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«Il faudrait être fou pour ne pas choisir une voiture électrique chinoise»: mais pourquoi?

Erik Raspoet Journaliste Knack

Les voitures électriques chinoises sont désormais incontournables dans le parc automobile belge. Les sociétés de leasing commencent aussi à les découvrir: «Plus pour moins de budget, il faudrait être fou pour ne pas les choisir.»

Bien avant l’ère du smartphone, repérer et compter les marques automobiles était une manière de distraire toute la famille lors des longs trajets monotones sur autoroute, surtout pour ceux qui, sujets au mal des transports, ne pouvaient pas lire Spirou ou le Journal de Mickey. Le jeu n’était pas bien difficile: chaque marque avait un design propre et un logo unique. Peugeot, BMW, Volvo, même les premières Toyota étaient reconnaissables de loin. Essayez donc avec le parc automobile actuel! Alors que presque tous les modèles semblent sortir du même moule, le nombre de marques est devenu incalculable, surtout les chinoises. Xpeng, Zeekr, Jaecoo, Leapmotor, Aiways, Nio, Hongqi, BYD, Omoda, Seres, Fengon: toutes sont apparues récemment sur nos routes.

17

marques chinoises ont été recensées fin 2024 sur les routes belges.

A la fin de l’an dernier, VAB Assistance en recensait 17. Parmi elles: MG, Smart et Lotus, des noms prestigieux de l’histoire automobile européenne rachetés par des constructeurs chinois. Polestar, fabricant de véhicules électriques (EV) haut de gamme, figurait également sur la liste. Son siège se situe en Suède, mais, comme sa maison mère Volvo, la marque appartient au groupe chinois Geely Holding.

Une ascension rapide

Selon Jato, un cabinet de conseil de référence dans l’industrie automobile, les marques chinoises représentaient 5,1% des nouvelles immatriculations en Europe au premier semestre 2025. Un chiffre qui ne tient pas compte des véhicules construits en Chine par des marques «occidentales» telles que Volvo, Tesla ou Smart. La même restriction s’applique aux statistiques de la Febiac, la fédération belge de l’industrie automobile et du cycle. «Aujourd’hui, les marques chinoises représentent 3% du total des ventes de voitures neuves en Belgique, déclare le CEO Frank Van Gool. Les marques européennes couvrent 80%, et ensemble, le Japon, la Corée du Sud et les Etats-Unis totalisent 17%. On ne peut donc pas dire que le marché est submergé par les marques chinoises, mais elles progressent rapidement

Malgré sa petite taille, la Belgique fait figure de référence pour le marché automobile européen. Cela tient beaucoup au rôle de la voiture de société. Au premier semestre de cette année, les clients professionnels – sociétés de leasing, entreprises et indépendants– représentaient 54% du marché du neuf. Les voitures de société amorties alimentent le marché de l’occasion, qui, en volume, dépasse d’ailleurs le marché du neuf: 373.800 des 608.400 immatriculations du premier semestre 2025 concernaient des véhicules d’occasion. Comme les véhicules de société sont généralement mieux dotés en options et motorisations, cet écosystème confère à la Belgique une touche «premium». Le précédent gouvernement fédéral a donc décidé d’utiliser la voiture de société pour verdir rapidement la mobilité automobile. En ajustant la fiscalité, les motorisations fossiles ont été progressivement éliminées. A partir de 2026, de facto, seuls les véhicules particuliers totalement zéro émissions seront éligibles à l’immatriculation sur le marché professionnel. Donc des EV, car plus personne ne croit à une percée rapide de la voiture à hydrogène.

Selon l’accord de gouvernement de l’exécutif De Wever, la déductibilité fiscale des hybrides rechargeables (PHEV) serait toutefois prolongée. Cette intention a semé l’émoi dans un secteur qui abhorre les politiques en zigzag. EV Belgium, la fédération pour la mobilité zéro émission en Belgique, a tiré la sonnette d’alarme. «Le changement de cap annoncé n’a pas seulement suscité beaucoup d’incertitudes chez les gestionnaires de flotte, commente le porte-parole Philippe Vangeel. Il entrait aussi en contradiction avec les objectifs européens de transition climatique. Heureusement, nos objections ont été entendues. La déductibilité fiscale prolongée pour les PHEV a bien été introduite cet été, mais sous une formule allégée, de sorte que l’incidence se limite à une fraction minime du marché. Nous restons en bonne voie vers une électrification complète de la voiture de société. »

La Chine domine la chaîne d’approvisionnement : les premiums allemands sont composés à 70 % de pièces chinoises. © GETTY

Tesla détrônée

Traditionnellement, le leasing était dominé par les constructeurs européens. Le segment premium a, pendant des décennies, porté la marque allemande. Les CEO et cadres supérieurs plébiscitaient BMW, Mercedes et Audi. La percée de l’EV a changé la donne. Pionnier de cette révolution, Tesla a été ces dernières années la marque la plus populaire sur le marché professionnel avec ses modèles Y et 3. C’est du passé. Arval, filiale mobilité de BNP Paribas et acteur majeur du leasing en Belgique, a vu Tesla sortir cette année du Top 10 des voitures de société les plus demandées. A l’échelle mondiale, les ventes ont reculé de 14% l’an dernier.

