Addiction au système de récompense, ancrage dans la routine alimentaire, besoin croissant de réconfort: plusieurs facteurs neurobiologiques peuvent expliquer la dépendance au sucre.
«Le sucre, c’est mon réconfort émotionnel. Quand le moral est au beau fixe, je m’en passe facilement. Mais en cas de coup dur, il vient souvent à ma rescousse.» A l’instar de Marie, 27 ans, nombreux sont les Belges à éprouver des difficultés à se passer de sucre. Au-delà de l’influence de l’industrie agroalimentaire et des spots publicitaires qui contribuent à rendre accros, la dépense au sucre s’explique en outre par des facteurs neurobiologiques.
Car le sucre, c’est d’abord du plaisir. Ingérer un aliment sucré active le système de récompense du cerveau, en libérant le plus célèbre des neurotransmetteurs: la dopamine. Associée au bien-être et à la jouissance, elle entraîne un sentiment (temporaire) de satisfaction dans l’organisme.
Deux cerises acidulées en bouche, et hop, direction le septième ciel. Et puis, vient l’envie irrépressible d’une troisième, d’une quatrième… ou d’une dixième. Bien que le sucre ne soit pas (encore) reconnu médicalement et légalement comme un aliment addictif, «ses effets peuvent entraîner des comportements très proches de l’addiction», assure Régis Radermecker, professeur de pharmacologie à l’ULiège et président de l’Association belge du diabète.
D’autant que, plus l’organisme consomme du sucre, plus sa sensibilité à la dopamine augmente. «C’est un cercle vicieux assez pervers», reconnaît le diabétologue. Rien que la vue d’un aliment sucré, sans même le toucher, provoque déjà une série d’agitations dans le cerveau, par anticipation du circuit de récompense.
Sucre: un comportement inné
Se pose alors une question: pourquoi le corps remercie-t-il d’ingérer un aliment dont il connaît paradoxalement les méfaits? «Les dommages d’une consommation excessive de sucre ont été acquis par notre savoir, précise Nicolas Guggenbühl, diététicien-nutritionniste et professeur à la haute école Léonard de Vinci, à Bruxelles. Or, notre organisme, lui, fonctionne toujours selon des comportements innés.»
La physiologie humaine a en effet été façonnée à l’âge de pierre, dans un environnement plutôt hostile. «A cette époque, l’être humain cherchait avant tout à survivre et à faire face au manque, contextualise l’expert chez Karott, spécialiste de la communication santé, nutrition et alimentation. Notre organisme a donc développé une avidité effrénée pour tout ce qui est pour lui un signe distinctif de survie.» Et pour les calories, sources d’énergie indispensables à son bon fonctionnement. Les éléments sucrés étant les premiers aliments comestibles dans la nature, l’homme s’y est prioritairement intéressé. Résultat: l’ingestion de cette énergie sucrée a été durablement intégrée comme un signal positif pour l’organisme.
Grâce au circuit de récompense qu’il active, le sucre s’apparente à une source instantanée (et bon marché) de réconfort. Un petit plaisir parfois ancré dans les habitudes, octroyé à la fin d’un repas ou à la pause-café de 11 heures. «Certains disent: « Moi, je suis sucré », note Régis Radermecker. Mais cette inclination prononcée pour le sucre n’a rien de naturel. Elle est simplement le résultat d’une accoutumance des papilles à ce goût plaisant, souvent à certains moments clés de la journée.» Cet ancrage dans la routine alimentaire quotidienne renforce la dépendance au sucre et rend sa suppression (même temporaire) extrêmement difficile.
Un mal-être croissant
A l’instar d’autres drogues, les périodes d’abstinence peuvent entraîner des effets secondaires et être particulièrement complexes à endurer pour l’organisme. «Entre le deuxième et le dixième jour de sevrage, des maux de tête ou de la fatigue peuvent se manifester, tout comme de l’irritabilité et une baisse d’énergie», précise Marie de Giey, nutritionniste et fondatrice de la plateforme de conseils My Okinawa. Des symptômes transitoires, mais décourageants.
Au-delà des habitudes, l’envie de sucre peut également être déclenchée en réponse à un événement négatif soudain. «Dans des situations de stress, de tristesse ou d’émotions extrêmement négatives, l’organisme va se sentir menacé et enclencher des mécanismes de survie», rappelle Nicolas Guggenbühl. Et par conséquent, à nouveau, se diriger naturellement vers des aliments caloriques et énergétiques, comme les sucres raffinés ou les graisses saturées. Si ce besoin de «manger ses émotions» est courant, il peut, selon sa gravité, s’apparenter à un véritable trouble du comportement alimentaire (TCA).
Ce recours émotionnel au sucre serait aujourd’hui «en plein boom». En cause: la dégradation progressive de la santé mentale de la population. «Face au mal-être généralisé qui prévaut au sein de notre société, l’appel réconfortant du sucre se manifeste de plus en plus, confirme Régis Radermecker. Car le moyen le plus rapide et économique de lutter contre l’isolement et la tristesse, c’est de se tourner vers ce genre d’aliments.» D’ailleurs, la hausse des troubles dépressifs et des burnouts, principalement chez les jeunes, est de «mauvais augure» pour l’avenir, s’inquiète Nicolas Guggenbühl: «Plus on vivra dans un monde anxiogène, plus on observera ce type de phénomène, qui constitue une menace sérieuse pour la santé publique.»