L'Eglise a choisi un américain comme pape
Léon XIV s’inscrit dans la lignée du pape François en faisant de la paix sa première thématique. © GETTY

Jan De Volder (KU Leuven) : «L’Eglise n’a pas forcément besoin d’être toujours de son temps»

François Janne d'Othée

Un pape américain, voilà qui a déjoué les pronostics. Mais sa nationalité jouera peu dans son influence mondiale, juge le vaticaniste Jan De Volder.

Active dans 74 pays et forte de 60.000 laïcs, la communauté chrétienne de Sant’Egidio accueille les plus démunis, tout en menant des missions de paix dans le monde car, selon elle, la guerre est la source de toutes les pauvretés. Le pape François en était très proche. Comment Sant’Egidio envisage-t-elle le règne de Léon XIV? L’historien Jan De Volder (KU Leuven), pilier de la communauté en Belgique, répond.

N’est-ce pas étrange de savoir que les deux personnes parmi les plus puissantes du monde proviennent du même pays?

C’était toujours la raison pour laquelle on n’envisageait pas l’idée d’un pape américain. Mais Léon XIV n’est pas une puissance politique comme le président des Etats-Unis, c’est une autre forme de puissance. Ensuite, il n’est pas considéré comme un pur Américain. Cet homme très discret, taciturne même –ce qui ne l’a pas empêché de critiquer le vice-président J.D. Vance–, a des racines européennes, avec un père franco-italien, une mère espagnole. Et lui-même jouit de la citoyenneté péruvienne. Il a été longtemps missionnaire. Et longtemps à Rome, aussi. Donc, il a un parcours très international, tout en étant polyglotte. Mais le choix ne s’effectue pas selon les continents ou les nationalités. On cherche tout de même autre chose.

Léon XIV s’est donné un nom qui évoque l’initiateur de la doctrine sociale de l’Eglise. Il a aussi parlé de construire des ponts et pas des murs. Pour votre mouvement, il coche presque toutes les cases…

Avec ses premiers mots, en parlant de la paix, il s’est mis dans les pas du pape François. Déjà, celui-ci avait touché les gens, car il représentait une voix morale qui disait la rationalité de la paix, à savoir que son inverse, la guerre, c’est le manque de sens, l’absurdité. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est chercher le dialogue avec nos ennemis, ou ceux que nous considérons tels, qui est devenu une idée absurde. Léon XIV, en commençant par la paix, a voulu renverser la logique. Il s’agit de chercher d’autres réponses aux crises et aux conflits que les armes, parce que la guerre, c’est la défaite de l’humanité. Le nouveau pape a aussi parlé de l’importance d’une Eglise qui se tient près de ceux qui souffrent. Pour Sant’Egidio, il est proche de notre sensibilité, c’est clair.

N’aviez-vous pas déjà un candidat «papabile» en la personne du cardinal italien Matteo Zuppi, pilier de votre mouvement?

Non, ça ne fonctionne pas comme ça. Il y a 133 électeurs et ce sont eux qui décident, qui se parlent dans le préconclave. C’est là qu’ils se font une opinion. Donc, l’idée qu’untel est le candidat de Saint-Egidio, ou des augustins, ou des jésuites, c’est de la construction médiatique. La logique n’est pas celle-là.

«Je souhaite une papauté plus collégiale, car c’est trop pour un seul homme.»

Ce pape a-t-il été choisi pour déminer les conflits mondiaux?

Si ce n’était que le rôle diplomatique, je pense qu’on aurait opté pour le secrétaire d’Etat, le cardinal italien Parolin, qui était le bras droit de François. Si on ne l’a pas choisi, c’est, aussi parce qu’on voulait un profil de pasteur, au-delà de sa nationalité. Mais aussi quelqu’un qui connaît bien le fonctionnement de l’Eglise. Certes, Prevost n’était que depuis deux ans à la Curie, mais à la tête du dicastère qui nomme les évêques, un poste hyperimportant. Il connaît donc très bien les dossiers. Tout cela a joué en sa faveur.

Le fait qu’il soit américain, ça a tout de même joué en sa faveur aussi, non? Non seulement pour reconquérir l’Amérique trumpienne, mais aussi pour l’aspect financier?

Je ne pense pas que pour convaincre un public américain, ou pour entrer en relation avec un président des Etats-Unis, il faut forcément être américain. Je reconnais que François a eu des relations problématiques avec beaucoup de catholiques conservateurs aux Etats-Unis. Le successeur de François devra essayer de réparer cette relation, de restaurer l’unité de l’Eglise catholique américaine. Sur la question financière, je ne suis pas spécialiste, on parle d’un déficit de 80 millions d’euros, mais cela ne me semble pas la fin du monde. Peut-être y a-t-il eu des chantages de la part de lobbies financiers américains? Mais je ne peux imaginer que ce critère peu noble de l’argent ait pu influencer les cardinaux.

Une histoire circule à propos d’un cas d’abus sexuels couvert par le pape à l’époque où il était évêque au Pérou. Qu’en pensez-vous?

Je ne vais pas m’exprimer sur ces rumeurs, mais si c’était vraiment sérieux, les cardinaux l’auraient su et n’auraient pas voté aux deux tiers, minimum, pour le cardinal Prevost.

Le pape n’a-t-il pas trop de pouvoir? Faudrait-il que l’exercice de la papauté se fasse de manière plus collégiale?

Oui, je l’espère. Non pas parce que le pape a trop de pouvoir, mais parce que c’est trop pour un seul homme. Le monde est tellement grand et compliqué, l’Eglise aussi. Et donc, l’idée d’un conseil circule, depuis même 20 ou 30 ans. François s’y est essayé, mais ça n’a pas très bien fonctionné. Il faut aussi dire que François n’était pas un grand organisateur. Il avait des intuitions, des idées, mais pour les mettre en œuvre, c’était autre chose. Le nouveau pape parviendra-t-il a créer un conseil permanent autour de lui? Je serais pour.

Comment expliquez-vous cet engouement pour l’élection d’un pape dans cette Europe qui se déchristianise, alors que l’Eglise n’évolue guère avec son temps?

Cette période de transition a montré une Eglise unie dans sa diversité, et c’est ce qui fait sa force dans un monde qui s’entoure de murs. Cette beauté de la liturgie, de la répétition, fascine jusqu’aux musulmans et aux incroyants. On en est au 267e pape, nommé après deux jours seulement, pour gouverner une institution qui a traversé les siècles et survécu aux chutes des empires et à de sérieuses crises, comme les dossiers d’abus sexuels. Elle est composée d’hommes pécheurs, elle est traversée par des courants divers, mais elle est riche d’une harmonie qu’elle sait cultiver, et qui tient du surnaturel. L’Eglise n’a pas forcément besoin d’être toujours de son temps.

 

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