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En Belgique, la dispensation à l'unité n’est pas autorisée, mais, pour lutter contre le gaspillage et combattre les risques sanitaires, certains politiques souhaiteraient que la loi change. © Getty Images

Condamnés pour avoir vendu des médicaments à l’unité: la DAU bientôt autorisée en Belgique?

En France, la vente de médicaments à l’unité a valu une interdiction d’exercer à deux pharmaciens militants. En Belgique, la dispensation à l’unité (DAU) n’est pas non plus autorisée, mais, pour lutter contre le gaspillage et combattre les risques sanitaires, certains politiques souhaiteraient que la loi change. Des mesures pourraient être prises.

Dix, 20, 30, ou peut-être même 90. Les boîtes de médicaments prescrites par le médecin contiennent parfois plus de gélules que ce qui sera consommé par le patient. Ces médicaments, une fois le traitement achevé, finissent au fond d’un tiroir, attendant le prochain grand nettoyage de printemps, ou peut-être la résurgence de la maladie qui a provoqué leur achat. Bref, ils sont très vite oubliés.

Pour lutter contre ce gaspillage, combattre le risque de surdosage et surtout pour agir face aux pénuries, deux pharmaciens français ont décidé de prendre les choses en main. Bien que cela soit illégal dans l’Hexagone –à l’exception, notamment, des antibiotiques–, ils vendaient des médicaments à l’unité et s’en étaient expliqué, en 2024, dans les colonnes de Mediapart, racontant pourquoi ils avaient commencé en 2019 à la suite d’une pénurie de corticoïdes, pour ensuite étendre à d’autres traitements en tension d’approvisionnement.

«Plus les gens sont malades, plus on gagne notre vie, mais, pour nous, la pharmacie, ce n’est pas pousser à l’achat de boîtes.»

Concrètement, ils facturaient la boîte de médicaments au premier patient en ne lui donnant toutefois que le nombre de cachets nécessaire pour traiter ses maux. Le reste, soigneusement découpé dans leur emballage hermétique, était conservé puis donné aux clients suivants. Plutôt que d’écouler plusieurs boîtes, ils n’en vendaient qu’une, qui servait à plusieurs personnes. Pas très rentable pour les deux pharmaciens, mais un acte de «désobéissance civile» qui leur tenait à cœur. «Plus les gens sont malades, plus on gagne notre vie, mais, pour nous, la pharmacie, ce n’est pas pousser à l’achat de boîtes. C’est d’abord être les gardiens des poisons», clament-ils auprès de Libération.

Le 30 avril dernier, le Conseil régional de l’Ordre des Pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine a interdit au couple d’exercer sa profession durant six mois, dont quatre avec sursis. Les deux pharmaciens ayant fait appel, la sanction est donc suspendue. Pour appuyer ses revendications, ils ont lancé une pétition, qui, à l’heure d’écrire ces lignes, rassemble déjà 9.750 signatures.

La vente de médicaments à l’unité en discussion en Belgique

A l’instar de la France, la dispensation à l’unité (DAU) est actuellement interdite en Belgique, sauf pour certains médicaments distribués dans les maisons de repos. Le CD&V voudrait néanmoins qu’elle soit généralisée au reste de la population pour l’administration d’antibiotiques, d’opioïdes et de psychotropes. Les chrétiens-démocrates arguent qu’une telle mesure permettrait d’éviter le gaspillage, mais aussi la surconsommation médicamenteuse. Outre la prévention auprès de la population, via des campagnes ou par le biais des pharmaciens, le parti flamand souhaite que les médecins ne prescrivent plus seulement des médicaments, mais qu’ils précisent aussi la quantité à délivrer aux patients.

Le dossier est sur la table du fédéral. En 2024, Frank Vandenbroucke (Vooruit) disait espérer le boucler avant la fin de la précédente législature, au sein de laquelle il occupait déjà le poste de vice-Premier ministre de la Santé publique. Si l’Arizona n’a pas (encore?) pris de mesures en la matière, la dispensation à l’unité figure toutefois bien dans l’accord de gouvernement.

