L’entretien automobile peut constituer un véritable casse-tête financier, ce qui pousse certains à se tourner vers des garages clandestins. © Getty Images

L’essor des garages clandestins à ciel ouvert: «Parfois, la voiture est démontée et laissée telle quelle»

Face aux prix élevés des entretiens automobiles, certains conducteurs choisissent de se tourner vers des garages indépendants pour leurs réparations. D’autres, vers des réparateurs clandestins, parfois en pleine rue.

Un moteur démonté, des pneus remplacés par un mécanicien improvisé sous les yeux des passants, ou encore des bidons d’huile abandonnés sur le trottoir: ces scènes fréquentes dans certains quartiers français font désormais leur apparition en Belgique. L’essor de ces garages clandestins à ciel ouvert n’est sans doute pas sans lien avec la hausse des frais de réparation enregistrée ces dernières années: selon un rapport du cabinet d’études spécialisé Gipa en 2024 pour Auto5, l’entretien automobile revient en moyenne à 405 euros dans un garage de concession et 346 euros dans un garage multimarque. En 2023, une réparation sous garantie coûtait 657 euros en moyenne, soit 40 euros de plus par rapport à 2022, selon CG Car-Garantie Versicherungs-AG, une société spécialisée dans l’assurance garantie pour le secteur des garages. Merci la hausse des prix des matières premières et des pièces détachées, due notamment à la guerre en Ukraine.

Entre débrouille et recours au travail au noir

Alors que 18,2% de la population belge est confrontée à la pauvreté ou à l’exclusion sociale, selon les résultats d’une enquête 2024 sur les revenus et les conditions de vie (SILC) de l’office belge de statistique Statbel, entretenir et faire réparer sa voiture peut constituer un véritable casse-tête financier. «Des personnes roulant dans de vieilles voitures pourraient sans doute se sentir attirées par ces garages clandestins», suggère Filip Rylant, porte-parole de Traxio, la fédération belge du secteur automobile. Avocat spécialisé en droit automobile, Martin Favresse en fait le constat: «Pour des véhicules anciens, dont la valeur résiduelle est faible, investir plusieurs centaines d’euros dans une réparation chez un garagiste agréé semble disproportionné».

«Le client ne peut pas être certain de la qualité ni de la sécurité de l’intervention, et aucune garantie n’accompagne la réparation.»

Mais l’économie réalisée peut parfois tourner au cauchemar. Non professionnels et non déclarés, ces réparateurs de fortune «ne respectent ni les obligations fiscales, ni les obligations sociales, ni les normes environnementales», dénonce Traxio. Le client ne peut pas être certain de la qualité ni de la sécurité de l’intervention, et aucune garantie n’accompagne la réparation. Me Favresse évoque plusieurs cas où «la voiture est démontée et laissée telle quelle car le réparateur de fortune ne trouve pas les pièces ou n’a pas les moyens de les acheter. Parfois, le véhicule disparaît dans la nature». Le conducteur, lui, a déjà payé. Sans facture, sans numéro d’entreprise, impossible de se retourner contre le pseudo-professionnel.

L’impact au niveau des assurances n’est pas négligeable. «Si un accident survient et qu’il est prouvé qu’il découle d’une réparation mal effectuée, la compagnie peut se retourner contre son assuré en cas de faute lourde de sa part. Quant aux assurances omnium, elles peuvent refuser d’indemniser si le sinistre résulte d’une réparation non conforme», indique Martin Favresse. En cas de sinistre, la responsabilité de l’automobiliste envers les tiers est directement engagée. Contre un réparateur non déclaré et souvent insolvable, une vidange réalisée à la va-vite, le bouchon d’huile mal remis, le moteur qui lâche sur l’autoroute: aucun recours n’est possible.

Quid de la législation sur la pratique

Pour Martin Favresse, la loi est claire: «Rien n’empêche une personne de procéder elle-même à la réparation de son véhicule, mais pas dans la rue, car l’usage de la voie publique à cette fin est interdit». Cela pourrait constituer une infraction environnementale. Pourtant, la zone de police de Bruxelles-Ouest est confrontée à la pratique: «Il arrive que des particuliers entreprennent eux-mêmes certaines réparations sur la voie publique. Ces interventions ne sont pas autorisées et donnent lieu, le cas échéant, à l’intervention de la police».

Le recours au travail au noir aussi est prohibé. «L’ONSS et le fisc seraient lésés. Pour exercer une activité professionnelle rémunérée dans le secteur automobile ou ailleurs, il faut des autorisations, une inscription à la Banque-Carrefour des Entreprises, etc.», ajoute le professionnel du droit au cabinet Lexel.

Une pratique nommée discrétion

L’auditorat du travail de Bruxelles l’assure: «Le phénomène existe, mais il apparaît impossible de le quantifier. C’est souvent à l’occasion d’un sinistre ou d’un problème de garantie automobile» que la pratique est décelée, glisse Martin Favresse. Bruxelles Environnement précise recevoir «moins de cinq signalements par an concernant des garages sauvages». Ces plaintes sont généralement transmises à la commune, car elles concernent des installations sans permis d’environnement, générant nuisances sonores, visuelles et olfactives, ainsi qu’un encombrement et une pollution accrue.

«Depuis 2021, 1.661 garages ont été contrôlés et des infractions ont été constatées dans environ 35% des cas.»

Chargé de lutter contre la fraude sociale, le Service d’Information et de Recherche Sociale confirme la difficulté de traquer ces pratiques: «Le SIRS n’a malheureusement pas de statistiques probantes relatives aux garages clandestins à ciel ouvert». Via son point de contact pour une concurrence loyale pour des garages, l’organe a reçu 243 dénonciations pour des particuliers ou des entreprises et deux pour des utilisateurs professionnels en 2024. Les contrôles montrent toutefois l’ampleur d’une fraude plus large. «Depuis 2021, 1.661 garages ont été contrôlés et des infractions ont été constatées dans environ 35% des cas», souligne le SIRS. Ont alors été mis au jour du travail au noir, du travail détaché ou encore des infractions liées aux allocations de chômage. Traxio dénonce cette concurrence déloyale: «Nos membres, garagistes de marque comme indépendants, respectent les règles imposées et suivent des formations pour garantir qualité et sécurité». Les garagistes clandestins, eux, opèrent hors de tout cadre.

«Si réparer soi-même sa voiture en dehors de la voie publique est un droit, confier ce travail à un réparateur clandestin revient à s’exposer à de possibles ennuis financiers, sécuritaires et juridiques», résume Me Favresse. Traxio déconseille dès lors vivement d’avoir recours à ces garages sauvages. Pour un entretien automobile ou une réparation, mieux vaut se tourner soit vers un concessionnaire, soit vers un garage multimarque, et toujours se renseigner sur la société via le site Informations sur les entreprises, histoire de vérifier les statuts, les comptes annuels, etc. Puis surtout: ne pas payer avant les travaux.

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