Sous forme de patch ou de gel, les traitements hormonaux à base de testostérone sont plébiscités par de plus en plus de femmes, notamment outre-Atlantique. © Getty Images

«Ca m’a ramenée à la vie»: la testostérone, nouveau culte des femmes en quête d’énergie et de libido (et tant pis pour les effets secondaires)

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Sur les réseaux sociaux, les traitements hormonaux à base de testostérone sont vantés comme des élixirs de désir et de seconde jeunesse. Particulièrement populaire chez les femmes ménopausées, la tendance présente pourtant de nombreux effets secondaires, notamment en cas de surdosage.

La scène transpire l’insouciance de l’adolescence. A la nuit tombée, devant l’enseigne d’un supermarché, deux copines s’esclaffent jusqu’à en avoir des crampes aux ventres. L’une installée dans le caddie, l’autre aux manettes du bolide de fortune, elles dévalent les allées du parking à toute allure. La mélodie Good To be Alive, qui résonne en arrière-plan, confère à la séquence une dimension presque féérique.

Sauf que les deux complices se rapprochent plus de la cinquantaine que de la vingtaine, et que la désinvolture de la vidéo sert de prétexte à vanter les effets d’un traitement hormonal. Sur sa page Instagram, l’influenceuse américaine Marcella Hill raconte comment la testostérone l’a «ramenée à la vie», entre libido décuplée, nouvel élan d’énergie et douleurs osseuses mystérieusement dissipées. Des témoignages qui concordent avec des milliers d’autres, référencés sous les hashtags #testosteroneforwomen ou #hormonetherapy.

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Particulièrement prisé des femmes (pré-)ménopausées (les actrices Halle Berry ou Gwyneth Paltrow en ont d’ailleurs loué tous les bienfaits), le traitement gagne également en popularité parmi les trentenaires ou les quadragénaires aux Etats-Unis. Pourtant, à ce jour, aucune formulation adaptée à la physiologie féminine n’est commercialisée par la Federal Drug Administration (FDA). Les femmes se procurent donc des gels ou des patchs destinés à l’usage masculin, via des sites de vente en ligne, des centres de bien-être ou des nutritionnistes. Au risque de développer de sérieux effets secondaires. «Les patientes qui utilisent de la testostérone à des « doses masculines » s’exposent à une perte de cheveux, à une pilosité très augmentée, une peau grasse ou de l’acné, soit tous les ennuis d’une hyperandrogénie classique», confirme Axelle Pintiaux, endocrinologue et gynécologue au CHU de Liège.

Des médecins «démunis»

En Belgique, la pratique semble plus marginale et reste avant tout limitée à l’usage purement médical. La testostérone est par exemple prescrite à des femmes qui ont subi une annexectomie (ablation des annexes utérines, trompes et ovaires), ou une ovariectomie (ablation des ovaires). «Ces jeunes femmes, privées de leurs ovaires, ne vont plus ovuler et donc être incapables de fabriquer un taux de base de testostérone, ce qui peut avoir un impact important sur leur qualité de vie et leur sexualité, pointe Axelle Pintiaux. Car du jour au lendemain, elles se retrouvent avec 50% d’androgènes en moins.»

Bien qu’elle soit produite en bien moins grande quantité chez la femme par rapport à l’homme, la testostérone reste en effet une hormone cruciale pour le sexe féminin. Elle joue notamment un rôle essentiel dans la fonction sexuelle, dans le développement de la force musculaire et osseuse ou dans la régulation de la fonction cognitive. L’endocrinologue liégeoise se souvient par exemple d’une patiente avocate, qui avait subi une annexectomie en raison de tumeurs ovariennes, et qui se plaignait de ne plus avoir l’énergie nécessaire pour assurer ses plaidoiries. «Elle disait ne plus avoir le même punch et « l’agressivité » nécessaire pour défendre ses clients, se remémore Axelle Pintiaux. La testostérone a permis de la remettre au niveau.»

Mais en Belgique, même pour ces cas médicaux, il n’existe aujourd’hui aucun traitement adapté spécifiquement à la physiologie féminine. «Autrefois, il existait un patch de testostérone commercialisé par une société française et autorisé sur le marché belge, que l’on prescrivait à nos patientes, précise Axelle Pintiaux. Mais il a été depuis été retiré de la vente pour des raisons purement commerciales, car la demande n’était pas assez élevée chez nous.» Aujourd’hui, les médecins belges se retrouvent donc «un peu démunis» face à l’absence de produits créés sur mesure pour les femmes, reconnaît l’endocrinologue. «Nous n’avons pas d’autres choix que de prescrire des traitements habituellement réservés aux messieurs, mais à des doses évidemment bien plus faibles

«Il n’existe en Belgique aucun traitement à base de testostérone adapté à la physiologie féminine.»

