IV Drip Vitamin Infusion Therapy Saline Bag

«On peut se poser la question de la base scientifique»: les perfusions vitaminées, une pratique en vogue mais controversée

Mise en avant par les influenceurs et les réseaux sociaux, la vitaminothérapie séduit de plus en plus. Mais derrière le «boost» promis, certains dénoncent un business lucratif, sans preuves scientifiques solides, et potentiellement dangereux pour la santé.

Chaque jour, Laeticia* scrolle frénétiquement sur son téléphone pour passer le temps. Dernièrement, elle voit passer de plus en plus de posts vantant les mérites des perfusions vitaminées sur les réseaux sociaux. «Beaucoup d’influenceuses en parlent. Mais même si j’adore prendre des compléments alimentaires, ça ne m’intéresse pas. Pour moi, c’est une mode, une lubie “bien-être” de plus», raconte la jeune femme. Ce type de perfusion, appelée aussi vitaminothérapie, existe depuis plusieurs dizaines d’années aux Etats-Unis, où les stars d’Hollywood en font régulièrement la promotion. Comme son nom l’indique, elle consiste à injecter par voie intraveineuse un «cocktail» de vitamines et de nutriments à haute intensité, censé offrir un «boost d’énergie» aux multiples bienfaits selon ses défenseurs: meilleur sommeil, concentration accrue ou bien-être retrouvé.

Acte médical et healthy life 

«Dans ces injections, il peut y avoir des vitamines B, aidant au fonctionnement du métabolisme, de la vitamine C, du glutathion qui est un puissant antioxydant, du magnésium, de la vitamine B12, du zinc… Chaque protocole est personnalisé en fonction des besoins du patient», nous explique Safaa Ibrahimi, infirmière, qui dispense une formation en vitaminothérapie pour les professionnels de santé en Belgique et dans d’autres pays européens et du Moyen-Orient avec la Vitamédical Académie, en collaboration avec Cécile Carlier, médecin anesthésiste-réanimatrice. «Cette formation n’est pas interdite par l’Ordre des médecins, mais elle n’est pas reconnue: quand ce n’est pas traditionnel ou conventionnel, ça ne leur plaît pas», précise un médecin belge qui l’a suivie. 

Il suffit de quelques secondes de recherche en ligne pour tomber sur l’un des nombreux centres proposant des injections vitaminées en Belgique. «La vitaminothérapie est un acte médical, qui doit être effectué par un médecin. Pour bénéficier d’une perfusion, le patient doit venir avec un bilan sanguin, afin que l’on puisse déterminer ses éventuelles carences. C’est une médecine de soutien, nous sommes dans le bien-être, la “healthy life, précise Safaa Ibrahimi, qui ajoute que toutes les vitamines utilisées par son académie sont achetées «dans des pharmacies belges». Selon elle, l’intérêt pour cette pratique ne cesse de croître, pour des raisons variées: «Cela peut leur permettre d’arrêter de prendre des compléments alimentaires par voie orale. Il y a un effet de mode également, mais aussi des personnes ayant subi une chirurgie bariatrique, d’autres qui reviennent au “naturel”, voulant bien vieillir et faisant attention à leur santé.»

De fortes critiques

Ces injections coûtent en moyenne «entre 180 et 250» euros, ne sont pas remboursées par la mutuelle ou la sécurité sociale et doivent être effectuées «une fois par mois, pendant trois à quatre mois. Puis une fois tous les six mois», selon l’infirmière. Il s’agit ici de l’une des premières critiques adressées à cette pratique: «C’est clairement hors de prix, réservé aux “élites” qui ne savent pas quoi faire de leur argent», glisse Laeticia, évoquant aussi «des risques pour la santé», régulièrement pointés par les détracteurs de la vitaminothérapie. «Une perfusion intraveineuse expose à des risques bien réels: infections, septicémie, réactions allergiques graves» énumère ainsi sur son site Internet la diététicienne-nutritionniste Sophie Schoelinck dans un article au titre évocateur: «Perfusion de vitamines par intraveineuse: soin, illusion ou business?»

«Une perfusion vitaminée peut être dangereuse… et ne sert à rien si vous n’êtes pas en déficit sévère», assure-t-elle, en s’en prenant aux «centres privés» diffusant «des vidéos promotionnelles pour leurs perfusions vitaminées». «La publicité pour des actes médicaux est interdite par le code de déontologie médicale, rappelle-t-elle. Les perfusions de vitamines intraveineuses proposées par certains centres privés relèvent plus du business que du soin. Le patient n’est plus un sujet de santé, mais une cible commerciale.» «De telles pratiques, en plus de ne s’appuyer sur aucune preuve scientifique, ne sont pas sans risque: procéder à de telles perfusions quand l’état de santé de la personne visée ne le nécessite pas peut notamment entraîner des septicémies (infections du sang). Au mieux, cette pratique est coûteuse et inutile; au pire, elle est dangereuse», soulignait déjà le Collège des médecins du Québec en janvier 2024, appelant à la «vigilance» face à cette pratique.

«Il n’y a pas de promesses thérapeutiques.»

Safaa Ibrahimi, infimière

Safaa Ibrahimi, défendant une «vitaminothérapie déontologique» effectuée «après une consultation médicale», dénonce quant à elle les «esthéticiennes ou les “fake injectrices”, qui injectent illégalement du botox dans des garages et qui font la même chose avec la vitaminothérapie» ou les personnes «proposant un éclaircissement de la peau grâce à l’injection de glutathion», jetant le discrédit sur cette pratique. «Il n’y a pas de promesses thérapeutiques: la vitaminothérapie ne guérit pas de maladies comme le cancer et ne doit pas se substituer aux traitements conventionnels en cas de pathologie grave. Dire le contraire, c’est du charlatanisme», assure l’infirmière qui se dit également contre les perfusions vitaminées «anti-gueule de bois», une «spécialité» décriée. «L’alcool est à éviter, c’est mauvais pour la santé, et là on dit aux gens: “Si vous avez trop bu, nous avons une solution pour vous?” Ce n’est pas correct. Surtout que dans la perfusion en question, ce n’est souvent que de l’eau et du sel, avec un peu de vitamine B12. Nous sommes d’accord avec les personnes qui disent que cette perfusion n’est pas déontologique.» 

Enième tendance passagère?

En Belgique, les autorités de la santé ne se sont pas prononcées officiellement sur la vitaminothérapie. «Les injections -qui sont plutôt, en l’occurrence, soit des perfusions, soit des micro-injections, quel que soit le produit, sont des actes médicaux réservés aux médecins (ou un dentiste). Les médecins peuvent déléguer cet acte à un infirmier. En dehors de ce cadre, il s’agit d’exercice illégal de la médecine», nous précise le SPF Santé publique à ce sujet.

«On peut se poser la question de la base scientifique.»

SPF Santé publique

«Concernant la justification de l’acte, on peut se poser la question de la base scientifique et de la justification. Ces questions relèvent de la Commission fédérale de contrôle (exigence de pratiques “evidence based”) et éventuellement de l’Ordre des médecins (comportement “mercantile” du médecin). Se pose également la question de la provenance et de la composition des produits injectés. Cela relève directement de l’Agence des médicaments.»

Alors que cette pratique gagne en visibilité grâce aux réseaux sociaux, de nombreuses voix s’élèvent pour en dénoncer les dérives, ses risques et l’absence de preuves scientifiques. Reste à savoir si cet engouement s’inscrira dans la durée, ou s’il ne s’agit que énième d’une tendance passagère.

*Le prénom a été changé

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