
Comment se réconcilier avec le risque… en s’inspirant de la Grèce antique
Catherine Van Offelen propose de revitaliser la pratique antique grecque de la phronèsis, un «art de la décision» non entravé par le précautionnisme, trop prégnant aujourd’hui.
«Le citoyen occidental exige désormais de l’Etat un balisage normatif de son quotidien. […] Le désir d’une existence sans dangers forge chez lui un ethos défensif. Cette posture défensive se matérialise par ce que la philosophe américaine Wendy Brown appelle un « désir de murs ». Certains de ces murs sont terriblement réels, en acier ou en béton, grillagés ou couverts de barbelés. […] Plus surprenant, d’autres murs s’érigent, invisibles, à l’intérieur même des sociétés.» Devant le constat qu’elle dresse du mode de vie contemporain des démocraties occidentales, la spécialiste des questions de sécurité et chroniqueuse littéraire Catherine Van Offelen propose de renouer avec une vertu de la Grèce antique, la phronèsis, dans son instructif essai Risquer la prudence (1).
Qu’est-ce que la phronèsis, développée par Aristote? «Un art de la décision» qui «remplace la question « Que dois-je faire? » par « Que vaut-il mieux que je fasse?« » et qui conjugue «le flair dans l’action, l’art de s’adapter aux circonstances, la sagacité de celui qui discerne le bon chemin à prendre dans le clair-obscur du réel». Sa traduction en «la prudence» ne vaut dès lors que si celle-ci se conçoit de façon active et audacieuse. Car elle s’oppose au précautionnisme qui, pour l’autrice belge, a trop profondément gagné nos sociétés. Pour le chantre du principe de précaution, le mot d’ordre est «dans le doute, abstiens-toi». Pour l’adepte de la phronèsis, il est «malgré le doute, agis». Un exemple tiré de l’histoire du XIXe siècle: «Pétain incarne la précaution dans sa version étriquée, de Gaulle personnifie la phronèsis en majesté.»
«La phronèsis révèle à la fois la sensibilité de la raison et l’intelligence des émotions.»
Ainsi, pour Catherine Van Offelen, risquer la prudence est une troisième voie salutaire entre les rationalistes qui estiment que pour prendre des décisions, il faut s’en tenir à ses capacités logiques, et les relativistes, pour lesquels «la vérité est avant tout affaire de subjectivité». La phronèsis, elle, «révèle à la fois la sensibilité de la raison et l’intelligence des émotions». Le revitalisation de cette pratique de la Grèce antique vise donc à renouer avec le goût du risque, aspiration tout à fait honorable, mais aussi à se défier des normes, quête potentiellement dangereuse si elle suit les dérives de sa version libertarienne telle qu’actuellement pratiquée aux Etats-Unis.
(1) Risquer la prudence. Une pratique de la sagesse antique, par Catherine Van Offelen, Gallimard, 184 p.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici