Les rats se multiplieraient-ils dans les villes? Impossible à certifier. Mais les habitants en observent plus que par le passé. La faute aux déchets et au réchauffement climatique.
Combien sont-ils? Mystère. Le nombre de rats qui vivent à Bruxelles varie, selon les sources, entre 1,2 et cinq millions. A vrai dire, nul n’en sait rien, les bestioles évitant de se présenter à la maison communale pour obtenir des papiers. Mais on en aperçoit parfois, à Bruxelles comme ailleurs: à Fléron, à Verviers, à Namur, à Saint-Nicolas, à Dison… Les citoyens qui les remarquent ont le sentiment qu’ils sont plus nombreux qu’auparavant. Mais rien ne permet de l’attester car aucun comptage scientifique n’est ni ne pourrait être effectué. En revanche, on les voit davantage. On les filme plus, aussi, avant d’assurer leur notoriété sur les réseaux sociaux.
Plus sérieusement, la plateforme Observation.be, sur laquelle les citoyens publient des photos en lien avec la biodiversité, permet plus aisément de leur donner un visage. «Les rats sont opportunistes, rappelle Pascale Hourman, porte-parole de Bruxelles Environnement: ils vont là où il y a de la nourriture.» Le lien entre la présence de nourriture, sous forme de déchets notamment, et les populations de rats est évident. La prolifération de ces rongeurs est donc d’abord liée au comportement des humains. Or, des déchets, il en traîne un peu partout dans les villes: autour des poubelles publiques et des bâtiments abandonnés, sur les terrains en friche, le long des cours d’eau. Un sac-poubelle destiné aux déchets alimentaires est-il déchiré? Un accès est-il possible à un compost alléchant? Des tranches de pain ont-elles été jetées dans un parc pour régaler les pigeons? C’est tout profit pour ce petit mammifère gourmand, doté d’un système olfactif 400 fois plus puissant que celui des humains.
Celui-ci se déplace aussi, en groupe de 20 à 100 individus, en fonction des conditions de vie auxquelles il est soumis: si des travaux d’excavation sont en cours dans son quartier ou si des inondations le chassent de ses terres habituelles, il n’hésite pas à déménager vers des lieux plus sereins. On l’a vu lors des inondations de juillet 2021 dans la région de Liège et Verviers.
Disciple inconditionnel de la famille nombreuse, le rat se reproduit à une vitesse peu commune. Arrivé à la maturité sexuelle après six à huit semaines d’existence, il ne lui faut patienter que 22 à 24 jours –soit le temps de gestation– pour devenir parent. Autrement dit, sur papier, un seul couple de rats pourrait compter jusqu’à 15.000 descendants après un an, à condition de disposer des ressources alimentaires nécessaires. Petit bémol: son espérance de vie dépasse rarement 365 jours. Jusqu’il y a quelques années, les périodes de reproduction étaient limitées aux saisons douces. Aujourd’hui, le réchauffement climatique permet au rat de s’assurer une descendance toute l’année. Une étude parue en janvier dernier dans la revue Science Advances confirme que ces rongeurs se multiplient particulièrement dans les métropoles où les températures augmentent le plus rapidement. Les villes auraient tout intérêt à «intégrer les impacts biologiques de ces variables dans leurs futures stratégies de gestion », conseillent les chercheurs attachés à l’université de Richmond, en Virginie.
Car dans les égouts des grandes villes, le rattus norvegicus, aussi appelé rat brun, rat d’égout, rat des villes ou surmulot, coule des jours heureux. Il y est à l’abri des prédateurs, profite de la chaleur et de l’humidité du lieu et trouve quantité de déchets à grignoter. Au point qu’on reconnaît à cet omnivore une réelle fonction de nettoyeur: capable d’absorber l’équivalent de 10% de son poids en 24 heures, il consommerait à Paris, avec ses alter ego, environ 800 tonnes de déchets chaque jour!
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La hantise du rat
Historiquement lié à l’épidémie de peste qui fit des ravages à plusieurs reprises au Moyen Age –alors que des études prouvent aujourd’hui que ce sont les puces qui en seraient responsables–, le rat ne suscite guère l’empathie, par principe. On le considère comme sale, alors qu’il se lave fréquemment, et on épingle ses talents de rongeur nuisible. Or, ronger est un besoin vital pour lui, dès lors que, à l’instar des lapins, il compte deux incisives à croissance continue qui peuvent grandir jusqu’à quinze centimètres par an. L’émail de ces dents est particulièrement dur, davantage que le plomb, le cuivre et le fer. Ainsi équipé, il ne rechigne pas à grignoter une poubelle, un meuble un bois ou des câbles. Les dégâts qu’il occasionne peuvent être considérables. Face à l’humain, il opte plutôt pour la fuite, à moins de se sentir coincé et agressé. «Il est déjà arrivé à nos agents de se faire attaquer par un rat», confirme Saar Vanderplaetsen, porte-parole de Vivaqua. Or, certaines maladies restent associées à ce rongeur, comme la leptospirose, longtemps appelée la maladie des égoutiers, le hantavirus ou l’hépatite.
