Le quartier de Crumpsall, à Manchester, théâtre de l’attaque qui a coûté la vie à deux fidèles juifs d’une synagogue. © GETTY

Montée de l’antisémitisme en Europe: il se démultiplie et tue

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

A Manchester, la haine des Juifs a tué pour la première fois en Europe depuis le 7 octobre 2023, dans une certaine indifférence. Pourtant, tous les indicateurs sont alarmants.

Des émissaires du gouvernement israélien et du Hamas ont engagé, depuis le 6 octobre au Caire, des négociations pour concrétiser les premières étapes du plan de paix de Donald Trump. Les premiers échanges inclinent à l’optimisme, a assuré une source de la médiation égyptienne. L’acceptation par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, le 29 septembre, puis par les dirigeants du groupe islamiste palestinien, le 3 octobre, de l’architecture du projet américain a redonné un certain souffle à la solution diplomatique. De plus en plus, il apparaît que son succès repose sur la ferme volonté du président américain de lui donner corps, au besoin en forçant –un peu– la main à son allié israélien.

«Idéologie islamiste radicale»

L’espoir suscité par le plan Trump n’explique pas, dans un registre forcément lié au conflit à Gaza, que la première attaque meurtrière contre des Juifs sur le sol européen depuis le 7 octobre 2023 ait suscité relativement peu de réactions. Le 2 octobre, un Britannique d’origine syrienne de 35 ans, Jihad al-Shamie, a foncé avec son véhicule sur des fidèles participant à la cérémonie marquant la fête de Yom Kippour dans la synagogue de Heaton Park, en banlieue de Manchester, au nord de l’Angleterre, avant de les attaquer à coups de couteau. Deux personnes ont été tuées, Adrian Daulby, 53 ans, et Malvin Cravitz, 66 ans, l’un l’ayant été par un tir des forces de l’ordre intervenues pour neutraliser l’agresseur. Celui-ci a été décrit par la police comme habité par «l’idéologie islamiste radicale».

Avant le drame de Manchester, une autre attaque antisémite meurtrière avait été enregistrée dans un pays occidental depuis le 7-Octobre. Elle avait eu pour cadre le Musée juif de Washington où se tenait un événement de la section jeune de l’American Jewish Comittee, le 21 mai 2025. Deux employés de l’ambassade d’Israël aux Etats-Unis, Yaron Lischinsky, 28 ans, et Sarah Lynn Milgrim, 26 ans, avaient été tués par balle. L’agresseur, Elias Rodriguez, 30 ans, l’avait revendiqué «au nom de la cause palestinienne».

Ces actes extrêmes sont la «pointe de l’iceberg» d’un phénomène qui a connu, à partir d’octobre 2023, une augmentation inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. Une étude de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, publiée en juillet 2025, a mis en évidence que 96% des 8.000 personnes juives sondées dans ce cadre avaient été victimes d’actes antisémites au cours des douze derniers mois. D’après un rapport de l’Anti-Defamation League, une association américaine, les faits d’antisémitisme ont plus que doublé en 2024 par rapport à 2023 dans sept pays étudiés –l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, le Canada, les Etats-Unis, l’Australie et l’Argentine.

«Divers facteurs ont créé un nouvel espace pour l’antisémitisme. Et il s’est totalement enflammé à partir du 7 octobre 2023.»

Nouveaux moyens de diffusion

Sociologue et grand connaisseur de l’antisémitisme (1), Michel Wieviorka replace cette vague inédite dans un cadre plus large. «Si elle s’est considérablement amplifiée depuis le 7 octobre 2023, elle trouve son origine à la fin du XXe siècle quand, dans certains pays et en particulier en France, a commencé à se déployer un nouvel antisémitisme qui était la projection de ce qui se passait au Proche-Orient.» «La mutation de la question juive –notamment le fait qu’à partir des années 1980, l’image d’Israël s’est ternie par rapport à ce qu’elle était dans les années 1950 ou 1960–, la transformation de la structure sociale et en particulier dans certains pays d’Europe occidentale, l’installation de l’immigration venue du monde arabo-musulman et, enfin, la projection sur le sol national, français, belge, britannique, allemand, des événements du Proche-Orient, tout cela a créé un nouvel espace pour l’antisémitisme. Et il s’est totalement enflammé à partir du 7 octobre 2023», complète le spécialiste.

Si le contexte interne et externe aux pays européens a changé, c’est aussi le cas des moyens de diffusion de la haine, avec la nouvelle donne de l’irruption des réseaux sociaux. L’animateur de télévision Arthur explique, dans son livre J’ai perdu un Bédouin dans Paris (2) sur sa vie après le 7-Octobre, avoir reçu «plus de 1.000 messages d’insultes par minute» après avoir évoqué, le 23 novembre 2023 à l’occasion d’une interview sur France Inter, l’angoisse des Juifs de France depuis le 7-Octobre, ce qui entraîna la suspension contrainte de son compte par une plateforme sociale. «Je n’ai accusé personne. J’ai juste parlé d’un sentiment. D’une réalité que je vis. Et en retour… La haine. Crue. Immédiate», témoigne-t-il.

«La haine antisémite transite par différentes formes. Elles correspondent à des acteurs qui ne sont pas nécessairement les mêmes, souligne Michel Wieviorka. Vous avez ce qui circule sur les réseaux sociaux, y compris des opinions d’intellectuels qui, protégés par la difficulté de contrôle, distillent la haine des Juifs. Le plus connu est Alain Soral. Et cela se répercute dans différents milieux. Vous avez ensuite des discours politiques à gauche de la gauche, quand l’on ne sait pas très bien où s’arrête l’antisionisme et où commence l’antisémitisme, et à l’extrême droite, parce que ce n’est pas parce que les partis de cette tendance, en France ou en Allemagne, prennent leurs distances avec l’antisémitisme qu’il a disparu de cette partie du spectre politique. Enfin, vous avez des actes antisémites dont on sait peu de choses parce que leurs auteurs sont rarement arrêtés: une tentative d’incendie, des graffitis, des menaces anonymes… Et quand c’est le cas, on est parfois surpris. A deux ou trois reprises en France, des actes à coloration antisémite, les mains rouges ou les étoiles de David taguées sur certains lieux, étaient commandités de Russie via d’autres pays.»

Face à ce phénomène croissant, Michel Wieviorka estime qu’«en Belgique, en France, en Allemagne, ou au Royaume-Uni, le pouvoir politique est absolument clair et net pour combattre l’antisémitisme. En revanche, en Hongrie, la situation n’est pas tout à fait pareille. Viktor Orbán instrumentalise parfois la haine des Juifs.»

(1) Auteur notamment de La Dernière Histoire juive (Denoël, 2023) et de L’Antisémitisme expliqué aux jeunes (Seuil, 2024). (2) J’ai perdu un Bédouin dans Paris, par Arthur Essebag, Grasset, 336 p.

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