A l’instar d’autres pays européens, la Belgique envisage de recourir à des caméras intelligentes pour détecter les infractions routières. L’utilisation du GSM au volant serait ainsi plus facilement punissable. Un dispositif qui soulève des interrogations en matière de protection de la vie privée.
Une véritable révolution routière. Dans les prochains mois, la France verra fleurir sur ses axes urbains au moins 500 «super-radars». Ces outils, dotés de l’intelligence artificielle (IA), seront capables de détecter plusieurs infractions simultanément. Au-delà des excès de vitesse classiques, ils repèreront également le non-respect du port de la ceinture, de la distance de sécurité entre les véhicules ainsi que l’utilisation du téléphone au volant. Ces radars «4 en 1» promettent ainsi des amendes salées aux conducteurs délictueux. La facture pourrait grimper jusqu’à 540 euros en cas de quatre infractions cumulées (4 fois 135 euros).
En investissant dans cette nouvelle technologie, le gouvernement français espère atteindre les objectifs européens, à savoir zéro mort sur les routes d’ici 2050. De quoi inspirer la Belgique? Oui, mais dans une moindre mesure. Les radars «4 en 1» sont loin de voir le jour sur nos autoroutes. Mais l’IA devrait bientôt s’immiscer dans la lutte contre les infractions routières. C’est en tout cas l’ambition nourrie par l’Arizona dans son accord de gouvernement. Concrètement, l’exécutif s’est engagé à utiliser le réseau existant de caméras ANPR (Automatic Number Plate Recognition, soit le système de reconnaissance automatique de plaques d’immatriculation) pour sanctionner l’utilisation du GSM au volant.
Pas une infraction bénigne
Une initiative saluée par l’Institut de sécurité routière Vias, qui estime que les nouvelles technologies ont «un rôle prépondérant à jouer en matière de prévention et de contrôle». En 2020, Vias avait d’ailleurs testé un tel système de détection sur le ring d’Anvers, avec des résultats interpellants. «On a observé des comportements très dangereux, se remémore le porte-parole Benoit Godart. Certains conducteurs téléphonaient au volant avec un chien sur leurs genoux, alors que d’autres buvaient et écrivaient des textos simultanément. D’où l’importance de renforcer les moyens pour lutter contre ce phénomène.»
Pour VIAS, les caméras intelligentes faciliteraient grandement la tâche des autorités. «D’abord, car grâce à leur placement en hauteur, elles permettent de repérer des comportements indétectables par les policiers, comme un GSM caché sur les genoux du conducteur, ou un ordinateur portable allumé sur le siège passager», illustre Benoit Godart. Ces outils libèreraient en outre du temps à la police, qu’elle pourrait consacrer à d’autres tâches irremplaçables par l’IA, comme les contrôles d’alcoolémie. Enfin, des systèmes similaires ont déjà porté leurs fruits aux Pays-Bas ou en Allemagne, prouvant leur efficacité. «Aujourd’hui, la Belgique a donc une longueur de retard, déplore Benoit Godart. C’est dommage, car le GSM au volant –tout comme le non-respect du port de la ceinture ou de la distance de sécurité– n’est pas une infraction bénigne. Sa limitation aurait un impact significatif sur la sécurité routière.»
Le dilemme de la protection des données
Malheureusement, le projet de l’exécutif semble au point mort. Pour l’heure, l’utilisation des caméras ANPR est seulement autorisée dans le cadre de l’identification des véhicules en défaut de contrôle technique, de paiement d’assurances ou de taxes de roulage, par exemple. Le cadre juridique doit donc évoluer pour permettre l’utilisation de ces dispositifs à d’autres fins. Contacté, le cabinet du ministre de la Mobilité Jean-Luc Crucke (Les Engagés) confirme sa volonté d’élagir cet usage aux infractions liées au GSM au volant, mais évoque un «blocage» de la part de l’Organe de contrôle de l’information policière (COC).
Déjà sollicité par la Vivaldi sur le dossier, le COC avait en effet rendu un avis négatif à l’extension de l’utilisation de ces caméras. Pour détecter un GSM au volant, le système devrait en effet prendre des clichés de l’intérieur de l’habitacle, et probablement du visage du conducteur, soulevant d’importants problèmes en termes de protection de la vie privée. «Si les caméras livrent des données biométriques, qui sont des données très sensibles, il faut que leur traitement soit impérativement encadré par une législation claire et prévisible, qui n’existe pas aujourd’hui», confirme Frank Schuermans, magistrat et président du COC.
Qui pourra utiliser ces données? Pendant combien de temps pourront-elles être stockées? Autant de questions qui restent encore en suspens. «ll est en effet nécessaire d’adapter le cadre juridique, confirme le cabinet du ministre Quintin (MR), en charge de la Sécurité et de l’Intérieur. Ce cadre doit comporter des garanties suffisantes pour permettre une utilisation efficace de cette technologie, en tenant compte des objectifs poursuivis et de la nécessaire protection de la vie privée.» L’analyse des modifications nécessaires est en cours, précise le cabinet libéral, qui planche actuellement sur l’élaboration d’un avant-projet de loi à cet effet.
50 décès par an
De son côté, Touring se montre plutôt favorable à l’utilisation de ces caméras. «Enfreindre la vie privée n’a jamais tué personne, mais un GSM au volant peut tuer un enfant, un cycliste, ou causer d’importants dégâts», insiste le porte-parole, Lorenzo Stefani. Ces nouvelles technologies doivent toutefois être utilisées «en bon père de famille», estime Touring, qui rappelle que la priorité est de renforcer l’adhésion des automobilistes via des règlementations «cohérentes et justifiées». «Ces contrôles ne doivent pas avoir pour objectif de ramener bêtement de l’argent dans les caisses de l’Etat», tranche Lorenzo Stefani. Le porte-parole estime donc que les caméras doivent être placées en priorité dans des zones accidentogènes. Enfin, le conducteur doit toujours avoir le droit d’introduire un recours, «pour éviter les éventuelles erreurs commises par l’IA».
Selon un rapport de Vias (2023), le GSM au volant multiplie par 3,6 le risque d’accident des automobilistes, en particulier lors de la composition de numéros (x12) et de l’envoi de SMS (x6). En outre, près de 50 décès par an sur le réseau routier belge peuvent être attribués à l’utilisation manuelle d’un téléphone portable.