Les enfants nagent moins bien. Les principales raisons sont la raréfaction et la saturation des piscines publiques, mais d’autres facteurs interviennent.
1974, Leuze-en-Hainaut. Leuzoises et Leuzois plongent pour la première fois dans leur piscine communale flambant neuve. Durant de nombreuses années, les têtes blondes y apprennent à nager… ou plutôt, y apprenaient. A peine plus de 50 ans après son ouverture, le bassin public va définitivement fermer ses portes, car il coûte cher. Trop cher pour les finances communales.
A Leuze-en-Hainaut comme à travers toute la Wallonie, les piscines communales ferment les unes après les autres, faute de moyens pour financer leur entretien et leur fonctionnement. Le Service public de Wallonie ne connaît pas le nombre de piscines communales encore ouvertes en 2025; les chiffres les plus récents remontent à 2024. Sur 146 bassins recensés au cadastre sportif wallon, seuls 82 étaient accessibles au public. Soit pour cause de fermeture (c’est le cas pour une trentaine d’entre elles), soit parce qu’elles étaient intégrées à un établissement scolaire et utilisées par les élèves exclusivement.
Ces écoles bien équipées restent l’exceptions parmi les 2.700 établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La majorité des cours de natation doivent donc être dispensés dans des piscines externes de moins en moins nombreuses. Professeur d’éducation physique à l’Institut de la Providence, à Champion, Maxime Lefèvre, dénombre aujourd’hui un seul bassin à se partager à Namur et dans ses environs. «Avant, il y avait les piscine de Salzinnes, de Jambes et de Saint-Servais. Désormais, il ne reste plus que la dernière, qui est saturée, regrette l’enseignant. En journée, les écoles se disputent les couloirs, après les cours, ce sont les clubs. Il n’y presque plus de place pour les nageurs loisirs ou pour les entraînements individuels.»
«On sait très bien aujourd’hui que les compétences natatoires, pour la plupart des jeunes, sont obtenues à l’école, et non dans le privé.»
L’école, essentielle à l’apprentissage de la natation
Ce manque d’accessibilité des piscines publiques n’est pas sans conséquence. «Une convergence d’observations permet d’affirmer que les compétences aquatiques des enfants et le « savoir nager » sont en baisse, avance le professeur Boris Jidovtseff, du département des Sciences de l’Activité Physique et de la Réadaptation de l’ULiège. La raison est essentiellement la diminution du nombre de piscines, qui sont des gouffres financiers pour les communes et les écoles, et donc l’impossibilité pour toutes les écoles de satisfaire aux programmes officiels et de développer cette compétence chez tous les élèves.» Des enfants qui ne pourront pas bénéficier de cours deviendront potentiellement des adultes ne sachant pas nager. «Cette tendance risque de s’amplifier avec la crise économique et les priorités budgétaires des politiques qui sont ailleurs», craint-il.
Louise Deldicque, professeure de la faculté des Sciences de la Motricité de l’UCLouvain ne partage pas tout à fait l’avis de son confrère. Si elle concède qu’il existe des disparités entre régions en matière d’infrastructures de natation, et donc d’accessibilité à des bassins, pour elle, «le niveau global de natation ne diminue pas». Au contraire, même. «Les jeunes et leurs parents sont bien plus sensibilisés au risque de noyade, aujourd’hui que par le passé, expose-t-elle. Certains clubs et écoles de natation possèdent des listes d’attente avant de pouvoir débuter. Cela témoigne de l’engouement pour l’apprentissage de la natation.»
S’il souligne que l’évolution du niveau en natation des enfants est difficile à mesurer, Alexis Rondeau, coordinateur pédagogique de la Ligue Francophone Belge de Sauvetage, partage davantage l’avis de Boris Jidovtseff que celui de Louise Deldicque. «De moins en moins d’écoles proposent des cours de natation, du moins de manière régulière. En secondaire, certains élèves vont avoir des cours durant un ou deux ans, puis ne mettront plus les pieds à la piscine, expose-t-il. Or, on sait très bien aujourd’hui que les compétences natatoires, pour la plupart des jeunes, sont obtenues à l’école, et non dans le privé.»
