
Le Pape et l’Oncle Sam: d’Ukraine à Gaza en passant par la Chine, comment un Vatican américain pourrait influencer les enjeux internationaux
L’élection de Léon XIV, premier pape né aux Etats-Unis, marque un tournant discret mais significatif pour l’Eglise catholique. Robert Francis Prevost, originaire de Chicago et ancien missionnaire au Pérou, incarne un profil international atypique. Ni homme d’appareil romain, ni figure des grands courants catholiques américains, il pourrait faire évoluer la manière dont le Vatican se positionne dans un monde de plus en plus fragmenté.
Le Vatican n’est pas un acteur géopolitique au sens classique. Il n’a ni armée, ni siège au Conseil de sécurité, mais dispose d’un réseau diplomatique historique, actif dans plus de 180 pays. Il joue un rôle de médiation dans les crises, de représentation morale dans les enceintes internationales, et de mobilisation sur les grands enjeux globaux.
Jean-Paul II, premier pape venu d’un pays d’Europe de l’Est, avait utilisé son autorité morale pour soutenir, à distance, les mouvements démocratiques dans sa Pologne natale dans les années 1980. Sans jouer un rôle direct, il avait pesé dans l’évolution du régime par ses prises de parole et ses gestes symboliques. Des années plus tard, François a donné une place centrale à des thèmes comme la crise migratoire ou la protection de l’environnement. Il a rappelé à plusieurs reprises que l’Eglise devait rester attentive aux plus vulnérables, et sa voix a trouvé un écho dans les grands débats internationaux.
«Il ne faut pas attendre de Léon XIV qu’il agisse dans les rapports de force entre puissances comme la Chine et les Etats-Unis. Ce sont des rivalités économiques et stratégiques où le pape a peu de prise. En revanche, je pense qu’il peut jouer un rôle dans les conflits armés où les civils sont en danger: Ukraine, Gaza, ou certains pays africains», analyse Rik Torfs, professeur en droit canon à la KU Leuven. Selon lui, Léon XIV pourrait incarner un retour à une diplomatie silencieuse, faite de gestes symboliques, de rencontres bilatérales et d’appels humanitaires.
Le fait qu’il parle anglais, qu’il ait vécu en Amérique latine et qu’il connaisse les sensibilités culturelles des deux Amériques pourrait le rendre plus facilement écouté. «Il a le sens de l’international, de la politique, mais il reste prudent. Il n’est pas du genre à prendre parti trop vite, et c’est sans doute ce qui peut renforcer sa crédibilité comme médiateur. A l’inverse, François, parfois, allait très loin dans ses positions, au point de ne plus être perçu comme neutre», souligne le professeur en droit canon.
Le contexte international actuel pourrait justement ouvrir des marges d’action pour cette diplomatie «à bas bruit.» Ces dernières années, le Saint-Siège a cherché à faciliter des trêves humanitaires dans plusieurs conflits, notamment en Ukraine, au Soudan du Sud ou plus récemment à Gaza. Même si ces efforts restent souvent symboliques, la simple présence du Vatican dans les négociations est perçue comme une garantie morale par certains acteurs. «Ce n’est pas tant ce qu’il dit que ce qu’il incarne qui compte. La neutralité, la continuité et une forme de légitimité dans la défense des plus vulnérables sont très importantes», analyse Rik Torfs. Il rappelle que l’Eglise, en tant qu’acteur non étatique, peut oser des gestes que d’autres ne peuvent se permettre. Comme recevoir un chef de guerre sans valider sa politique, ou appeler au cessez-le-feu sans désigner de responsable.
A cela s’ajoute le fait que le Vatican siège comme observateur permanent à l’ONU depuis 1964. Il dispose d’une voix dans les grandes conférences internationales, notamment sur les sujets liés à la migration, la famine ou le climat, et peut influer discrètement sur certaines résolutions. Léon XIV, avec sa stature moins politisée et son réseau latino-américain et nord-américain, pourrait relancer ce rôle dans des enceintes multilatérales où la parole morale est en perte de vitesse.
