Des constructeurs automobiles proposent certains services optionnels activables par abonnement ou en illimité, transformant le véhicule en une plateforme évolutive. Pour le client, cela permet de tester une option brièvement et de ne payer que pour l’usage réel qui en est fait. Côté constructeur, l’intérêt financier est évident, mais il n’est pas le seul.
Un siège chauffant payé seulement en hiver. Des phares plus intelligents contre quelques euros. Un régulateur de vitesse débloqué par le second propriétaire d’un véhicule. Ces nouveaux usages illustrent une révolution majeure qui s’immisce dans l’industrie automobile depuis quelques années: l’arrivée des options payantes «à la demande».
Concrètement, il s’agit de faire payer l’utilisateur lorsqu’il le désire, dans une formule mensuelle, à l’année ou en illimité, pour obtenir une option particulière sur la voiture. L’acheteur n’est donc plus obligé de choisir lors de la vente, lorsqu’il compose la configuration de son véhicule, toutes les options qu’il souhaite, mais peut ajouter telle ou telle fonctionnalité après coup, à l’envi.
Le véhicule possède d’origine toutes les pièces permettant d’activer ces options. Celles-ci ne le sont que contre paiement. Certaines marques sur le segment «premium» –Audi, BMW, Mercedes-Benz, etc.– proposent déjà depuis plusieurs années ce genre d’abonnement, mais comme pour toutes les innovations du secteur automobile, cette nouveauté est appelée à gagner progressivement toutes les gammes. Hyundai est d’ailleurs l’un des derniers à se lancer à l’assaut de ces services additionnels payants.
Une voiture qui évolue avec ses conducteurs
L’avènement de la «voiture-logiciel» a permis ce nouveau champ d’application pour les constructeurs, qui peuvent plus facilement faire évoluer leur produit. Les voitures actuelles sont déjà mises à jour sur plusieurs points, gratuitement, comme le serait un smartphone pour changer de version du système d’exploitation ou combler des failles de sécurité. Proposer de rajouter des fonctionnalités payantes à la demande n’est que l’étape supplémentaire de ce mouvement entamé depuis longtemps. Parmi les options disponibles, selon les marques, l’activation des dashcams, l’intégration d’Apple CarPlay, le trafic en temps réel sur les cartes de navigation voire même l’amélioration du rayon de braquage.
«Certains services à la demande sont proposés par Mercedes-Benz déjà depuis plusieurs années, explique Bastien Van Den Moortel, porte-parole pour la marque allemande en Belgique. Un conducteur peut par exemple vouloir tester pendant un mois une fonction précise, avant de voir s’il en veut définitivement ou pas. Cela rencontre un certain succès, notamment pour le marché de l’occasion, puisqu’il est possible pour un second propriétaire de rajouter des fonctions et de personnaliser davantage son véhicule.»
«Cela offre plus de flexibilité pour le conducteur, lorsque ses besoins changent, renchérit Olivier Van Hoorebeke, pour Audi Belgique. Cela peut être l’option des phares matriciels, car je sais que je vais beaucoup rouler de nuit par exemple. Tout cela est évidemment disponible lors de la configuration, à l’achat du véhicule. L’option pour les phares s’affiche à près de 400 euros hors TVA ou à 17 euros pour un mois lors d’un achat à la demande.»
Un flux de revenus récurrents
L’intérêt mis en avant pour le client final s’accompagne de gains évidents pour le constructeur. Tout d’abord lors du montage: si les véhicules disposent du même matériel, la fabrication est facilitée et la configuration du véhicule plus évidente. Tesla a été l’une des pionnières dans ce domaine. Ses véhicules sont bardés de nombreux capteurs pour la conduite autonome par exemple, même si celle-ci ne s’est pas encore réalisée comme dans les prédictions les plus utopistes. La partie matérielle est donc déjà présente à bord, prête à profiter d’une mise à jour dans le futur.
«D’un point de vue opérationnel, il est évident que réduire le nombre de versions représente un gain pour le fabricant. Si vous avez tout le hardware qui est présent et qu’il suffit d’activer, on enlève une couche de complexité. Pour l’expérience client, c’est aussi une manière de ne pas suffoquer sous une tonne de choix à réaliser lors de la configuration», analyse Willem Standaert, professeur associé en marketing à HEC Liège (ULiège).
«Cela participe à un basculement généralisé, observé dans plusieurs secteurs, des revenus provenant des produits vers ceux des services.»
Mais ces gains sur les coûts de fabrication s’accompagnent surtout d’un impact positif sur les revenus. «Plutôt que d’avoir un moment de rentrée financière unique, lors de l’achat de la voiture, le constructeur crée un flux de revenus plus récurrent, avec ces achats à la demande ou abonnements. Cela participe à un basculement généralisé, observé dans plusieurs secteurs, des revenus provenant des produits vers ceux des services. Ces derniers ont l’avantage d’être extrêmement rentables. Lorsque BMW débloque l’option siège chauffant, de manière logicielle, la marge réalisée est énorme, car le coût d’activation est minime», détaille le professeur.
De nouveaux points de contact avec la marque
Ce changement de modèle permet aussi à la marque d’interagir plus souvent avec son client, un point essentiel lorsqu’il s’agit de fidélisation. «Ce système engendre de nouveaux points de contact et permet d’interagir avec une marque de manière plus régulière. Auparavant, après l’achat, vous n’aviez plus vraiment d’interaction avec le constructeur automobile. Vous vous adressiez au concessionnaire pour tous les services dont vous pouviez avoir besoin et c’est tout. On entre ici dans une nouvelle relation, avec plus de fidélité en point de mire», poursuit le spécialiste. Un point confirmé par une étude de Deloitte sur la fidélité aux marques de voitures.
Via ces multiples contacts, le fabricant en profite également pour mieux connaître ses clients, comment ceux-ci interagissent avec ses produits et sa marque. In fine, cela doit lui permettre aussi de pousser les bons produits ou services vers les bons clients, ceux les plus susceptibles d’ouvrir le portefeuille. Là aussi, dans une logique d’acquisition et de rétention des acheteurs.
Il reste que certaines premières expériences d’options «par abonnement» avaient été mal reçues, forçant les marques à enclencher la marche arrière. Le public semble davantage prêt aujourd’hui, avec certains freins malgré tout. «Le fait que la voiture embarque déjà tout le matériel peut créer un sentiment de trahison ou d’injustice, l’impression de payer une deuxième fois ce qu’on a déjà. C’est surtout vrai pour certaines catégories d’options, plus techniques, davantage liées au matériel de la voiture et à son comportement de conduite. A contrario, débloquer des fonctions plus logicielles, comme l’intégration de votre smartphone au tableau de bord sera mieux perçu par le consommateur. Ce dernier n’a pas le même sentiment de propriété sur du tangible ou du numérique», ajoute Willem Standaert.
Le piratage, permettant l’activation des fonctions en dehors du cadre prévu, apparaît également en filigrane de ces questions. Si l’utilisateur juge l’activation abusive, il sera moins enclin à payer. Les marques assurent être prêtes, les mises à jour OTA (over-the-air, à distance, sans connexion directe) des véhicules permettant de garder un certain contrôle sur la partie logicielle. Contourner le système prévu, c’est aussi prendre le risque de plus pouvoir être servi chez un concessionnaire authentifié et de garder son véhicule à jour. Une nouvelle donne importante pour la sécurité d’un véhicule, alors que les voitures poursuivent leur mutation en ordinateurs roulants.