3 heures de sport par semaine
Pourtant, en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’apprentissage de la natation est une obligation, de la 1ère primaire à la 3e secondaire, qui «relève d’une question de sécurité pour nos jeunes, souligne le cabinet de la ministre de l’Enseignement, Valérie Glatigny. La déclaration de politique communautaire (DPC) prévoit d’ailleurs que chaque élève doit avoir la possibilité d’apprendre à nager dans des installations adéquates.» Et de passer suffisamment de temps dans l’eau. «Sur une période de cours de deux heures, en retirant le trajet et le passage dans les vestiaires, les élèves ne restent réellement dans l’eau que 20 à 30 minutes. Ce n’est pas suffisant», pointe le professeur d’éducation physique.
La décision prise par la ministre Glatigny dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires devrait au moins partiellement résoudre le problème. Depuis la rentrée 2024-2025, les élèves de la 5e primaire doivent suivre une heure de cours d’Education Physique et à la Santé (EPS) en plus chaque semaine. Ce ne sont ainsi plus deux, mais trois heures de cours de sport auxquelles participent les enfants de manière hebdomadaire. «Ce sera également le cas en 6e primaire dès la rentrée 2025-2026, ajoute le cabinet de la ministre. Cela permettra aux écoles de regrouper ces périodes pour faciliter d’éventuels déplacements.» Les trajets resteront néanmoins problématiques pour de nombreux établissements, notamment ceux forcés de louer un bus. «Or, le coût est excessivement élevé», souligne Maxime Lefèvre.
Tout cela sans compter que les prix d’entrée des piscines ont globalement augmenté au fil des années, pointe du doigt Alexis Rondeau. Le professeur namurois abonde: «Il y a quinze ans, je me souviens d’entrées à un euro, pour environ cinq euros ou plus aujourd’hui.» Voire encore davantage dans les piscines privées, vers lesquelles certains établissements scolaires et certaines écoles de natation sont désormais contraints de se tourner.
«Quand apparaît la puberté, quand les élèves prennent conscience de leur corps et de celui des autres, le taux d’absentéisme augmente.»
Les écoles qui ne se conforment pas à l’obligation de cours de natation ne font face à aucune sanction, fait savoir le cabinet de la ministre Glatigny, qui précise prendre «en compte les difficultés pour certaines écoles d’accéder à une piscine».
Moins bon nageur que celui qui ne part pas en vacances
La baisse des aptitudes natatoires des enfants n’est toutefois pas à mettre sur le dos de la seule raréfaction des piscines publiques. Dans certaines écoles, les élèves ne participent pas toujours aux cours pour des raisons de mixité. Surtout en secondaire, où filles et garçons sont séparés pour les cours d’éducation physique, sauf en natation. «Vers la deuxième secondaire, quand apparaît la puberté, quand les élèves prennent conscience de leur corps et de celui des autres, le taux d’absentéisme augmente», remarque Maxime Lefèvre sur le terrain.
Le professeur de sport note aussi des disparités entre élèves, parfois liées à des inégalités socio-économiques. «Certains élèves nagent moins bien parce qu’ils n’ont malheureusement pas eu la chance d’être inscrits à des cours de natation en dehors de l’école. Car leurs parents n’en ont pas les moyens, ou parce que ceux-ci ne sont pas sensibilisés à l’importance de l’apprentissage de la natation, explique-t-il. Par honte, par peur aussi, certains sèchent les cours. Ils n’apprennent donc pas, c’est un cercle vicieux.»
D’après une analyse de l’Institut national de la Jeunesse et de l’Éducation populaire (Injep) publié en 2021, «seulement 61% des enfants d’ouvriers non qualifiés sont de bons nageurs contre 86% des enfants de cadres, et les premiers sont aussi six fois plus nombreux que les seconds à ne pas savoir nager».
Selon l’institut, outre les cours, scolaires ou extrascolaires, la durée des vacances joue un rôle dans les aptitudes natatoires des enfants. Ceux qui partent plus de 30 jours en vacances en été sont 82% à indiquer être de bons nageurs. A l’inverse, les enfants qui profitent de moins de quatre jours de congés estivaux, eux, sont à peine plus de la moitié à s’estimer bons nageurs. La tendance s’inverse chez les mauvais nageurs et les enfants qui ne savent pas du tout nager: ils sont environ 15% chez ceux qui partent peu en vacances, et 4% chez ceux qui partent le plus longtemps.
Le milieu socio-économique n’a pas seulement une influence sur le niveau en natation des enfants, souligne Louise Deldicque. «Celui-ci a aussi des conséquences sur le niveau général d’activité physique et de condition physique», conclut l’universitaire.