Joseph Ndwaniye
Eglises évangéliques: entre ferveur et dérives, la promesse d’un miracle
Peut-on encore aujourd’hui créer une Eglise sur la seule base d’un appel de Dieu autoproclamé? L’Etat ne devrait-il pas encadrer la foi sans l’enfermer?
A Bruxelles, derrière une façade anodine, dans l’intimité d’un appartement, dans un hangar d’arrière-cour aménagé, des voix s’élèvent, portées par des chants et des clameurs. Des églises sans clocher, souvent invisibles aux regards pressés, battent au rythme des prières exaltées et des sermons enfiévrés. Ces lieux de culte, nés de la dynamique migratoire, rassemblent des âmes en quête de liens humains, de repères spirituels et d’identité mise à mal par l’expérience de l’exil. La Belgique en compte quelques centaines, essentiellement évangéliques, sans parler des innombrables cercles de prière informels. Chaque année, une dizaine de nouveaux courants émergent, portés par des prédicateurs souvent autodidactes, autoproclamés prophètes, bishops, apôtres… Leurs mots résonnent comme des promesses: guérison, prospérité, délivrance.
Pour leurs fidèles, Dieu devient investisseur céleste, offrant bénédictions et richesse au centuple à ceux qui donnent avec foi. Sous cette ferveur se cachent parfois des dérives inquiétantes. Des familles entières vident leurs comptes en banque dans l’espoir d’une prospérité divine. Des couples se brisent quand l’un refuse de suivre une foi devenue trop exigeante. Des vies chavirent dans la quête d’un miracle promis mais jamais advenu. Pourquoi tant y croient-ils? Parce que ces Eglises offrent ce que la société oublie trop souvent: l’écoute, l’étreinte d’un groupe, une reconnaissance de l’être humain qui transcende les papiers et les statuts. Là, on peut pleurer sans honte, danser sans réserve, se sentir vivant. Mais cette intensité émotionnelle a un prix: celui de la raison parfois étouffée et de la vulnérabilité exploitée. Certains anciens fidèles dénoncent et parlent d’un système qui capitalise sur la détresse, qui transforme la foi en marché. Les séminaires de délivrance, aux titres accrocheurs: richesse, guérison, bénédictions… deviennent autant d’appâts. A la sortie, dîmes, offrandes, objets soi-disant bénis sont achetés avec espoir, souvent avec les dernières économies.
Et tandis que certains y trouvent des racines, d’autres y laissent leurs plumes.
Il serait injuste de mettre toutes ces Eglises dans le même sac. Certaines, discrètes et engagées, œuvrent auprès des plus démunis, apportant un soutien matériel et moral bien réel. Mais dans un vide réglementaire, les êtres les plus fragiles restent à la merci de pratiques douteuses. Peut-on encore, aujourd’hui, créer une Eglise sur la seule base d’un appel de Dieu autoproclamé? L’Etat ne devrait-il pas fixer des critères, exiger une formation minimale, encadrer la foi sans l’enfermer? Le Rwanda, lui, a tranché. En 2018, le gouvernement a fermé plus de 6.000 églises jugées non conformes, imposant des règles strictes: formation théologique, normes de sécurité… Là-bas, on a préféré encadrer. En Belgique, la liberté religieuse prime, parfois au détriment des plus vulnérables. Laisser faire, est-ce tolérer l’abus? Encadrer, est-ce brider la foi? La question demeure, inconfortable. Un homme témoigne. Dans une quête de solutions à un mariage en déliquescence, sa femme s’est tournée vers une de ces Eglises, versant dîmes et biens en actions de grâce. Lui, sceptique, a tenté de l’arrêter. Leur histoire s’est fracassée contre l’autel de la foi excessive. Et derrière les chants, il ne reste que le silence d’une maison vide.
La vague évangélique poursuit sa route, entre éclats de lumière et ombres épaisses. Elle emporte avec elle des espoirs sincères, mais aussi des illusions cruelles. Et tandis que certains y trouvent des racines, d’autres y laissent leurs plumes.
Joseph Ndwaniye est écrivain et infirmier.
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