Les selfies voiture fleurissent partout: réseaux sociaux, applis de rencontre, photos de profil… Pourquoi se photographier au volant, surtout quand on est un homme? Décryptage, entre stratégie de séduction et signe extérieur de richesse.
Les pires, ce sont ceux qui essaient de donner l’impression qu’ils ne sont pas en train de faire ce qu’ils sont précisément en train de faire. Leur main droite tient le smartphone mais leur regard se concentre sur la route, genre «mais enfin, non, je ne me prends pas du tout en photo, quelle idée, puisque je conduis! Ce téléphone a dû saisir un cliché là, par pur hasard.» Un hasard outrageusement répétitif: des réseaux sociaux aux applications de rencontre en passant même par les photos de profil sur WhatsApp, les «selfies voiture» sont devenus une véritable épidémie.
Du genre sournois, le virus. Passant volontiers inaperçu mais, une fois son existence mise à jour, aussi irritant qu’un eczéma, encore plus désagréable qu’une chlamydia. Une pandémie d’abord masculine, selon l’OPSV (l’Observatoire personnel du selfie voiture), bien qu’évidemment il n’est (malheureusement) pas rare que cette affection touche de temps à autre une patiente de sexe féminin.
Se sourire à soi-même et l’immortaliser, quel acte étrange.
Les études menées par l’OPSV auprès de sujets atteints, parfois très intensément, de ce mal qu’on n’espère pas incurable évoquent des raisons de luminosité, apparemment favorable à la réalisation d’une (belle?) photo. «Je sortais de chez le coiffeur», justifient tant Gonçalo que Ruben. «J’étais heureux d’être sur la route par une météo magnifique», avance pour sa part Quentin. «C’est finalement l’un des rares endroits où quelqu’un peut avoir un moment en solo», justifie Sarhan. Et c’est vrai qu’en y réfléchissant, se sourire à soi-même et l’immortaliser est un acte étrange qu’il est plus agréable de réaliser dans une certaine intimité.
La bagnole serait ainsi devenue une sorte de studio des temps modernes, idéalement éclairé et adéquatement privé. Sur TikTok, nombre de vidéos y sont d’ailleurs tournées. Mais l’analyse vaudrait tout autant pour un canapé avantageusement situé près d’une fenêtre. Non, il y a définitivement quelque chose en plus, avec le selfie voiture: la voiture, justement. «Qui reste le signe d’une certaine richesse, analyse Sarah Galdiolo, professeure de psychologie clinique à l’UMons et autrice de Psychologie du couple (De Boeck, 2024). Or, dans un contexte de séduction, on sait (même inconsciemment) ce qui est valorisé, ce qui plaira et suscitera l’admiration, donc on le mettra en avant. Toutefois, les études continuent de démontrer que les femmes se montreront plus sensibles à des signes extérieurs d’aisance, comme le métier, le logement, la voiture…»
Attention, la marque n’est toutefois jamais discernable. Parfois, un intérieur en cuir beige laisse penser qu’il ne s’agit point là d’une Dacia, mais pour le reste, le volant tenu par la main gauche pourrait tout aussi bien appartenir à une Twingo qu’à une Merco. Au-delà du véhicule lui-même, c’est l’acte de conduire qui est donc censé séduire. Allez, en voiture, Simone, pose ton séant sur le siège passager, je m’occupe de tout, bébé. La même logique prévaut pour les «selfies pêche», ces photos d’hommes posant en tenant un (énorme) poisson, une épidémie surtout concentrée aux Etats-Unis et au Canada (ouf!). Une manière instinctive de démontrer sa masculinité et sa capacité à pourvoir.
Ces deux maladies côtoient ainsi, pour les mêmes raisons sociologiques, celle du «selfie plage», cette fois affectant essentiellement les femmes qui, une fois infectées, se mettent à publier des selfies d’elles en bikini. Ayant parfaitement compris que ce qui était d’abord attendu d’elles, c’était d’être belles. Attention à ne pas laisser des grains de sable sur le siège passager, hein…
