Chris Paulis, docteure en anthropologie, regrette qu’Halloween n’ait plus grand-chose de la fête enfantine d’autrefois. Entre pendus sur les places publiques, parcs d’attractions ultra-gore et compétitions de frissons, l’horreur s’invite partout.
Des enfants déguisés en squelette, en vampire, en sorcière qui font du porte-à-porte pour réclamer des bonbons sous peine de jeter un sort à toute personne refusant de leur offrir des friandises. Des voisins jouant le jeu en décorant leur maison de toiles d’araignée et de fantômes improvisés avec de vieux chiffons. Cette ambiance bon enfant qui caractérisait la fête d’Halloween, semble aujourd’hui évoluer de plus en plus vers le gore.
Pour certains parcs d’attraction, c’est à celui qui fera le plus peur à ses visiteurs. Des comédiens sanguinolents déambulent dans les allées, les maisons hantées se multiplient, des zones sont déconseillées aux enfants de moins de 16 ans.
«Ce qui effraie rassure. Cela permet à l’homme de se rendre compte que la réalité n’est finalement pas si moche que ça.»
En 2023, la ville de Chimay avait été pointée du doigt pour avoir exposé un homme prêt à être guillotiné sur l’un de ses ronds-points. Après une levée de boucliers sur les réseaux sociaux, l’échevin des travaux avait rétorqué que cette décoration faisait partie de l’ambiance d’Halloween, qu’il en avait vu des semblables à Walibi. Quant à la Gestion Centre-Ville de Mouscron, elle organisait, ce mercredi, une soirée «Frissons en centre-ville». La commune avait été décorée pour l’occasion, mais un élément a surpris les passants: un faux pendu était exposé sur la Grand-Place. Interrogés par L’Avenir, les organisateurs comprennent que cette décoration ait choqué, «même si on voit bien d’autres choses choquantes partout».
Exit les sorcières, place aux cadavres
Mais cette banalisation de l’horreur dénature la tradition «enfantine» d’Halloween, dénonce la docteure en anthropologie Chris Paulis. A l’origine, cette fête folklorique anglo-celte n’était pas destinée aux enfants, mais ceux-ci en sont devenus le cœur de cible, lorsque, aux Etats-Unis, les coutumes des immigrés irlandais ont été détournées. C’est cette tradition, très récente à l’échelle d’une histoire «halloweenesque» remontant à avant notre ère, que regrette l’anthropologue.
Le point de bascule est arrivé il y a environ une dizaine d’années, selon Chris Paulis, «quand les adultes se sont appropriés cette fête pour enfants» et ont ajouté «à l’imaginaire des sorcières et des gentils monstres, de l’hémoglobine, des membres découpés, de l’horreur réaliste». Pour l’anthropologue, cela tient de la nostalgie, d’un besoin de retourner en enfance pour échapper à la dure réalité du quotidien. «S’ils aiment le côté régressif d’Halloween, ils n’apprécient pas son côté bon enfant, ils veulent de l’horreur, poursuit-elle. C’est inné chez l’adulte: il a besoin de sensations fortes.»
Voire de se faire peur, complète Dimitri Haikin, psychologue. «La peur va déclencher un sentiment d’excitation sous forme d’adrénaline. Chercher à se faire peur, en regardant un film d’horreur ou en allant dans un parc d’attractions pour Halloween, c’est une sorte de défi conscient. On sait que ce frisson est temporaire», explique-t-il. «Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce qui effraie rassure, ajoute Chris Paulis. Cela permet à l’homme de se rendre compte que la réalité n’est finalement pas si moche que ça, qu’il est en sécurité.»
Tout aussi excitante que soit la peur, elle peut néanmoins se transformer en terreur, voire en traumatisme, lorsque survient un sentiment de danger. «L’enfant qui n’a pas l’âge ou n’est pas préparé à ce genre d’image horrifique peut être impacté, poursuit le psychologue. Il ne faut pas le surprotéger pour autant, car la peur est bénéfique. Il doit expérimenter, jouer avec les limites de ses peurs, comprendre ce qui est réel et ce qui tient de l’imaginaire, et comment y répondre. Sans cette expérimentation, l’enfant risque de devenir un adolescent sans conscience des limites et du danger. Il en va aussi de la responsabilité des parents de ne pas soumettre l’enfant à des choses qui ne sont pas de son âge ou de lui expliquer en amont ce qu’il s’apprête à voir.»
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La fête (d’Halloween) n’est pas finie
Si Chris Paulis se réjouit de voir qu’Halloween permet aux personnes de s’exprimer, elle regrette que «les enfants deviennent les grands oubliés d’une fête qui leur était pourtant dédiée». Walibi, qui a fait d’Halloween, sinon son plus gros événement, l’un des plus importants de l’année, assume le choix de cibler les jeunes adultes et les adultes. «On a testé des événements plus familiaux, mais ce n’est pas ce qu’attendent nos visiteurs, qui sont en demande de sensations fortes, souligne sa porte-parole, Adèle Moreau. D’autres parcs belges proposent des événements plus familiaux, et ça fonctionne très bien pour eux. Le public cible est simplement différent.» Elle ajoute qu’en dix ans, la direction artistique d’Halloween n’est pas devenue plus gore. «Au contraire, on a progressivement abandonné certains éléments morbides comme le sang.»
«L’enfant doit expérimenter, jouer avec les limites de ses peurs, comprendre ce qui est réel ou non, et comprendre comment y répondre.»
Légiférer sur la fête d’Halloween semble irréaliste, mais à échelle locale, certaines personnes et organismes agissent déjà pour éviter que la transgression ludique ne se transforme en traumatisme. Ainsi, dans une école primaire d’Edegem, près d’Anvers, la soirée d’Halloween de cette année a été supprimée en raison de précédents d’enfants ayant fait des cauchemars après l’événement. Une décision qui découle d’un «souci d’assurer un environnement scolaire sûr et inclusif dans lequel chaque enfant peut grandir et se sentir bien», a justifié la direction dans un courrier adressé aux parents, dont certains ont regretté cette suppression.
Il convient enfin de souligner que même si l’aspect morbide est souvent mis en avant sur les réseaux sociaux, dans les séries ou les films d’horreur, il n’a pas totalement éclipsé l’aspect enfantin d’Halloween. Communes, villages et quartiers continuent d’organiser du porte-à-porte, des événements de plus ou moins grande envergure, dépouillés de toute hémoglobine et membres coupés, se tiennent également chaque année aux quatre coins de la Belgique. Certaines initiatives sont même allées jusqu’à abandonner les sorcières, monstres et autres vampires pour adopter une esthétique tout simplement automnale.