Souvent perçue comme plus souple et moins contraignante, la cohabitation légale ou de fait séduit de nombreux couples. Mais lorsqu’on aborde la question patrimoniale, le mariage conserve des atouts financiers non négligeables.
En 2023, la Belgique a enregistré une baisse des déclarations de cohabitation légale de 3,6% par rapport à l’année précédente, selon l’office de statistique Statbel. Cette année-là, plus de la moitié des cessations de cohabitation légale (56,5%) donnaient lieu à un mariage. Les unions diminuaient tout de même de 4% par rapport à 2022, avec de fortes disparités régionales: -4,3% en Flandre, -4,4% en Wallonie et +0,4% à Bruxelles.
Derrière les motivations à s’unir, il y a «l’amour surtout», selon Lisa, 27 ans. Mais aussi, parfois, des raisons patrimoniales. C’est le cas pour Catherine*, 66 ans. «Avec Louis*, nous nous fréquentons depuis 1978, vivons ensemble depuis 40 ans et sommes mariés depuis dix», confie la Liégeoise. Un cas loin d’être isolé, observe la notaire bruxelloise Sophie Maquet: «Beaucoup de couples, attachés à la cohabitation de fait pour des raisons idéologiques, se marient vers 50 ans en réalisant que c’est la formule la plus protectrice».
Souvent, cette prise de conscience survient lors d’un achat immobilier. «En bon fiscaliste, Louis a comparé testaments, cohabitation légale et mariage, ainsi que les questions d’héritage. Seule une union assurait la sécurité recherchée», relate Catherine. Avec son maigre salaire et sa future petite retraite, la désormais sexagénaire avait alors bien conscience des conséquences en cas de décès de son compagnon hors mariage.
Des différences majeures selon le statut
Lorsqu’un partenaire décède, les écarts entre statuts sont considérables. «Même si on peut tendre vers l’égalité via des contrats ou un testament, le conjoint survivant d’une cohabitation légale aura beaucoup moins qu’un conjoint marié», prévient Sophie Maquet. Pour les couples mariés, les droits successoraux sont complets. Le conjoint survivant bénéficie au minimum de l’usufruit sur l’ensemble de la succession, avec une réserve légale qui ne peut être supprimée. En matière de droits de succession, «les époux et cohabitants légaux bénéficient d’un taux réduit. Le conjoint survivant ne paiera pas de taxes sur l’immeuble familial», précise la notaire.
«C’est dès l’instant où l’on entre dans le modèle de la famille classique que le mariage est intéressant.»
La présence d’enfants rend l’union encore plus avantageuse. «C’est dès l’instant où l’on entre dans le modèle de la famille classique que le mariage est intéressant», insiste Sophie Maquet. Le site notaire.be rappelle qu’avec enfants, le conjoint hérite de l’usufruit de toute la succession (biens propres + part dans le patrimoine commun). Sans enfants, il hérite de tout en pleine propriété, sauf présence d’autres héritiers. Dans ce cas, il obtient la part du patrimoine commun et l’usufruit des biens propres. Contrairement au cohabitant légal, le conjoint dispose d’une réserve légale qui ne peut être retirée par testament. Il peut aussi bénéficier d’une pension de survie, à condition que le mariage ait au moins un an.
Pour les cohabitants de fait, aucun droit successoral: sans testament, le partenaire n’hérite de rien. Et en cas de legs, la taxation atteint le tarif «entre étrangers» en Région wallonne et bruxelloise, soit le plus élevé. De plus, il n’existe ni pension de survie ni protection du logement familial. Pour les cohabitants légaux, l’usufruit est limité au logement familial et au mobilier qui le compose, assimilés aux époux pour les droits de succession, mais sans garantie de réserve. Ces droits restent fragiles: un testament peut les réduire, et aucun droit à la pension de survie n’est prévu. «Si les dettes et les biens sont en principe séparés, il est toujours possible d’aménager des indivisions entre eux, dans les mêmes proportions ou dans des proportions différentes», stipule le site notaire.be.
Sous le régime légal (sans contrat de mariage), les biens et revenus acquis pendant le mariage sont présumés communs, à l’exception des biens possédés avant ou acquis par succession ou donation. «Si le couple s’est marié en communauté légale et a acheté une maison, ce sera moitié-moitié. Autrement, dans le régime de séparation des biens, il y a des possibilités de ne pas respecter le 50-50», résume la notaire. Si l’un des partenaires n’a pas contribué au même pourcentage que l’autre dans l’achat du logement, par exemple.
Pension, fiscalité et logement
En matière d’impôts, mariés et cohabitants légaux déposent une déclaration commune et se portent caution mutuelle. «Cela permet de mettre une partie des revenus de celui qui gagne le plus sur la fiche d’imposition de l’autre, qui paiera moins», explique Sophie Maquet. L’avantage est réel en cas d’écart de revenus, mais cette solidarité implique aussi de partager les dettes, même si elles n’ont pas été contractées ensemble. «C’est ce qu’on appelle la solidarité des dettes ménagères», glisse Jim Sauvage, avocat au Barreau de Bruxelles, spécialiste agréé en droit de la famille et droit patrimonial de la famille et chercheur auprès du Centre de droit privé (Unité de droit familial) de l’ULB.
«En cas de divorce, une femme qui mettrait de côté sa carrière pour s’occuper du foyer ou des enfants aurait, avec le régime matrimonial de la communauté, une protection. Elle pourrait en effet toucher une “pension alimentaire” pour elle, en plus de celle des enfants. Pas les cohabitantes.»
Si les conjoints mariés sont solidaires pour les charges liées au ménage et à l’éducation des enfants, les cohabitants légaux le sont également, mais pas pour le reste. Les cohabitants de fait, eux, gardent une indépendance totale en déclarant leurs impôts séparément. Une situation non sans enjeux avec parfois un préjudice économique pour une compagne qui toucherait moins que son compagnon. «En cas de divorce, une femme qui mettrait de côté sa carrière pour s’occuper du foyer ou des enfants aurait, avec le régime matrimonial de la communauté, une protection. Elle pourrait en effet toucher une « pension alimentaire » pour elle, en plus de celle des enfants. Pas les cohabitantes», décrypte Jim Sauvage.
La protection du logement familial est un autre atout majeur du mariage. Un cohabitant légal ou un(e) époux(se) ne peut ni vendre, ni hypothéquer, ni faire des dettes sur le logement commun, ni le donner, sans l’accord du partenaire. «En cas de divorce, il y a la possibilité de demander une attribution préférentielle de l’immeuble», rapporte Sophie Maquet. En juin 2024, jugeant inconstitutionnelle la différence de traitement avec les époux, la Cour constitutionnelle a élargi cette attribution préférentielle aux cohabitants légaux. «En cas d’achat commun d’une maison par des cohabitants légaux, l’un des deux peut demander à acquérir par préférence le bien, sous réserve de décision du législateur», explique Jim Sauvage. Concernant les biens qui leur appartiennent, les cohabitants légaux et de fait restent chacun propriétaires de ceux-ci. Ils peuvent les gérer, administrer, donner ou vendre selon leur souhait, sauf s’ils en décident autrement via une convention de vie commune ou de cohabitation.
*Les prénoms ont été modifiés