Sanitairement, oui; économiquement, «ça n’a pas d’intérêt»

Pour l’Association pharmaceutique belge, la DAU peut être envisagée si l’objectif premier est la santé, en permettant, par exemple, «de lutter contre la résistance aux antibiotiques», estime Nicolas Echement, son porte-parole. «En revanche, si la décision est prise pour des raisons économiques et que cela augmente la charge de travail des pharmaciens, ça n’a pas d’intérêt.» En effet, la plupart des médicaments sont vendus sous forme de plaquettes, et les industriels du secteur pharmaceutique ne prévoient pas, à l’heure actuelle, de modifier ces conditionnements. Avec l’autorisation de la vente de médicaments à l’unité, il incomberait donc aux officines de reconditionner chaque médicament. Avec un autre problème de taille: la traçabilité.

«La vente à l’unité serait l’enfer! C’est impensable pour les petites officines familiales comme la nôtre.»

Plutôt que la dispensation à l’unité, pour limiter le nombre de comprimés vendus, l’APB plaide pour «une distribution intelligente des médicaments». «Il est préférable de prescrire une durée de traitement. Par exemple, un médecin prescrit un traitement par antibiotiques d’une semaine, à raison de trois cachets par jour, et le pharmacien s’adapte en vendant la boîte qui correspond au mieux au nombre de gélules à prendre, poursuit le porte-parole. En général, les conditionnements d’antibiotiques correspondent aux habitudes de prescriptions.»

Les groupes pharmaceutiques restent, en outre, maîtres du conditionnement. Il faut dire qu’il «est plus rentable pour eux de produire des boîtes que des comprimés à la pièce», admet Nicolas Echement.

Une mesure impossible à mettre en place

Le Vif a pris la température auprès de pharmaciens et pharmaciennes belges, qui ont préféré taire leurs noms. Si certains ne sont pas fondamentalement contre l’élargissement de la DAU, tous soulèvent deux grandes limites: la première, la traçabilité des médicaments; la seconde, la charge de travail supplémentaire. «Ce serait l’enfer!, annonce tout de go le patron d’une pharmacie de Charleroi. Dans des grandes pharmacies, à la rigueur, cela pourrait être possible, mais c’est impensable pour les petites officines familiales comme la nôtre.»

C’est pourtant plus ou moins ce que font déjà les pharmacies avec la préparation de médication individuelle (PMI) pour les maisons de repos. «On reçoit les médicaments dans des boîtes, on les déblisterise, on les met dans une machine qui trie automatiquement les comprimés en fonction de la posologie pour chaque patient, et les reconditionne dans des sachets», indique un employé de pharmacie de la région liégeoise. Selon lui, cette pratique est faisable à une échelle restreinte, en l’occurrence pour les homes, mais pas à celle de la Belgique.

«Est-ce la faute des boîtes, qui sont trop grandes, ou celle des patients qui arrêtent leurs traitements plus tôt que ce que le médecin a prévu?»

Quant à l’argument de gaspillage, selon le pharmacien carolo, cela ne ferait que déplacer le problème des tiroirs des foyers aux pharmacies, qui auraient sur les bras plusieurs unités de médicaments qu’elles ne pourraient pas écouler. Pour éviter ce gaspillage, les industriels pourraient-ils réduire la taille des boîtes de produits pharmaceutiques? L’apothicaire tourne le problème dans un autre sens: «Est-ce la faute des boîtes, qui sont trop grandes, ou celle des patients qui arrêtent leurs traitements plus tôt que ce que le médecin a prévu?», s’interroge-t-il. Selon un rapport de l’Observatoire Jamla, 25% des médicaments prescrits par les médecins ne seraient pas pris par les patients, surtout parmi ceux atteints d’une maladie où le risque est mortel.

L’une des solutions, selon ce dernier pharmacien exerçant à Namur, est la préparation magistrale. «Bien qu’il existe des controverses infondées sur la qualité des médicaments, c’est une manière de garantir qu’il n’y aura ni de gaspillage, ni de surconsommation», avance-t-il. L’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (Afmps) abonde: «Elle offre la possibilité d’individualiser la médication en l’adaptant à la situation du patient, ainsi que celle de combiner plusieurs ingrédients, ce qui peut réduire le nombre de médicaments différents à prendre par jour et augmenter ainsi la compliance du patient.»

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