La psychologue Kari Leibowitz appelle à s’inspirer du modèle nordique pour mieux appréhender l’hiver. © Getty Images

Comment aborder l’hiver de façon positive? «Les Nordiques ne se laissent pas abattre, ils savent en profiter»

Le changement d’heure et les jours qui raccourcissent affectent le moral d’une partie de la population, qui se sent déprimée et en manque d’énergie. La psychologue Kari Leibowitz livre ses meilleurs conseils pour lutter contre le blues hivernal.

Le changement d’heure marque le début d’une période plus sombre, qui affecte le moral de certains et en effraie d’autres. Pourquoi l’hiver nous déprime-t-il autant ?

Kari Leibowitz: Ce sentiment s’explique par une réaction biologique et évolutive à la chaleur et au froid, à la lumière et à l’obscurité. Il fait froid, il pleut, il grêle, il neige, il vente, ce qui peut rendre l’hiver interminable et morne. Nous quittons la maison dans l’obscurité pour aller travailler, puis nous rentrons quand il fait noir à nouveau. Nous nous sentons apathiques, nous sommes constamment fatigués. Cette météo nous limite et nous empêche d’être actifs, ce qui renforce encore notre manque d’énergie. Bref, nous sommes loin d’être la meilleure version de nous-mêmes.

C’est un résumé particulièrement déprimant.

Oui, mais la façon dont nous traversons l’hiver reste avant tout une question de mentalité. Nous avons tendance à résumer l’hiver uniquement sur la base de ces jours les plus tristes. Or, penser que l’hiver est déprimant le rendra effectivement déprimant. C’est une prophétie auto-réalisatrice. Il ne faut pas se plaindre de l’hiver, mais plutôt se dire: «L’hiver est merveilleux, je peux en profiter.» Il a été scientifiquement prouvé que les personnes qui ont une vision plus optimiste de l’hiver sont plus satisfaites de leur vie et éprouvent plus souvent des émotions positives.

Comment rendre le changement d’heure plus supportable?

Personnellement, je célèbre le début de l’heure d’hiver en allumant des bougies lorsque je prends mon petit-déjeuner avec mon mari. Et le soir, je cuisine ma soupe préférée. La semaine qui suit le changement d’heure est un échauffement pour la suite de l’hiver. Il fait nuit une heure plus tôt, ce qui perturbe notre rythme circadien, notre horloge interne. Nous souffrons d’un décalage horaire, et il faut l’accepter. Il n’y a rien de mal à se coucher plus tôt, à reporter les rendez-vous inutiles et à rester au chaud plutôt que de rendre visite à des amis, afin de s’habituer à ces nouvelles conditions. Il faut faire le plein de cacao et de thé, trier sa garde-robe et ressortir les vêtements d’hiver. Pour ceux qui ont un feu ouvert, c’est aussi le moment d’acheter du bois. Bref, il faut tout préparer pour se construire un nid douillet et affronter la suite de l’hiver.

Vous avez quitté Atlanta, au sud des Etats-Unis, pour vous installer pendant un an en Norvège, à près de 350 kilomètres au nord du cercle polaire, afin d’étudier la relation entre l’homme et l’hiver à l’université de Tromsø. Là-bas, le soleil ne se lève pas entre fin novembre et mi-janvier. Comment avez-vous vécu cette période ?

J’avais peur de la nuit polaire, et quand elle a commencé, je me suis dit: «Mais qu’est-ce que tu as fait?». À Tromsø, j’étais constamment fatiguée. Des recherches montrent que le sommeil paradoxal, important pour la régénération mentale, dure environ 30 minutes de plus en hiver. En soi, ce n’est pas grave. Le problème survient lorsque nous tentons de lutter contre cet effet de l’obscurité. Je suis allée en Norvège pour étudier la dépression hivernale. Ma thèse était la suivante: «Il fait nuit noire et il fait un froid glacial là-bas, donc beaucoup de gens vont souffrir de cette dépression.» Mes amis pensaient que j’allais moi-même en souffrir. Mais j’ai ensuite constaté que les habitants de Tromsø souffraient beaucoup moins souvent de dépression hivernale que ceux de Londres, Berlin ou New York.

