Les Belges de retour de nombreuses régions françaises doivent respecter un délai de 28 jours avant d’être autorisés à donner leur sang. © Getty Images

De retour de France? Pourquoi votre sang est considéré comme à risque: «Une épidémie comme on n’en a jamais vu»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Les voyageurs en provenance de nombreux départements français doivent respecter un délai de 28 jours avant de donner leur sang. Des cas autochtones de chikungunya, transmis par le moustique tigre, ont en effet été recensés dans l’Hexagone, forçant la Croix-Rouge à redoubler de prudence.

C’est une saison particulièrement redoutée. Chaque été, dans les hôpitaux, l’inquiétude grandit à mesure que les stocks de sang s’amenuisent. Mais cette année, la période de vache maigre s’est littéralement muée en pénurie criante. Si bien que le Service du Sang de la Croix-Rouge a lancé, mercredi, un appel «super-urgent» aux dons.

Le coupable de cette situation alarmante n’est autre qu’un envahisseur à six pattes: le moustique tigre. Cet insecte, vecteur de plusieurs virus comme le chikungunya, la dengue ou le zika, était autrefois cantonné aux régions tropicales. Or, depuis plusieurs années, l’Aedes albopictus s’est également adapté au climat européen et a envahi de nombreux territoires moins exotiques. Ces maladies infectieuses se transmettent donc aujourd’hui dans des destinations touristiques dont sont férus les Belges.

Ainsi, cet été, une centaine de cas «autochtones» de chikungunya ont été recensés en France. «Il s’agit donc de personnes qui ont été piquées par un moustique tigre sur le territoire français et qui ont ensuite développé la maladie, précise Emmanuel Bottieau, professeur à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers (IMT). Avant, les cas détectés en Europe concernaient plutôt des voyageurs qui revenaient de pays plus lointains. Or, ici, la transmission se fait sur le sol européen, ce qui rend évidemment les choses un peu plus préoccupantes.»

154 cas en France

Une nouvelle donne qui oblige la Croix-Rouge à redoubler de prudence dans sa sélection de donneurs. Et à imposer un délai de 28 jours pour tout candidat au don de retour de pays considérés comme «sûrs» jusqu’alors. Sur la liste des zones à risques figurent aujourd’hui, aux côtés de la République dominicaine ou de l’Inde, l’Emilie-Romagne (Italie) ainsi que plusieurs départements français comme la Drôme, le Gard, les Landes, les Pyrénées-Atlantiques ou même… le Bas-Rhin (Alsace). Résultat: le taux de refus au don à la suite d’un voyage a presque doublé au cours des deux dernières semaines. 

«Des cas de chikungunya dans le Bas-Rhin, c’est totalement inédit, observe le Dr Nicolas Dauby, infectiologue au CHU Saint-Pierre. Et en même temps, c’était attendu au vu de l’expansion du moustique tigre en France.» Avec un vecteur de transmission «omniprésent» dans la majorité des départements, des conditions météo favorables à la persistance du virus et à sa circulation, les conditions sont réunies pour une «épidémie comme on n’en a jamais vu», ajoute le professeur à la Clinique du Voyage. «On a même constaté des cas très précoces, dès le mois de juin».

Au total, 154 cas ont été recensés cet été dans l’Hexagone, selon les dernières données de Santé publique France datant du 20 août. Ces contaminations résultent de 27 épisodes de transmission différents, dont six sont désormais clos. «Ce sont un peu comme des clusters localisés, précise Emmanuel Bottieau. Chaque épisode peut entraîner une trentaine de cas.»

Un excès de prudence?

Malgré son caractère inédit, l’épidémie française apparaît bien moins sérieuse que celles ponctuellement observées dans des zones tropicales, comme à la Réunion ou à Madagascar, par exemple. Le risque infectieux, pour le touriste belge de retour de France, reste donc «très, très faible», estime Emmanuel Bottieau. «D’autant que, huit fois sur dix, les patients qui contractent la maladie sont symptomatiques, rappelle le professeur de l’Unité de médecine tropicale à l’IMT. Ils vont donc développer de fortes fièvres et des douleurs musculaires.» Or, la fièvre fait justement partie des contre-indications aux dons de sang.

La Croix-Rouge pécherait-elle donc par excès de prudence? En réalité, peu d’alternatives s’offrent à elle. «Pour éviter le risque de transmission de l’agent pathogène lors de la transfusion, il y a deux options, expose Marie-Pierre Rodenbach, directrice du Laboratoire d’Analyses Biologiques au Service du Sang de la Croix-Rouge. Soit on écarte les donneurs à risques pendant 28 jours, soit on les teste. Or, à l’heure actuelle, nous ne disposons pas de dispositif capable de déceler le virus du chikungunya dans le sang du donneur, contrairement à d’autres maladies tropicales, comme le virus du Nil occidental que nous testons depuis l’été dernier.» Si le dispositif technique existe, il est très réglementé et nécessite des autorisations de la part de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS). Un protocole de validation chronophage qui n’aboutira pas avant plusieurs mois.

«Forcément, ces restrictions ne nous arrangent pas du tout, car cela impacte nos stocks, alors que l’été est déjà une période critique. Mais nous préférons ne prendre aucun risque et jouer la carte de la sécurité maximale.»

En attendant, la Croix-Rouge prend son mal en patience. «Forcément, ces restrictions ne nous arrangent pas du tout, car cela impacte nos stocks, alors que l’été est déjà une période critique, reconnaît Marie-Pierre Rodenbach. Mais nous préférons ne prendre aucun risque et jouer la carte de la sécurité maximale.» D’autant que la majorité des dons de sang sont destinés à des patients fragiles ou immuno-déprimés. «La personne qui dispose d’un bon système immunitaire s’en sortira sans trop de complications, mais pour les patients chroniques ou atteints d’un cancer, ce genre de virus peut résulter en des formes graves, avertit Nicolas Dauby. Ca peut très mal finir

Une «nouvelle normalité»

Concrètement, les restrictions de la Croix-Rouge sont actualisées chaque semaine. Dès qu’un cas autochtone d’un virus tropical est identifié par les services de surveillance épidémiologiques locaux, la zone concernée est ajoutée à la liste. Les délais d’écartement pour les donneurs varient d’un continent à l’autre ainsi que d’un type de don à l’autre (sang, plaquettes ou plasma). «Lorsque le sang est prélevé, la poche est ensuite séparée en trois produits différents: les globules rouges, le plasma et les plaquettes, rappelle la Croix-Rouge. Le plasma et les plaquettes peuvent être viro-inactivées, c’est-à-dire subir un traitement capable de détruire les agents pathogènes, ce qui peut expliquer leur exclusion de l’ajournement de 28 jours dans certains cas.»

Si la Croix-Rouge est déjà confrontée à des stocks vides cet été, la situation ne risque pas de s’améliorer dans le futur. En effet, selon une étude du Lancet Planetary Health publié mi-mai, la dengue et le chikungunya pourraient bientôt devenir endémiques en Europe. Cette année, le Vieux Continent a d’ailleurs enregistré un nombre record de cas de maladies transmises par les moustiques, notait mercredi le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC). Une «nouvelle normalité» due au changement climatique, impliquant une hausse des températures, des hivers plus doux et une modification de la pluviométrie.

Si, en Belgique, le moustique tigre a déjà été détecté dans 21 communes, aucune transmission autochtone de chikungunya ou de virus tropical n’a (encore) été recensée. «Les seuls cas identifiés ont été diagnostiqués chez des voyageurs de retour de régions où le virus circule», confirme l’institut national de santé publique belge, Sciensano.

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