Quitter son nid à l’aube pour passer quelques heures à Rome ou à Barcelone avant de rentrer chez soi le soir: la tendance de l’«extreme day tripping» ou «voyage éclair extrême» se développe. Sur Internet, des sites, des vidéos Youtube et des dizaines de groupes Facebook sont dédiés à cette pratique, qui engendre des enjeux économiques et écologiques.
Sur le site web extremedaytrips.com, la promesse de Malaga, Lisbonne ou encore Dublin in a day s’affiche. «Le même jour, vous prenez le premier vol depuis votre aéroport local vers la ville européenne de votre choix, vous y passez huit à douze heures à explorer, puis vous retournez à l’aéroport pour prendre le dernier vol vers chez vous et dormir dans votre propre lit», décrit Rick Blyth, le directeur d’Extreme Day Trips.
Populaire en Angleterre, la tendance de l’«extreme day tripping» ou «voyage éclair extrême» est favorisée par la démocratisation des voyages en avion. Durant l’été 2024, 7,3 millions de voyageurs se sont rendu à l’étranger, dont la plupart via ce mode de déplacement, selon les données de l’office belge de statistique Statbel publiées en février dernier. «Il y a désormais des personnes qui partent faire leurs courses en Pologne car tout leur revient moins cher. Mais aussi des passionnés de shopping qui passent une journée dédiée à Milan, ou encore des personnes qui profitent de billets avantageux pour partir plusieurs heures à Venise», détaille Cédric Maillaert, professeur en tourisme durable à l’Ephec.
Partir en un rien de temps et avec peu d’argent
L’«extreme day tripping» séduit en effet un public au temps et à l’argent comptés. «Couples et amis qui essaient de caser de l’aventure dans un jour de congé, retraités qui profitent pleinement de leur temps, de leur liberté et de leur flexibilité ou encore étudiants qui cherchent à explorer l’Europe avec un petit budget», voici le profil des adeptes du site extremedaytrips.com, selon son directeur. En last minute, ces voyages express permettent de suivre ses envies à court terme et de s’assurer d’une météo clémente. Dans la pratique, «il est surtout question d’opportunités. Les personnes attendent des promotions sur les billets et sautent alors dessus», estime Cédric Maillaert.
La tendance illustre également l’accélération du temps et de ses usages rendue possible par l’accessibilité de destinations à plusieurs milliers de kilomètres rapidement. «Cela permet de répondre à l’aspiration de maximiser le nombre d’expériences qu’on peut vivre en peu de temps», fait remarquer Jean-Michel Decroly, professeur en géographie et tourisme à l’ULB. Et de cocher des cases sur sa bucket list de voyages, le tout dans une logique de société de surconsommation et d’image notamment avec les réseaux sociaux. «Se distinguer à travers ses pratiques touristiques -ici courtes et hyper fréquentes- permet de marquer son statut social. Cela renvoie à la notion de compétition qui est partout et tout le temps dans nos sociétés», observe Jean-Michel Decroly.
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Quid de l’économie locale et du climat
Sur place moins de 24 heures, ces touristes express de l’extrême évitent des frais de repas et de nuitée(s). Si la pratique est avantageuse pour les voyageurs, l’impact sur l’économie locale est quasi nul. «Comme pour les bateaux de croisière qui débarquent dans tel ou tel port pour quelques heures, on peut se demander à qui profite cette pratique, à part aux voyageurs. Elle n’a pas spécialement d’intérêt pour la société, au niveau collectif (…) Vous n’allez d’ailleurs pas avoir de territoires qui vont essayer d’attirer ce genre de clientèle, car elle n’apporte pas grand-chose aux professionnels du tourisme», analyse Cédric Maillaert.
Bien au contraire. Pour dissuader de ce mode de voyage favorisant le surtourisme, des villes prennent des mesures. En 2024, Venise a instauré un ticket d’entrée de cinq euros les jours de forte affluence aux visiteurs d’un jour. Une mesure symbolique, mais révélatrice de la pression croissante que fait peser ce type de tourisme rapide sur les infrastructures locales et sur l’environnement. Pour l’administrateur et porte-parole de l’Union professionnelle des agences de voyage (Upav) Jean-François Defour, l’«extreme day tripping» est à contre-courant de toutes les préoccupations écologiques: «Bien que nous soyons commerçants, nous n’encourageons pas du tout ce genre de vacances qui, en termes de durabilité, est un non-sens complet. Il vaut mieux partir moins souvent et plus longtemps». Alors que l’Union européenne souhaite atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050; un objectif fixé dans la loi européenne sur le climat, le transport aérien représente actuellement 2% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et le nombre de passagers et de passagères au départ des aéroports belges a doublé en 20 ans.
Tourisme ou excursionnisme?
La classification même de tourisme de la pratique peut être remise en question. Selon la définition du terme «touriste» du glossaire de l’ONU Tourisme, «un visiteur (interne, d’entrée ou à l’étranger) est classé comme touriste (ou visiteur qui passe la nuit) si son voyage comprend un séjour d’une nuit ou, dans le cas contraire, comme visiteur de la journée (ou excursionniste)».
Pour réduire le trafic, les gouvernements prennent des mesures. Si à l’heure actuelle, la taxe sur les billets d’avion instaurée en 2022 oscille entre 2,40 et 10 euros, à compter de cet été, elle devrait atteindre un minimum de 5 euros par billet en Belgique. «L’époque où l’on pouvait partir au soleil pour le prix d’une pizza est terminée. Le prix des vols low-cost n’est plus aussi intéressant qu’avant, avec des lois qui empêchent désormais ce genre d’absurdités», résume Jean-François Defour. Le porte-parole et administrateur de l’Upav «espère que cette tendance ne se développera pas sur le marché belge». Professeur d’économie du tourisme à l’UNamur, Alain Decrop, se veut rassurant: «L’extreme day tripping n’est pas un phénomène majeur en Belgique où les gens sont sensibles à l’impact environnemental de leurs déplacements».