Face à la pénurie de médecins généralistes en zones rurales, certaines communes tentent de les attirer en offrant des avantages parfois considérables: logement offert pendant six mois, bonnes relations assurées avec le pouvoir local, subsides de fonctionnement… Mais la réalité est plus dure, entre changements de mentalités de la révèle médicale et manque d’effectifs.
A Rebecq, commune de l’extrême ouest du Brabant wallon, il faut parfois une dizaine d’appels avant d’obtenir une consultation en urgence avec un généraliste. Une situation de pénurie qui va en s’empirant, à l’image de la majorité des communes de Wallonie. Selon une étude de l’IWEPS de 2025, 48% des Wallons vivent dans une zone de sous-offre, 86 communes sont en pénurie et 62 en situation sévère.
«A la suite d’un accident, l’un des médecins de la commune est décédé, explique l’échevine de la santé de Rebecq, Pina Fulco (sans apparentement). Nous sommes passés de neuf à huit professionnels. Dans les années qui vont suivre, deux d’entre eux vont prendre leur retraite. Il faut les remplacer, sinon notre population manquera de soins. Nous avons essayé d’attirer des jeunes généralistes pendant près de deux ans. Sans résultat. Ce n’est que dernièrement avec une promesse d’aide au logement que nous avons pu trouver une candidate volontaire. Nous avons dû nous débrouiller seuls.»
Avec ses huit généralistes pour 11.200 habitants, le taux de la commune est d’un pour 1.500. Une situation jugée «proche de la pénurie.» Pour pallier cela et anticiper les futurs départs à la retraite, l’échevine de la santé de Rebecq a proposé d’offrir six mois de loyer aux médecins qui souhaitent s’installer dans la commune. Une aide qui s’ajoute aux primes «Impulséo» de la Région wallonne: 20.000 euros pour une installation dans une commune en pénurie et 25.000 euros dans une commune en pénurie sévère (valable jusqu’au 31 décembre 2025). Mais cela ne suffit pas toujours à attirer les généralistes.
Le docteur David Simon, administrateur de l’Absym (Association belge des syndicats médicaux), explique que son syndicat a proposé six mesures au fédéral et entités fédérées pour inciter l’installation de médecins généralistes dans les communes: «Nous proposons que la commune mette en place un cabinet gratuit pendant cinq ans, sans ingérence, verse une prime mensuelle durant les études en échange d’une installation de cinq ans, et exonère les taxes locales aussi pendant cinq ans pour ceux qui s’installent et y résident. Nous demandons aussi que la Région finance 100% du secrétariat pendant cinq ans en zone de pénurie, que des sous-quotas Inami supplémentaires soient réservés aux médecins qui s’y implantent, et que l’indemnité de déplacement aujourd’hui rurale soit étendue à tout le pays.»
Ces propositions ont été jugées «irréalistes et hors sol», tant par les pouvoirs locaux que régionaux.
«Généralistes, engagez-vous!»
L’enjeu pour les 148 communes en situation de pénurie est double. Il faut recruter, attirer, quitte à mettre la main au portefeuille. Mais selon le cadastre de 2024 tenu par l’AViQ, la Wallonie n’a numériquement pas assez de généralistes pour combler son déficit: «Pour espérer atteindre le seuil de sortie de la pénurie, la Wallonie a besoin de 145 généralistes supplémentaires. A cela s’ajoutent les 585 remplacements requis dans les cinq ans pour combler les départs à la retraite.»
Le second problème réside dans la transformation de la profession. Amélie Pierre, sociologue à l’UNamur et spécialiste des ressorts de l’accessibilité aux soins, explique ce changement de mentalité: «La nouvelle génération de médecins préfère s’installer dans les villes avec des conditions de travail spécifiques. Ils ont une vision de leur profession qui diverge avec celle de leurs aînés. Les jeunes médecins ne veulent plus nécessairement se consacrer corps et âme à leur travail. Ils envisagent un autre équilibre entre vie privée et professionnelle. La disponibilité du médecin de famille disponible à toute heure tend à disparaître».
En plus de la pénurie déjà en place et du vieillissement des professionnels du secteur (l’âge moyen des généralistes est de 51 ans), vient donc s’ajouter une restructuration plus générale du temps de travail poussée par une génération qui accepte moins volontiers les surcharges de travail.
«Je suis du même parti qu’Yves Coppieters (Les Engagés), mais je ne comprends pas qu’il laisse les communes gérer ses compétences à sa place»
Appels à l’aide à la Région wallonne
«Ce n’est pas aux communes de régler une pénurie nationale. Nous avons peu de solutions à notre échelle », explique Marc Caprasse (Les Engagés), échevin de la santé à Houffalize. Sa commune de 5.307 habitants ne compte plus que deux généralistes d’une petite soixantaine d’années chacun. La pénurie y est tangible. La province du Luxembourg est la plus gravement touchée avec 41 communes sur 44 dans cette situation.
Un problème global, sur lequel l’échevin bute malgré ses efforts: «Sur nos deux généralistes, l’un a accepté de prendre des stagiaires. L’autre a refusé pour des raisons personnelles. S’ajoute à cela le manque d’infrastructures, et voilà comment on occupe le haut du tableau des communes en pénurie. Nous n’avons pas les moyens d’investir dans un cabinet médical et donc pas la possibilité d’offrir des avantages à des jeunes diplômés afin de les attirer. Après de longues discussions avec l’un de nos deux médecins, ce dernier a accepté d’investir avec son propre capitale dans un cabinet médical. C’était inespéré. Cela nous permettra d’y installer de potentiels généralistes. Mais ce n’est pas normal qu’il faille en arriver là. Je suis du même parti qu’Yves Coppieters (Les Engagés), mais je ne comprends pas qu’il laisse les communes gérer ses compétences à sa place. La Région wallonne doit s’emparer plus sérieusement du problème.»
Plusieurs autres échevins contactés se plaignent d’un manque de réactivité du ministre wallon de la Santé, Yves Coppieters. Ce dernier répète pourtant que «réduire la fracture médicale entre les villes et les campagnes est une priorité de cette législature».
Pour ce faire, la Région wallonne a mis en place un Plan stratégique wallon (PAC 2023-2027) qui vise à «soutenir les investissements dans les infrastructures de santé afin d’attirer les praticiens dans les zones moins habitées». Ce plan représente une enveloppe de 1,2 million d’euros et est disponible pour financer des appels à projets, achats ou rénovations immobilières avec un plafond de 75.000 euros pour les équipements et 125.000 euros pour les immeubles. De quoi satisfaire l’échevin d’ Houffalize qui rêve d’une maison médicale.
Mais une clause de l’appel rend l’opportunité caduque: «Seuls les travaux ne nécessitant pas de permis d’urbanisme seront éligibles». Raté. A cela s’ajoute la difficulté de recruter des généralistes sans pouvoir leur proposer un local et «le serpent se mord la queue», conclut Marc Caprasse.