En Allemagne, un sondage a révélé il y a quelques années que 59 % des participants souffraient d’une baisse de moral en hiver, accompagnée parfois d’un sentiment de tristesse, de manque de motivation et de mélancolie.

La grande majorité des gens qui pensent souffrir de dépression hivernale sont probablement en proie à ce que j’appellerais le blues hivernal. La dépression hivernale est parfois associée à une version «light» de la dépression, mais ce n’est pas vrai. Pour obtenir le diagnostic clinique de «dépression hivernale», dont le terme scientifique est «trouble affectif saisonnier», il faut présenter au moins cinq symptômes d’une dépression à part entière pendant deux semaines consécutives, qui détériorent considérablement la qualité de vie. Le blues hivernal est différent. Il est normal de se sentir plus fatigué en hiver. Il est normal d’être moins motivé en hiver. Vouloir se reposer, manger davantage, vouloir ralentir le rythme, tout cela est normal. On s’adapte en quelque sorte à la saison. Mais trop de gens l’interprètent comme un signe de dépression. Et l’utilisent comme une sorte d’excuse pour justifier leur manque de motivation.

À Tromsø, les gens semblent penser et agir différemment.

Ils profitent des opportunités qu’offre l’hiver. Ca ne veut pas dire que personne ne souffre d’une véritable dépression hivernale. Mais ils sont étonnamment peu nombreux à en souffrir malgré l’hiver extrême qui y règne. Les habitants ne sont pas plus tendus, désespérés ou déprimés en hiver que le reste de l’année. Cela vaut d’ailleurs aussi pour les personnes qui vivent au Spitzberg, en Islande, en Finlande et en Suède. Il existe un lien entre la latitude et l’attitude face à l’hiver: les Nordiques ne se laissent pas abattre par cette saison. Au contraire: ils savent en profiter.

Pourquoi les Nordiques s’en sortent-ils mieux?

Car ils suivent le rythme de la nature au lieu de le combattre.

C’est-à-dire?

Les Nordiques considèrent l’hiver comme une période de repos propice à la régénération. C’est normal pour eux de dormir davantage et de moins sortir durant cette période. Tout comme certains animaux hibernent ou hivernent. Ils reprennent des forces pour le printemps et l’été. En botanique, il existe également le phénomène de vernalisation: certaines plantes ont besoin d’un stimulus froid, d’un cycle de gel, pour pouvoir fleurir et former des graines après l’hiver. C’est le cas des pêches, des abricots, des fleurs à bulbe comme les tulipes et les narcisses ou encore de certaines céréales. En hiver, la nature semble morte, mais en réalité, c’est une période qui permet à une nouvelle vie de naître. C’est une leçon importante dont peuvent s’inspirer les Européens ou les habitants des zones climatiques tempérées.

Pourquoi?

Notre société occidentale, axée sur la performance, valorise la productivité et la croissance. L’immobilisme est est décrié, sans parler du repos. Au lieu de nous adapter aux saisons, comme presque tous les autres êtres vivants, nous, les humains, pensons devoir nous en tenir à nos routines. Nous avons soi-disant des emplois du temps immuables. Mais l’hiver devrait aussi être pour nous une période de ralentissement. Nous devrions lever le pied sans éprouver de culpabilité.

Les Scandinaves ne travaillent pas moins en hiver…

Non, mais leurs horaires de travail sont souvent flexibles. Les longues journées de travail y sont rares.

Prendre plus de temps pour soi, c’est plus facile à dire qu’à faire. Tout le monde a des obligations, professionnelles et familiales, qui permettent rarement de s’allonger sur le canapé dès le soir tombé. Après le travail, il faut faire les devoirs avec les enfants, les courses, la lessive, préparer la prochaine réunion et vider le lave-vaisselle.

