En Wallonie, il faut patienter plus de trois mois pour obtenir un rendez-vous médical, soit bien davantage qu’en Flandre et à Bruxelles. Plusieurs explications justifient ces délais record, mettant en lumière les inégalités régionales en matière d’accès aux soins de santé.
Nonante-six. Tel est le nombre moyen de jours qu’il faut attendre en Wallonie pour obtenir un rendez-vous médical, toutes spécialités confondues, selon une enquête Testachats publiée en avril 2025. Ce délai dépasse largement celui observé à Bruxelles (58 jours) et reste plus élevé qu’en Flandre (74). Comment expliquer ces disparités régionales?
1. Moins de médecins spécialisés en province
Testachats pointe plusieurs facteurs concernant ces délais plus longs avant d’obtenir une consultation: un nombre plus réduit de médecins en Wallonie, une consultation plus fréquente des spécialistes et une prescription accrue d’examens.
Les chiffres de l’Inami confirment le déficit en spécialistes, particulièrement en ophtalmologie et en dermatologie, deux disciplines où les délais atteignent respectivement 131 et 114 jours d’attente. En moyenne, la Belgique compte 0,64 ophtalmologue pour 10.000 habitants, mais la répartition est inégale: 0,83 à Bruxelles contre 0,62 en Flandre et 0,61 en Wallonie. Même tendance pour les dermatologues: 0,76 dans la capitale contre 0,47 et 0,49 dans les deux autres régions. Le phénomène est constaté dans la plupart des disciplines médicales.
De manière générale, la pénurie est plus marquée en province, ce qui explique en partie pourquoi Wallonie et Flandre affichent des délais plus longs que Bruxelles.
2. Des Wallons plus enclins à consulter: l’une des raisons des délais plus longs pour obtenir un rendez-vous médical?
Dans un article de L’Echo de juin 2024, la rectrice de l’UCLouvain Françoise Smets critiquait le patient «mal éduqué»: «Tout le monde prend rendez-vous où il veut quand il veut, ce qui parasite les consultations disponibles.» Une tendance davantage marquée en Wallonie? Difficile d’obtenir une réponse objective. Cependant, si l’on se réfère aux données de l’Agence intermutualiste, en 2022, la part de bénéficiaires wallons ayant consulté un médecin spécialiste est plus élevée (66,6%) qu’à Bruxelles (60,9%) et en Flandre (62,4%). Un écart modeste mais constant depuis 2006.
3. Des examens médicaux plus fréquents
Dans l’étude réalisée par Testachats, les délais d’attente pour passer une radio, une mammographie ou une IRM sont en moyenne quasiment identiques à Bruxelles (37 jours) et en Flandre (38 jours) mais «bien au-dessus en Wallonie (63 jours)». Les Wallons font-ils davantage d’examens médicaux? En se basant sur les données de l’Agence intermutualiste, la part de bénéficiaires wallons s’étant soumis à une imagerie médicale (radiographie, scanner, IRM, échographie, interventionnelle diagnostique ou thérapeutique) est en effet supérieure aux autres régions. Dans une étude de 2023, l’Agence concluait que «le volume d’imagerie médicale est plus important en Région wallonne que dans les deux autres. Ce sont surtout les radiographies, les CT-scans et les échographies qui se démarquent en Wallonie».
Une nuance toutefois: les mammographies sont plus fréquentes en Flandre, où 63,9% des bénéficiaires en réalisent une, contre 47% environ dans les deux autres régions.
4. Le rôle du conventionnement
Un médecin conventionné est un médecin qui a adhéré à l’accord médico-mutualiste, conclu entre médecins et mutuelles et qui détermine les tarifs et remboursements des soins médicaux pour la profession. Il s’engage à appliquer les tarifs officiels sans supplément d’honoraires, contrairement à un non-conventionné qui, lui, fixe librement ses prix. En d’autres termes, la facture est moins salée chez les conventionnés, ce qui laisse penser que la patientèle se tourne davantage vers ces derniers. Le conseiller Solidaris François Perl le rappelait dans L’Echo: «Il y a souvent une corrélation entre la difficulté d’obtenir un rendez-vous et le nombre de conventionnés.» La porte-parole du SPF Santé publique le confirme. «Le temps d’attente est généralement plus court chez les non-conventionnés.»
Selon l’Inami, le taux de conventionnement des médecins spécialistes est globalement plus élevé en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre, même si les écarts varient selon les disciplines. Si l’on prend en compte les généralistes, la Wallonie est globalement plus conventionnée (88,32%) qu’à Bruxelles (84,43%) ou en Flandre (83,74%).
5. Délais d’attente pour un rendez-vous médical: des défis communs aux trois régions
Par ailleurs, certains voient en cette corrélation une opportunité pour légitimer le déconventionnement. «Ce n’est pas une solution», regrette Pierre Sasse, permanent politique à la Fédération des Maisons médicales. «Malheureusement, cette pratique déconventionnée crée un problème d’accessibilité financière et renforce la médecine à deux vitesses (les personnes les plus aisées ont accès plus rapidement à un médecin).»
Dans L’Echo, Françoise Smets plaidait tout comme Pierre Sasse, «pour une vraie réflexion de santé publique avec des médecins généralistes comme voies d’accès obligatoires vers les spécialisations». Mais à chaque voie d’accès son obstacle: «Malheureusement, il semble qu’un nombre croissant de médecins généralistes n’accepte plus de nouveaux patients», relevait récemment le SPF Santé publique.
Pierre Sasse évoque encore deux autre pistes de solutions : la modification du financement des hôpitaux, actuellement en grande partie lié aux actes réalisés par les médecins «conditionnés à absorber la patientèle même quand ce n’est pas nécessaire», et la promotion du système des maisons médicales qui «a moins recours à la seconde ligne», citant une étude de la KCE.
Si la Wallonie est particulièrement touchée par ces difficultés, d’autres facteurs restent à explorer. L’âge de la population, par exemple: les régions comptant plus de seniors connaissent-elles mécaniquement des délais plus longs, les personnes âgées consultant plus souvent? Une hypothèse qui reste à vérifier.