Lors de l’introduction en Bourse de Porsche, l’idée était claire: électrique et luxe sont compatibles. Mais les chiffres racontent une autre histoire. L’ampleur du revers subi par les Taycan et Macan apparaît clairement à travers l’évolution des showrooms et les décisions prises par la direction.
Oliver Blume, 56 ans, directeur général de Porsche, et Matthias Becker, 54 ans, responsable des ventes, se montrent réceptifs aux idées nouvelles. La situation est difficile: les ventes stagnent, les bénéfices s’effondrent. A en croire le groupe allemand de concessionnaires Bauschatz & Gerstenmaier, une solution pourrait venir du premier «Porsche Studio» d’Allemagne. Il ne s’agit ni d’un point de vente traditionnel ni d’un showroom urbain. Plutôt d’un espace d’exposition installé dans un grand hôtel fraîchement rénové.
L’enjeu est de taille: sauver la stratégie. «Nous avons l’ambition de redéfinir la notion de luxe moderne», avait déclaré Oliver Blume en septembre 2022, lors de l’introduction en Bourse. Il souhaitait positionner Porsche à la fois sur un plan économique et durable. Aux investisseurs, le directeur général avait promis à long terme une marge bénéficiaire de 20%. Plus promptement que ses homologues, il voulait tourner la page des motorisations thermiques. D’ici 2030, jusqu’à 85% des véhicules Porsche nouvellement livrés devaient fonctionner à l’électricité. La thèse implicite: l’électrique aussi peut s’incarner dans le luxe.
Deux ans et demi plus tard, cette stratégie semble patiner. «Avec les motorisations électriques, il est impossible, contrairement aux moteurs thermiques, de se distinguer suffisamment des constructeurs meilleur marché», explique une source proche du constructeur. «Luxe et électrique ne font pas bon ménage, du moins jusqu’à présent.»
Les difficultés rencontrées avec les modèles électriques Taycan et Macan E sont telles qu’elles pourraient finir par affecter l’ensemble de la marque. Le positionnement en tant que «fabricant automobile de luxe», que l’ancien directeur financier Lutz Meschke, 59 ans, avait défendu lors de l’introduction en Bourse en s’inspirant du rival italien Ferrari, serait compromis. Lorsqu’un segment clé cesse de répondre aux codes du luxe, les conséquences peuvent se propager à l’ensemble de l’entreprise.
«Lorsqu’un segment clé cesse de répondre aux codes du luxe, les conséquences peuvent se propager à l’ensemble de l’entreprise.»
Son successeur, Jochen Breckner, 48 ans, a lancé un sérieux signal d’alerte en avril avec un avertissement sur les résultats pour 2025: une marge comprise entre 6,5% et 8,5%, soit environ la moitié de celle enregistrée en 2024. Au deuxième trimestre, le bénéfice pourrait même frôler le zéro, selon des informations du manager magazin, en raison de plusieurs dépréciations exceptionnelles. Les droits de douane appliqués aux exportations vers les Etats-Unis et la suspension provisoire des projets liés aux cellules de batterie aggravent encore la situation.
En interne, Oliver Blume tente de redresser la barre. Des modèles comme la Macan, proposée en Europe uniquement en version électrique et ailleurs seulement sous une déclinaison thermique dépassée, sont en cours de révision. A partir de 2028, l’offre en motorisations essence et hybrides rechargeables devrait ainsi être renforcée. La part actuelle des modèles électriques chez Porsche, estimée à environ 25%, progressera nettement moins vite qu’annoncé. Un léger regain est attendu grâce au lancement du Cayenne électrique prévu fin 2026.
Oliver Blume engage aussi des mesures d’économie: 3.900 postes seront supprimés rien qu’au siège de Zuffenhausen et au centre de développement de Weissach, soit 15% des effectifs, un plan de réduction plus important encore que celui mis en œuvre chez Audi. Au sein de l’entreprise, il se murmure que d’autres mesures d’austérité pourraient suivre au second semestre. Même un constructeur de luxe peut se retrouver en situation critique.
