De la Russie aux Etats-Unis, les dossiers ne manqueront pas pour Léon XIV. L’influence du Saint-Siège peut s’appuyer sur une diplomatie performante.
«La paix soit avec vous tous», tels furent les premiers mots de Léon XIV, nouveau pontife à la tête de l’Eglise catholique et de son milliard quatre cents millions de baptisés. «Plus jamais la guerre», a-t-il lancé le dimanche suivant. Le nouveau pape entend bien peser de tout son poids en vue d’une paix durable en Ukraine, et pour parvenir à un cessez-le-feu à Gaza et à la libération des otages. Léon XIV s’inscrit aussi dans le droit fil de François, qui, avant de mourir, avait invoqué une «diplomatie de l’espérance». Pures incantations? Vœux pieux? Détrompons-nous: l’influence du Vatican est inversement proportionnelle à sa taille (44 hectares). Combien de puissants de ce monde ne se pressent-ils pas à Rome pour obtenir une audience auprès du souverain pontife? Quel gouvernement ne prépare-t-il pas fébrilement une visite papale, y compris dans des pays sécularisés comme la Belgique? On se souviendra aussi de la foule de dignitaires qui s’est pressée aux funérailles de François.
«Le pape, combien de divisions?» avait persiflé Staline quand on lui demanda s’il pouvait améliorer le sort des catholiques dans l’URSS. Il est vrai que le Vatican (NDLR: «marqueur» de l’indépendance du Saint-Siège depuis les accords de Latran en 1929) n’a ni armée ni ressources naturelles, et donc aucun moyen de contrainte. Son pouvoir est seulement celui de la parole. Il n’empêche: c’est bien Jean-Paul II et le syndicat Solidarnosc, parrainé par l’Eglise catholique, qui ont fait vaciller le système communiste, en Pologne d’abord, puis dans toute l’Europe de l’Est.
Comment expliquer son influence? Le Saint-Siège a, déjà, l’avantage d’une très longue histoire diplomatique. Cela renforce son rayonnement. Pour le reste, il est le seul Etat qui ne défend pas un territoire (les Etats pontificaux, c’est du passé) ni une population, mais qui exerce une puissance spirituelle. Objectifs principaux: la défense des intérêts de l’Eglise catholique, ainsi que la promotion de la paix et de la justice. Mais aussi la protection des faibles, des migrants, de l’environnement, de toute vie… En résumé, un agenda très large, en principe nourri de l’Evangile, et qui trouve des relais grâce à un réseau d’ambassades (appelées nonciatures apostoliques), parmi les plus étendus au monde.
Le nouveau pontife devra gérer les délicates relations avec les Etats-Unis.
Un cardinal critique envers Moscou
Une des images marquantes des funérailles de François aura été l’aparté discrètement facilité par un prélat entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, assis sur deux chaises au beau milieu de la basilique Saint-Pierre. Jusqu’à présent, le Saint-Siège a tenté de maintenir un délicat équilibre entre ses relations avec le patriarcat de Moscou et son soutien à la souveraineté ukrainienne. Mais cela n’a pas toujours été bien perçu, car cela donnait l’impression de renvoyer dos à dos agresseur et agressé. Alors qu’il était encore évêque de Chiclayo au Pérou, Robert Prevost s’était montré beaucoup plus tranché que François. Dans un entretien de 2022 au média péruvien Semanario Expresion, il dénonçait «une véritable invasion» et des «crimes contre l’humanité» soutenus par une politique «impérialiste».
Le nouveau successeur de Saint-Pierre devra également gérer les délicates relations entre le Vatican et les Etats-Unis, où, de son propre aveu, il ne projette pas se rendre dans l’immédiat. Sous le pontificat de François, ces relations ont été glaciales. Pointant les effets pervers du capitalisme («l’argent doit servir, pas régner»), François en avait rajouté une couche sur la migration dont il a dénoncé l’approche ultrarestrictive de Trump.
Aujourd’hui, Donald Trump se félicite de l’élection du premier pape américain: «J’ai hâte de rencontrer le pape Léon XIV. Ce sera un moment très significatif!» Mais c’est mal parti. Encore cardinal, Robert Prevost avait vertement répondu sur X au vice-président J.D. Vance, converti au catholicisme en 2019, qui préconisait d’aimer d’abord sa famille et sa communauté avant le «reste du monde», sous-entendu les migrants. «J.D. Vance a tort, Jésus ne nous demande pas de hiérarchiser notre amour pour les autres», avait répliqué le prélat.
Comment jouer finement le dialogue avec la première puissance mondiale tout en gardant sa distance critique? La ligne de crête est délicate puisque «la frange de l’Eglise américaine qui soutient Trump (64% des catholiques) souhaite que le Vatican reste focalisé sur la doctrine et ne s’occupe plus des affaires politiques», souligne le chercheur en sciences sociales Benoît Gautier dans une tribune à La Croix. Il s’agira aussi pour le Vatican de trouver la parade à la montée du nationalisme chrétien, incarnée par Vance. Deux chemins opposés s’ouvrent: soit le rapprochement, soit le schisme.
