vintage car toy background in yellow blue pink green orange © Getty Images/iStockphoto

Où sont passées les couleurs? Pourquoi quasi toutes les voitures sont désormais blanches, noires ou grises

Les couleurs n’ont plus la cote, en matière de carrosserie. Le blanc, le noir et le gris règnent sur les routes. Raisons économiques, psychologiques et marketing: la souveraineté du neutre ne relève pas d’un hasard.

Où sont passés le rouge flamboyant, le jaune canari, le bleu marine, le vert bouteille? Sortie de route pour toutes ces teintes, selon le dernier rapport du fabricant de peintures automobiles Axalta. Selon cette étude, le blanc domine les carrosseries au niveau mondial, s’affichant sur 34% des modèles. Suivi du noir (21%) et du gris (19%). En Europe, ce dernier a détrôné le blanc. Une tendance qui pourrait s’accentuer, en témoigne le récent choix de Tesla d’imposer le gris métallisé (et non plus le blanc) comme teinte standard. Un choix imité par plusieurs constructeurs chinois de véhicules électriques. Mais sur le Vieux Continent comme ailleurs, les couleurs ne grappillent plus que quelques pour cent (voir tableau). Ainsi le rouge, par exemple, ne concerne plus que 5% des voitures, contre 8% en 2013.

MONDE Blanc 34% Noir 21% Gris 19% Argent 8% Bleu 8% Rouge 5% Brun/beige 2% Vert 2% Jaune/or 2% Autres 2%
EUROPE Gris 27% Noir 22% Blanc 21% Bleu 11% Argent 9% Rouge 5% Brun/beige 2% Vert 1% Jaune/or 1% Autres 1%

«Les constructeurs réduisent volontairement la diversité chromatique proposée afin de simplifier la production, réduire les coûts logistiques et optimiser la gestion des stocks », expliquent Laurence Dessart et Willem Standaert, tous deux professeurs de marketing à HEC Liège.

Une affaire de coût réduit, donc, grâce à une production en masse. Contrairement aux teintes spécifiques, le blanc, le gris ou le noir sont souvent proposés sans surcoût. «Cela s’explique par plusieurs facteurs: le prix des pigments, les procédés de peinture plus complexes et, parfois, la moindre standardisation dans la chaîne de production», analyse Sandra Rothenberger, professeure de marketing à la faculté d’économie et de gestion de l’ULB.

Les teintes neutres ont aussi l’avantage de mieux s’adapter aux normes esthétiques attendues. En 2012 déjà, une étude publiée dans le Journal of Consumer Behaviour prouvait que les consommateurs percevaient certaines couleurs comme plus adaptées à tel ou tel type de véhicule. Exemples? Le rouge pour un cabriolet, le noir pour une berline et le gris pour un SUV. «Ce n’est donc pas uniquement une question de goût personnel, mais bien de cohérence perçue entre la couleur et l’affect associé au produit», résument Laurence Dessart et Willem Standaert. Cohérence chromatique qui a aussi son importance du côté des flottes d’entreprise. «Beaucoup de sociétés achètent plusieurs modèles de marques différentes, mais choisissent des couleurs neutres pour une homogénéité dans leur parc roulant», explique Romain Petit, conseiller commercial chez Peugeot.

«Un même modèle allemand peut perdre beaucoup de valeur s’il a une couleur “exotique” qui se vend moins bien.»

Puis les couleurs neutres sont généralement associées à des symboles positifs. «Le noir peut évoquer le luxe, la puissance ou la sobriété; le blanc, la pureté; le gris, le professionnalisme», indiquent les professeurs. Selon eux, ces codes permettent aux marques de positionner leurs modèles tout en leur garantissant reconnaissance et identité. «Cela reflète à la fois une préférence culturelle pour des véhicules discrets et une rationalité économique», complète Sandra Rothenberger.

D’un point de vue psychologique, les couleurs activent également des réactions automatiques et culturelles inconscientes. «Certaines teintes influencent les décisions d’achat sans que le consommateur s’en rende forcément compte», rappellent Laurence Dessart et Willem Standaert. En effet, dans l’imaginaire collectif, la sobriété peut être un gage de classe, de qualité, mais aussi de sécurité. «Certaines études montrent que les voitures de couleur claire (blanc, argenté) sont plus visibles sur la route et donc moins susceptibles d’être impliquées dans un accident», complète Sandra Rothenberger.

Consciemment ou non, lors de l’achat d’un véhicule, ces éléments entrent en compte. «Beaucoup de clients pensent qu’ils se lasseront de teintes vives; et ce sera bel et bien souvent le cas», constate Romain Petit. Les possibilités de revente s’envisagent également dès l’acquisition. «Une couleur neutre est plus simple à vendre et touche une plus large cible, note Romain Petit. Un même modèle allemand peut perdre beaucoup de valeur s’il a une couleur « exotique » qui se vend moins bien.» Raison pour laquelle certains fabricants généralistes privilégient les teintes sobres, histoire d’éviter la décote. Parfois aussi pour des raisons pratiques. «Le gris métallisé masque mieux les rayures; le noir est élégant mais difficile à entretenir; le blanc est salissant, mais les microrayures se voient moins. Le rouge prend les UV », précise le conseiller commercial. Certains assureurs offriraient par ailleurs des primes légèrement réduites pour des voitures moins voyantes. «Mais cet effet reste marginal», assure Sandra Rothenberger.

Les couleurs ne sont pas pour autant tout à fait mortes et réapparaissent au gré des effets de mode. «Début 2020, quasiment tous les constructeurs généralistes se sont mis à proposer de l’orange: Peugeot, Ford, Opel, Dacia, Renault, etc. Il y a quelques années, on a vu du vert. Aujourd’hui, ce sont beaucoup de teintes bleutées», observe Romain Petit. Dénoter colorimétriquement au sein de ce marché uniformisé peut aussi faire office de stratégie de communication et d’argument de rareté. «Ce positionnement à contre-courant vise à reconnecter la voiture à un imaginaire de plaisir et d’identité personnelle», décrivent Laurence Dessart et Willem Standaert. Stratégie utilisée par Mini et son vert bouteille, Renault et son bleu ciel pour la Twingo revisitée, ou plus récemment par Peugeot pour sa 208, sortie en 2019 en version jaune (thermique) et bleue (électrique). «On entendait les clients en parler tous les jours en concession», se souvient Romain Petit. Dans cette même logique, en 2023, Fiat a annoncé bannir le gris de sa gamme européenne. Au Canada, la marque italienne a lancé cette année une Fiat 500 dans un coloris néon inspiré des balles de tennis. Discrétion n’est pas toujours raison…

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