Comme l’indique Rik Torfs, «Léon XIV n’est pas le représentant d’une Amérique religieuse militante. Il est l’un des seuls à pouvoir dialoguer avec des camps opposés sans y être enrôlé. Cela lui donne une position rare. Il n’est pas dans le combat, il est dans le lien.»
Diplomatie vaticane à l’épreuve
L’élection de Léon XIV, premier pape américain, a suscité une attention particulière à Washington. Cependant, elle n’a pas déclenché d’euphorie. Lorsqu’il était évêque, Léon XIV avait critiqué certaines mesures migratoires de Donald Trump. «Il faudra voir s’il modère son discours, maintenant qu’il est pape, mais ses divergences avec le pouvoir républicain sont réelles, rappelle Rik Torfs. Il n’est pas dans le camp de Trump. Cela ne fait aucun doute.»
Le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio a salué sa nomination, espérant un dialogue renouvelé avec le Saint-Siège. Mais dans les faits, deux conceptions du catholicisme coexistent. D’un côté, un catholicisme social et missionnaire, proche de la tradition, que semble incarner Léon XIV. De l’autre, une ligne plus identitaire et morale, portée par des figures comme JD Vance, le Vice-président des Etats-Unis, récemment converti. «Ce sera intéressant à observer. Un vrai contraste entre une vision politique de la foi et une approche plus pastorale», analyse Rik Torfs.
Ce décalage pourrait aussi se manifester dans la relation triangulaire entre le Vatican, les Etats-Unis et Israël. Ces dernières années, l’administration américaine a renforcé son soutien politique à Israël, y compris dans des contextes de tension aiguë comme les offensives sur Gaza. Le défunt Pape François, de son côté, a multiplié les appels à la paix et exprimé une empathie marquée pour les civils palestiniens. Une posture qui lui a valu de vives critiques de la part de certains lobbys pro-israéliens aux Etats-Unis.
Avec Léon XIV, si l’administration Trump espère un ton plus modéré de la part du représentant des catholiques, ce n’est pas gagné. Son passé en Amérique latine, son attachement au terrain missionnaire et sa proximité avec la ligne de François ne laissent pas présager un revirement. «Il ne sera pas dans la rupture, mais il ne cherchera pas non plus l’alignement, estime Rik Torfs. Il peut essayer de maintenir un dialogue plus apaisé, mais sans sacrifier la voix des plus faibles. A l’heure où les conflits du Moyen-Orient s’invitent dans les débats intérieurs américains, sa prudence pourrait être une ressource précieuse comme un clivage de plus. Les catholiques américains sont devenus au fur et à mesure plus conservateurs.»
Rôle dans les conflits
Léon XIV hérite aussi de débats internes sensibles, mais dans un contexte mondial où les tensions religieuses et identitaires se nouent parfois loin des sacristies. Son parcours personnel, profondément marqué par les réalités sociales d’Amérique latine, pourrait redonner du poids à une Eglise plus proche du terrain que des couloirs doctrinaux. Membre de l’ordre des Augustins, fondé au XIIIe siècle et engagé dans une tradition de vie simple, fraternelle et ancrée dans les communautés, il se distingue de figures plus institutionnelles du Vatican. Ce positionnement redéfinit la façon dont l’Eglise se rend audible dans les pays en conflit, ou auprès des populations déplacées et marginalisées.
Plus qu’un changement de cap, il pourrait incarner une forme d’ajustement prudent, dans un équilibre délicat entre tradition morale et exigence de dialogue global. Selon Rik Torfs, «dans un monde où les tensions religieuses s’internationalisent, où la foi devient un marqueur politique, la figure d’un pape modéré, sans camp affiché, peut retrouver un rôle diplomatique. Il ne sera pas le chef d’un camp, mais un trait d’union.»
Dans cette optique, l’attente dépasse largement les murs de l’Eglise. La manière dont Léon XIV s’adressera aux sociétés divisées, aux croyants fragilisés, aux peuples en guerre, participera de son rôle politique au sens noble du terme. «Non pas un pape doctrinaire ou militant, mais un médiateur mondial, capable de faire exister la parole catholique entre les blocs, sans être l’instrument d’aucun», conclut Rik Torfs.
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