Le business de la détresse

La testostérone sous forme de gel, à appliquer sur la peau, est la plus plébiscitée par les spécialistes, car plus sécurisée. «Il existe des formules en comprimés, mais qui s’avèrent nettement plus toxiques car l’ingestion passe par le foie, ce qui peut entraîner des altérations hépatiques, met en garde Axelle Pintiaux. Certaines sportives adeptes du bodybuilding ont également recours à des injections de testostérone pour maximiser leur masse musculaire. Mais cela peut s’accompagner de problèmes de virilisation encore plus intenses, et entraîner à haute dose une hypertrophie clitoridienne (NDLR: un grossissement excessif et anormal du clitoris)

En dehors de ces cas spécifiques, la testostérone peut également être prescrite à des patientes ménopausées, dont le taux de sécrétion est en moyenne réduit de moitié par rapport à celui des jeunes femmes. «Mais avant d’en arriver là, il faut d’abord une prise en charge globale et explorer d’autres traitements médicamenteux, comme la prise d’œstrogène ou de progestatif, qui soulagent déjà de nombreux symptômes», explique l’endocrinologue du CHU de Liège.

Mais globalement, le mal-être lié à la ménopause reste encore sous-estimé médicalement. «Pourtant, c’est un moment charnière particulièrement compliqué à vivre, insiste Axelle Pintiaux. Les femmes dans la cinquantaine sont encore très actives, et ont parfois atteint un point culminant de leur carrière. Elles doivent gérer leurs enfants, leurs parents, et font déjà face à de nombreux challenges. Et face à elles, elles ont des hommes dont le taux de testostérone reste en général très élevé, ce qui peut représenter des défis supplémentaires dans le couple.»

C’est justement sur ces situations de détresse que le marché américain semble capitaliser. En quête d’énergie et de désir, butant sur des médecins peu compréhensifs ou sous-estimant leurs symptômes, ces quinquagénaires sont prêtes à tout pour récupérer une seconde jeunesse. D’autres patientes, plus jeunes, se réfugient dans la testostérone en espérant raviver la flamme de leur couple en perdition. Une démarche qui interpelle la sexologue clinicienne Joëlle Smets. «La perte de libido est la première raison pour laquelle les femmes et les couples hétérosexuels consultent, mais c’est toujours le désir de l’homme qui est pris en référence. On parle de « fragilité » de désir, mais rapport à qui? On ne questionne jamais la libido potentiellement trop importante de l’homme.»

Interroger la démarche

L’autrice du livre La puissance sexuelle des femmes (1) appelle toutefois à ne pas condamner unilatéralement le recours à ce type de traitement. «Si ces femmes veulent se réapproprier leur sexualité et font cette démarche dans une optique d’empowerement, pour acquérir plus d’autonomie et de puissance, c’est très intéressant, car la sexualité et la sensualité peuvent être des domaines d’affirmation de soi», insiste-t-elle. Mais avant de succomber aux supposés bienfaits de la testostérone, un examen de conscience s’impose. «Est-ce que je la prends pour moi, pour mon bien-être personnel? Ou pour me soumettre au diktat de mon partenaire, qui reflète lui-même un diktat patriarcal, dans lequel l’identité féminine passe par le relationnel? interroge la sexologue. Malheureusement, de nombreuses femmes perçoivent encore la sexualité comme un service à rendre à leur partenaire.»

«La sexualité et la sensualité peuvent être des domaines d’affirmation de soi.»

D’autant que la testostérone n’agit pas comme un ingrédient miracle pour redynamiser sa libido. «Le désir sexuel ne prend pas naissance uniquement entre les cuisses, mais se développe aussi au niveau de l’esprit, du lien émotionnel et intellectuel avec son partenaire, rappelle la sexologue. La perte de libido est moins un problème physique que psychique, quand il n’est pas simplement relationnel.» Sans oublier que derrière tous les autres bienfaits loués par les influenceuses (élan d’énergie, meilleure concentration, humeur apaisée) peuvent également se cacher certains effets placebos.

Bref, loin d’être la panacée, la testostérone ne peut être prescrite à tout va. «Ce serait très curieux de conseiller des androgènes à une jeune femme de 35 ans en bonne santé, assure Axelle Pintiaux. Si ses ovaires fonctionnent normalement, avec un pic ovulatoire classique, on ne va jamais suivre cette piste. Si la patiente rapporte une baisse de libido, on va plutôt questionner sa contraception, car certaines pilules peuvent induire une inhibition de l’ovulation.»

Quel que soit le contexte, la prise de testostérone doit en tout cas être encadrée médicalement pour éviter les contre-indications et le surdosage. Ce traitement hormonal est par exemple proscrit après un cancer oestrogéno-dépendant, ou chez des patientes qui présentent déjà de l’alopécie (perte de cheveux), une hyperpilosité ou de l’acné. Le taux de cholestérol doit également être vérifié préalablement. «Une consultation chez un endocrinologue est indispensable, insiste Axelle Pintiaux. Car la testostérone n’est pas un bonbon, ni un gel qu’on appliquerait comme une crème hydratante.»

(1) La puissance sexuelle des femmes parJoëlle Smets, Editions Kennes, 252 p.

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