas toujours de solution et il faut parfois recourir à des injections. C’est un problème médical, pas une simple affaire de compléments à avaler.» Arne Heyse souligne enfin que certains suppléments sont superflus. «Les gens s’imaginent avoir besoin de sélénium ou de chrome, parce que des marques le répètent pour vendre leurs produits. Mais les carences en ces substances sont très rares

«Un guide maison est rarement judicieux»

Selon Wim Derave et Arne Heyse, certains suppléments possèdent néanmoins une efficacité scientifiquement démontrée, comme la caféine et la créatine. «La caféine améliore la vigilance et atténue la fatigue, aussi bien lors d’efforts courts que prolongés. La créatine accroît les réserves d’énergie dans les muscles pour des efforts explosifs, comme les sprints. Mais pour l’endurance, comme le marathon, elle est inutile», explique Wim Derave.

La bêta-alanine et le bicarbonate constituent d’autres options contre l’acidification. «La bêta-alanine augmente le taux de carnosine dans les muscles, ce qui aide pour des efforts de une à dix minutes. Le bicarbonate agit comme un tampon: il capte l’excès d’acide et le neutralise afin de maintenir l’équilibre du pH sanguin. Il peut toutefois provoquer des troubles gastriques si le dosage est inadapté. D’où la nécessité d’être accompagné par des diététiciens du sport ou des nutritionnistes avant d’envisager de tels suppléments. Un guide maison est rarement judicieux.»

Arne Heyse plaide pour une meilleure éducation à la physiologie et à la nutrition, en particulier chez les jeunes. «Les écoles doivent leur enseigner ce qu’est un corps normal et rappeler qu’un six-pack n’est pas à la portée de tous. Les enfants ignorent souvent que les protéines abondent déjà dans les haricots, le poulet ou le poisson. Ils se tournent vers les boosters de testostérone ou les shakes protéinés parce que les réseaux sociaux les valorisent. Si on leur montre comment atteindre leurs objectifs avec une alimentation simple et saine, ils n’auront pas besoin de recourir à des suppléments douteux, voire du dopage.»

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