Chasse au rat
Pour toutes ces raisons, les communes organisent, en général deux fois par an, des campagnes de dératisation. Vivaqua fait de même dans les quelque 2.000 kilomètres de son réseau d’égouts, en utilisant des rodenticides ou raticides, c’est-à-dire des blocs composés d’un produit chimique qui tue lentement la victime, de manière à ce que les rats ne fassent pas le lien entre ce qui a été ingéré et le sort funeste qui s’ensuit. Ce produit est théoriquement interdit d’usage en Région bruxelloise mais les produits alternatifs font défaut. Il est à peu près impossible d’évaluer l’efficacité de ces campagnes, qui coûtent quelque 200.000 euros par an. «On constate que les blocs de raticide que nous avons placés sont mangés, donc on suppose que cela marche, rapporte Saar Vanderplaatsen. Les corps des rats empoisonnés sont emportés dans l’eau vers les stations d’épuration. Nous n’avons donc pas de vision sur le nombre d’entre eux qui sont tués de la sorte.» Ni sur l’effet des restes de raticide qui se retrouvent, en aval, dans la nature. Le recours à ces produits est à la source d’un autre problème: le développement de la résistance aux rodenticides. «En Flandre, souligne le chercheur à Institut public flamand de recherche sur la nature et la forêt et vétérinaire Kristof Baert, deux rats sur cinq sont génétiquement résistants et, dans certaines régions, ce chiffre atteint 100%.»
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En attendant de trouver des alternatives efficaces, Bruxelles Environnement intervient de la même manière dans les espaces verts dont il a la gestion, quatre fois par an, et sur demande des communes. Avec des effets à court terme, le temps que les groupes se reforment. A Etterbeek, on recourt au furet pour combattre les rats tandis qu’un projet pilote, lancé à Louvain, consiste à placer des pièges détecteurs de mouvement qui s’activent en brisant la colonne vertébrale des rongeurs. A Bruxelles-Ville, où 517 interventions ont été enregistrées depuis le début de l’année, une task force a été lancée pour coordonner l’action de tous les acteurs concernés, en ce compris la Stib, Infrabel et le Port de Bruxelles. Au niveau mondial, la lutte contre les rats dans les villes coûterait quelque 483 millions d’euros par an…
Cet omnivore est capable d’absorber l’équivalent de 10% de son poids en 24 heures.
Tous les acteurs du secteur le répètent: il faut miser sur la prévention et la responsabilisation des citoyens. Il n’y a pas de rats sans nourriture disponible. «Rendre les déchets alimentaires inaccessibles est l’approche qui aura le plus grand impact», assure Jonathan Richardson, professeur de biologie spécialisé dans les populations de rats. Car les rats ont toujours existé dans les villes et y existeront toujours: ils en sont des habitants particuliers. A Paris, le projet Armaguedon a vu le jour dans le but d’étudier scientifiquement le comportement du rat, dès lors qu’il faut apprendre à cohabiter avec lui, tout en gérant sa population. Mieux le connaître devrait permettre d’opter pour des méthodes de lutte mieux ciblées et sans doute plus efficaces.
Sans oublier que le rat peut aussi rendre service aux humains: au Mozambique, il est utilisé pour détecter, à l’odorat, les mines cachées dans le sol lors de la guerre civile de 1977-1992. Trop léger pour les faire exploser, il peut contrôler une surface de la taille d’un terrain de tennis en 30 minutes…
Les bons gestes à adopter
1. Sortir ses sacs-poubelle aux jours et aux heures prévus. Recourir, si c’est possible, à des conteneurs solides ou placer ses poubelles en hauteur.
2. Ne pas nourrir les pigeons, chats errants et autres animaux sauvages car les rats sont les premiers à en profiter.
3. Installer des poubelles hermétiquement fermées dans les lieux publics.
4. Limiter l’accès des rats aux égouts.
5. Limiter l’accès des rats aux immeubles à l’abandon.
6. Colmater ou grillager les entrées, fissures et brèches qui permettent aux rats de s’introduire dans les maisons.
7. Ne nourrir les oiseaux pendant l’hiver qu’en petites quantités, placées hors d’atteinte des rats (qui sont aussi des grimpeurs).
8. Ne pas jeter de viande, de poisson, ou de restes de produits laitiers dans le compost.
9. Pour ceux qui en disposent, nettoyer régulièrement le poulailler.
10. En milieu rural, favoriser l’installation de prédateurs comme les rapaces, nocturnes et diurnes, en installant par exemple des nichoirs à chouette effraie ou des postes de chasse pour les rapaces diurnes.