Il faut saisir les petites occasions. Je pense que beaucoup de gens s’obligent à faire des choses qui leur paraissent non optionnelles, mais qui le sont en réalité. Tentez l’expérience: pendant une semaine, peut-être la semaine avant Noël, dites non à tout ce que vous pouvez. Vous serez sans doute surpris du peu de conséquences négatives qui en découlent. Mais d’autres options, moins extrêmes, existent aussi: mettre son téléphone portable de côté un soir par semaine, ne pas consulter les réseaux sociaux le week-end ou ne pas répondre aux e-mails. Toutes ces petites pauses s’additionnent et font finalement la différence.

Quels autres résultats votre recherche sur l’heure d’hiver et l’adaptation des Nordiques a-t-elle mis en évidence ?

Il ne suffit pas d’apprendre à aimer l’hiver, il faut aussi en faire quelque chose de spécial. Une question de départ pourrait être: quelles possibilités offre l’hiver, qui n’existent pas le reste de l’année ?

Mais quelles opportunités offrent réellement l’obscurité et le froid ?

L’hiver est propice à la création d’une ambiance extraordinaire. Les Danois ont un mot pour désigner cette atmosphère: «hygge». En Norvège, les gens utilisent le mot «koselig».

Ces deux termes signifient en quelque sorte une «atmosphère confortable».

Mais cela va bien au-delà du confort. Il s’agit de calme, de sérénité, de retenue, d’émotions positives sans grand degré d’excitation. «Hygge» et «koselig» désignent surtout un état d’esprit serein, un sentiment de satisfaction personnelle plus qu’un confort de surface.

Et comment y parvenir?

Éteignez les lumières trop agressives et optez pour un éclairage tamisé, par exemple avec des guirlandes chaleureuses. La meilleure lumière reste celle des bougies ou d’un feu de cheminée, car elles sont relaxantes. Le simple fait de regarder une vidéo d’un feu ouvert fait baisser la tension artérielle. Un Danois consomme en moyenne 3,5 kg de bougies par an, et 60 % de la population en allume régulièrement. Une lumière classique le soir inhibe la sécrétion de mélatonine, ce qui complique l’endormissement. Se réunir autour d’un feu est également plus propice aux conversations intimes et plus intenses. La pièce doit aussi être bien chauffée. Enfilez des pantoufles douillettes, blottissez-vous dans une couverture, buvez un thé, mangez des biscuits. Regardez la télé en famille. À la question «que fais-tu ce soir?», on peut répondre: «Rien, je reste simplement à la maison. » Ca peut sembler triste. Mais les Norvégiens parlent plutôt de «fredagskos», littéralement le «vendredi paresseux». C’est une joyeuse perspective pour la fin de semaine.

Beaucoup de gens planifient des journées tranquilles durant les vacances de Noël. Mais ils se retrouvent quand même stressés avec les fêtes.

Les grands rituels des fêtes peuvent être un piège. On a l’impression de devoir les respecter, même s’ils sont parfois plus source de stress que de joie. Dans ce cas, il faut se demander: pourquoi ce rituel est-il important pour moi? Remplit-il toujours son objectif? Si ce n’est pas le cas, il faut le remettre en question.

Quelles alternatives proposez-vous?

Personnellement, ma famille a mis fin à une tradition vieille de 30 ans. Au lieu de nous offrir des cadeaux à Noël, nous faisons des dons à des œuvres caritatives. La pression d’acheter un cadeau à tout le monde a complètement disparu.

Comment rendez-vous l’hiver spécial ?