Crise de l’électrique en Chine
Porsche est particulièrement exposé aux revers du marché électrique en Chine. Le Taycan est passé de plus de 7.000 unités vendues en 2021 à 1.845 l’an dernier. Au premier trimestre 2025, les ventes ont chuté à un niveau marginal: 151 véhicules. Quant à la Macan électrique, lancée à l’automne dernier, elle reste presque ignorée par le marché chinois: 281 exemplaires écoulés entre janvier et mars. Si les ventes de modèles thermiques ont également reculé, certains en interne n’anticipent plus que 40.000 Porsche écoulées en 2025 en Chine, contre plus de 90.000 encore en 2022.
Mais le désaveu pour l’électrique est d’une ampleur particulière. Malgré le lancement du nouveau Macan, la part de l’électrique ne dépasse plus 5%.
Oliver Blume s’est montré réservé au salon automobile de Shanghai. Il doute à présent qu’un segment électrique puisse émerger dans le haut de gamme chinois. Même sur le marché premium, plus abordable, l’implantation pourrait rester difficile, a-t-il estimé. Il accorde encore deux années aux modèles électriques, a-t-il confié en marge de l’événement. Si la tendance actuelle se maintient, Porsche retirera ses modèles électriques de son offre en Chine.
Ce que personne n’a évoqué à Shanghai, c’est que la situation actuelle en Allemagne s’avère elle aussi préoccupante. Les distributeurs s’inquiètent déjà pour leurs marges. Cette année s’annonce médiocre, prévient l’un d’eux. «Le Taycan ne se vend quasiment plus.» Concernant la Macan E, les commandes seraient correctes, selon la direction. Cela ne reflète pas la réalité sur le terrain. «Elle a démarré fort, mais ne fonctionne plus non plus», affirme un directeur. 140.000 euros ou davantage pour une Macan Turbo électrique, c’est simplement excessif.
Autre signal d’alarme: la chute des valeurs résiduelles. Le prix moyen d’une Panamera thermique âgée d’un à quatre ans, modèle toujours bien coté, a reculé d’environ 5% entre début 2022 et mars 2025 sur la plateforme Autoscout, pour s’établir autour de 115.000 euros. Le Taycan, dans la même tranche d’âge, s’est effondré: proposé en moyenne à plus de 136.000 euros début 2022, il ne dépassait plus 82.000 euros en mars 2025, soit une baisse de près de 40%. Certains exemplaires avec faible kilométrage se trouvent désormais sur les plateformes habituelles à un peu plus de 50.000 euros.
«Rien ne nuit davantage à un bien de luxe qu’un effondrement de sa valeur résiduelle.»
Rien ne nuit davantage à un bien de luxe qu’un effondrement de sa valeur résiduelle. Qu’il s’agisse d’un sac Hermès ou d’une voiture. Tandis que certains modèles Porsche continuent d’atteindre des prix impressionnants –un 911 Sport Classic d’avril 2010 est actuellement affiché à Francfort pour 464.900 euros–, de nombreux propriétaires de Taycan subiraient des pertes importantes s’ils restituaient leur véhicule, observe un concessionnaire. D’autres professionnels ayant pris des risques sans protection avec certains modèles électriques auraient perdu plusieurs milliers d’euros: «Certains ont été véritablement secoués.»
Selon le site Mobile.de, il faut désormais presque trois semaines de plus qu’un modèle thermique pour vendre un modèle électrique d’occasion. Chaque jour d’immobilisation dévalue un peu plus le véhicule. Un conseiller proche de Porsche s’étonne du nombre de Macan E «qui encombrent les parkings autour des usines».
«Il faut désormais presque trois semaines de plus qu’un modèle thermique pour vendre un modèle électrique d’occasion.»