Sur d’autres sujets aussi, le Vatican marche sur des œufs. Les Arméniens chrétiens sont ulcérés par le rapprochement de Rome avec l’Azerbaïdjan, alors que Bakou est accusé d’avoir procédé au nettoyage ethnique de l’enclave arménienne du Karabakh. Quant à la reconnaissance mutuelle entre Israël et le Saint-Siège, si elle est effective, des points sensibles tendent la relation, notamment la souveraineté sur des sites religieux, et le sort réservé aux chrétiens de Gaza.
Enfin, en adoptant une conception maximaliste de la défense de toute vie, de la conception à la mort, le Vatican s’est attiré les sympathies de grandes régions du monde mais aussi les vertes critiques dans les pays plus progressistes, comme on l’a vu lors de la dernière visite papale en Belgique. Comment trouver un dénominateur commun entre des cultures aussi opposées sur le sujet? Tout comme sur le célibat des prêtres et la place des femmes? Ce sera aussi la tâche de Léon XIV.
Moment historique
L’héritage de François est aussi riche de quelques success stories. Le Saint-Siège a ainsi servi d’intermédiaire entre Cuba et les Etats-Unis lors de leur rapprochement sous Barack Obama. Ce fut même le souvenir le plus marquant de Ben Rhodes, conseiller de l’ancien président américain, comme il l’avait confié au Vif en 2019. «La délégation du Vatican a été prise par l’émotion, les larmes coulaient. C’est rare qu’on ressente le fait d’être sur le bon chemin.» Ben Rhodes s’est toutefois abstenu d’y voir l’influence de l’Esprit-Saint…
François a aussi contribué à apaiser le conflit au Soudan du Sud. Le 11 avril 2019, l’Argentin a reçu au Vatican les nouveaux dirigeants politiques de ce pays, au lendemain de l’accord négocié par l’Eglise pour mettre fin au conflit qui a fait 400.000 victimes entre 2013 et 2018. Le pape s’était penché pour embrasser les pieds du président sud-soudanais et de son rival. Un moment saisissant, et inédit en diplomatie.
Parfois affublée du titre de «diplomatie parallèle du Vatican», la communauté Sant’Egidio a contribué avec succès à des médiations pour la paix, notamment au Mozambique et au Burundi, même si c’était avant François. Dans les deux cas, c’est Matteo Zuppi, pilier de Sant’Egidio, et très proche de l’ancien pape, qui était à la manœuvre. Devenu archevêque de Bologne, il figurait sur la liste des «papabili». François l’a nommé envoyé spécial pour la paix entre la Russie et l’Ukraine. C’est grâce à ses interventions que plus de 300 enfants ukrainiens emmenés en Russie ont pu retrouver leur famille et leur pays.
Le Saint-Siège entretient des liens diplomatiques avec 184 Etats.
Le réseau mondial du pape Léon XIV
Aujourd’hui, le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques avec 184 Etats, y compris ceux où les catholiques sont peu nombreux, comme l’Iran, la Mongolie ou le sultanat d’Oman. C’est dire si son réseau est l’un des mieux informés au monde, car il s’appuie non seulement sur ses nonces (ambassadeurs), mais aussi sur un vaste maillage de prêtres, de religieuses, de missionnaires et d’ONG catholiques. Ce réseau s’avère parfois plus efficace que la technologie de pointe d’un service de renseignement.
Les nonces passent tous par l’Académie pontificale, la plus ancienne école diplomatique au monde, fondée en 1701. Particularité: ils restent en poste quel que soit le danger, devenant les dernières vigies des pays en conflit. On l’a vu en 2003 en Irak, et en Syrie au plus fort de la guerre. Parfois, c’est au prix de leur vie, comme au Burundi en 2003, où la voiture du nonce irlandais s’est fait mitrailler. Le représentant du pape, disait-on, en savait trop sur un détournement de fonds au sommet du pouvoir.
Seuls treize pays n’ont pas de relations diplomatiques avec le Saint-Siège, comme l’Afghanistan, l’Arabie saoudite, la Chine ou la Corée du Nord. Entre la Chine et le Vatican, le ciel se dégage, Pékin a félicité Léon XIV, mais on est encore loin du compte. Un accord a bien été signé en 2018 mais qui implique que la nomination des évêques catholiques doit recevoir l’aval du Parti communiste chinois. D’aucuns avaient espéré un pape asiatique, précisément pour amorcer une ouverture vers l’immense territoire chinois. «Le plus grand échec de mon pontificat est de ne pas avoir réussi à nouer de relations avec la Chine», avait confié Léon XIII, l’inspirateur du nouveau souverain pontife. Léon XIV parviendra-t-il à concrétiser la première visite papale dans l’empire du Milieu?