J’ai découvert les bains glacés à Tromsø. Je vis désormais à Amsterdam et je vais nager dans un canal près de chez moi, même en hiver. L’eau froide procure un sentiment de bonheur et peut chasser le blues hivernal. Les bains glacés réduisent la résistance à l’insuline et peuvent ainsi protéger contre le diabète. Ils stimulent en outre le système immunitaire en augmentant le nombre de globules blancs. Des découvertes récentes montrent aussi que les bains glacés peuvent entraîner la production de tissu adipeux brun.

En quoi consiste le tissu adipeux brun ?

C’est ce qu’on appelle la «graisse brune». Au contraire de la graisse blanche, qui stocke l’énergie, la graisse brune fournit cette énergie et la transforme en chaleur. Les bébés ont par exemple beaucoup de tissu adipeux brun pour ne pas attraper froid. Car les nouveaux-nés ont peu de masse musculaire et sont donc incapables de trembler pour produire de la chaleur.

Pour profiter des bienfaits des bains glacés, encore faut-il habiter proche d’un point d’eau…

Si ce n’est pas le cas, des alternatives existent. Allongez-vous dans une baignoire froide ou prenez une douche glacée, ça fonctionne aussi! Ou allez au sauna. En Finlande, personne ne demande qui va au sauna, mais bien à quelle fréquence. Les séances de sauna réduisent le stress, favorisent la circulation sanguine, renforcent la fonction pulmonaire et réduisent le taux de cholestérol. Les Finlandais considèrent le sauna comme la pharmacie du pauvre. Prendre un bain chaud ou une douche chaude a également des vertus similaires. En sortant de la baignoire, la température corporelle baisse rapidement, ce qui favorise l’endormissement. L’hiver est la période idéale pour prendre soin de son corps et de son esprit.

«Les grands rituels des fêtes peuvent être un piège. On a l’impression de devoir les respecter, même s’ils sont parfois plus source de stress que de joie.»

L’été est tout de même plus agréable: le soleil, les journées plus longues, les couleurs, la nature luxuriante, les barbecues dans le jardin.

Je recommande vivement de sortir, même en hiver. Ne serait-ce que 20 minutes par jour, sans compter le trajet pour aller au travail ou au supermarché. Le problème, c’est que nos attentes peuvent nous induire en erreur. Les psychologues parlent d’«erreur de prédiction affective». Beaucoup craignent de ne pas se sentir bien dehors, face au froid et au vent, et préfèrent donc ne pas sortir. Mais neuf fois sur dix, l’expérience est plus agréable qu’attendue. Après être sorti, le corps se sent mieux. Faites une promenade pendant votre pause déjeuner, buvez un café sur le balcon plutôt que dans la cuisine. Et lorsque vous vous promenez, percevez la nature avec tous vos sens. Promenez-vous en pleine conscience.

Qu’entendez-vous par là ?

Quelle est l’odeur de l’air en hiver? Quel est le bruit de la neige, de la pluie sur la route? Éteignez votre téléphone portable et soyez attentif aux petits miracles: vous pouvez vous émerveiller de l’intensité des tempêtes ou de la résistance de certaines plantes. Le poète et dramaturge norvégien Henrik Ibsen a inventé le terme «friluftsliv». Il désigne la liberté que l’on découvre en vivant à l’extérieur. En Norvège, cela fait partie de l’identité culturelle. Cette approche est enseignée dans les écoles et fait du séjour dans la nature une partie intégrante de la vie quotidienne. Les gens qui restent enfermés chez eux en hiver finissent par devenir fous.

L’hiver est souvent associé à la mort et au deuil. Une approche positive de l’hiver peut-elle nous aider à mieux aborder ces moments douloureux?

Tout le monde traverse des moments difficiles et en traversera encore. Nous perdrons encore des êtres chers. Nous tomberons encore malades. Mais l’hiver peut être un moment propice pour s’exercer à traverser ces épreuves. Par exemple en prenant le temps de se souvenir de ses êtres chers. Ou en ralentissant le rythme, comme nous y sommes contraints en cas de maladie.

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