La situation chez les distributeurs locaux ne semble guère meilleure. Certains modèles électriques resteraient en stock pendant 300 voire 400 jours, selon une source interne aux centres Porsche. La demande serait quasi inexistante. Aucune réponse claire ne semble émerger. Après des années fastes, «il faut désormais apprendre à se battre et à vendre», reconnaît un directeur.
Plusieurs distributeurs signalent aussi des défauts de qualité «que le constructeur devrait assumer». Le Taycan a connu des problèmes de freinage. Les clients ont dû retourner fréquemment à l’atelier pour faire contrôler leurs batteries. Le Taycan 4 Cross Turismo «se conduit merveilleusement bien», écrivait récemment la revue spécialisée Auto, Motor, Sport après un essai longue durée de 100.000 kilomètres. Mais parfois les écrans s’éteignent, le joint du hayon frotte contre le toit à l’ouverture, ou le véhicule refuse carrément de démarrer en raison d’un défaut de réseau de bord: «La fiabilité est tout simplement médiocre.»
Chez Porsche, on reconnaît que la première génération de Taycan complique la tâche des nouveaux modèles, pourtant nettement améliorés, de la seconde génération. Mais, pour l’instant, cela n’aide en rien.
Des remises sur la 911
Pour écouler les modèles électriques, les distributeurs accordent désormais des réductions –et constatent avec inquiétude que ces rabais contaminent aussi le segment thermique. Actuellement, même une 911 se vend difficilement sans une remise modeste de «7 ou 8%», selon un directeur. Une fois pris dans cette spirale, il devient difficile «d’en sortir».
La faiblesse du segment électrique dans les catégories premium et luxe affecte désormais l’ensemble de l’industrie. Ola Källenius, 55 ans, directeur général de Mercedes, n’a produit qu’environ 6.000 exemplaires de son modèle haut de gamme EQS en 2024. Initialement, dix fois plus étaient prévus. Même l’EQE, équivalent électrique de la Classe E, n’a été fabriqué qu’à peine à 30.000 exemplaires.
«La faiblesse du segment électrique dans les catégories premium et luxe affecte désormais l’ensemble de l’industrie.»
Audi mise sur une marque spécifique en Chine pour tenter de percer le marché électrique premium local. BMW produit environ trois fois plus d’i7 que Mercedes d’EQS, mais son président Oliver Zipse, 61 ans, en attendait davantage. Et même les concurrents chinois comme Nio échouent à s’imposer dans le haut de gamme –un constat qui ne rassure en rien les directions générales.
Chez Porsche, l’espoir repose désormais sur la Cayenne, avec une recharge ramenée à quinze minutes et un système d’infotainment de dernière génération. Ce grand SUV, commercialisé principalement en version thermique, est appelé à devenir le pilier stratégique de la marque, avec plus de 100.000 unités prévues.
D’ici là, le pari repose sur davantage d’économies et une montée en gamme. En Chine, Oliver Blume retire 50 des 150 concessionnaires du réseau Porsche et souhaite également renforcer les offres de fabrication dans ce pays et proposer davantage de luxe personnalisé. A l’échelle mondiale, l’objectif est de vendre davantage d’options aux acheteurs du Taycan pour améliorer les marges. Le site principal de Zuffenhausen pourrait en profiter à double titre: Oliver Blume et le directeur financier Jochen Breckner pourraient réaliser des économies dans la production du Taycan et renforcer la manufacture.
Ce plan paraît toutefois insuffisant sur les marchés financiers. La stratégie du luxe n’y inspire plus confiance: depuis son introduction en Bourse, Porsche a perdu près de 45% de sa valeur et pèse désormais 42 milliards d’euros. Ferrari, modèle incontesté du luxe automobile, a progressé de 130% sur la même période et atteint aujourd’hui 80 milliards d’euros.
Le constructeur italien développe lui aussi un modèle électrique depuis longtemps. Mais celui-ci reste, à ce jour, au garage.