Cela ne s’explique pas uniquement par l’image d’Elon Musk, assure la Fédération belge des loueurs de véhicules, Renta Solutions. «Les sociétés de leasing ne font que suivre la baisse de la demande de leurs clients, estime son directeur Stijn Blanckaert. En outre, elles peinent depuis longtemps à fixer un loyer stable pour Tesla, une marque qui modifie constamment ses prix. L’an dernier, une Model 3 a soudainement chuté de 49.000 à un peu moins de 40.000 euros. La tarification dynamique est très gênante pour les sociétés de leasing, qui risquent de lourdes pertes sur un marché de l’occasion volatil.» Autre explication souvent avancée: Tesla, qui n’a pas lancé de nouveau modèle depuis cinq ans, a perdu son avance technologique. Les innovations EV ne viennent plus d’Austin (Texas) mais de la République populaire de Chine. Cela se traduit par une popularité croissante des EV chinois sur le marché belge du leasing.

Le groupe automobile néerlandais Van Mossel, premier distributeur en Belgique avec 110 implantations, a une petite trentaine de marques en portefeuille –des noms connus tels que Volkswagen, Renault, Citroën et Toyota, ainsi que les marques coréennes Kia et Hyundai, qui réussissent bien avec leurs EV sur le segment moyen du marché du leasing. La gamme comprend désormais quatre marques chinoises, comme MG et Leapmotor, un constructeur 100% électrique. «De plus en plus d’entreprises intègrent des voitures chinoises dans leur car policy, ce qui oblige les sociétés de leasing à suivre, analyse Gregory Goris, directeur marketing de Van Mossel Leasing. La demande vient aussi de certains salariés. Supposons que votre budget mobilité vous laisse le choix entre une BMW équipée de série et une Leapmotor full option. Pourquoi ne pas choisir la voiture chinoise?»

« La qualité d’un premium allemand à 70.000 euros, vous l’obtenez chez un équivalent chinois pour 50.000 euros.»

800 volts

Le suédois Hedin Automotive –30 sites en Belgique, actif dans quatorze pays– a réalisé une étude sur le potentiel des voitures chinoises. Les prévisions oscillent entre 7% et 12 % des nouvelles immatriculations en Europe en 2030, indique Philip Eeckels, business unit director. La Belgique et le Luxembourg représentent ensemble 500.000 nouvelles immatriculations par an. Selon les projections les plus conservatrices, cela signifie donc 35.000 voitures chinoises en 2030.» Hedin est, en Belgique, l’importateur de Hongqi ainsi que des marques de Geely, Nio et Firefly. Il distribue en outre Xpeng, une marque premium qui, comme Polestar et BYD, connaît un succès croissant sur le marché du leasing.

«Tout récemment, un grand bancassureur a ajouté Xpeng à son portefeuille de marques, précise Philip Eeckels. D’après ce que nous disent les sociétés de leasing, les clients comparent Xpeng aux premiums allemands ou à Tesla, et cette comparaison tourne de plus en plus souvent à l’avantage de Xpeng. La Xpeng G9 que je conduis actuellement m’impressionne: elle est dotée d’un supercharger de 800 volts, le nec plus ultra. Et tout cela à un prix séduisant. La qualité d’un premium allemand à 70.000 euros, vous l’obtenez chez un équivalent chinois pour 50.000 euros. Cela fait aussi une différence pour les employeurs sur la facture mensuelle de leasing.»

Malgré les droits additionnels jusqu’à 38% sur les voitures électriques produites en Chine imposés à la fin de l’année dernière par la Commission européenne? «Nous n’en ressentons pas l’effet dans les ventes, assure le business unit director d’Hedin Automotive. Pour l’instant, les constructeurs chinois peuvent absorber ces droits sans augmenter leurs prix.» Peu efficace, donc, et ces droits produisent en outre un effet secondaire indésirable: puisqu’ils ne s’appliquent qu’aux voitures électriques, les constructeurs chinois ont intensifié leurs exportations de voitures essence et PHEV. Assimiler les voitures chinoises aux seuls EV est une erreur: près de la moitié des importations chinoises dans notre pays concerne des véhicules à combustibles fossiles, écoulés à des prix imbattables sur le marché particulier.

Tout a commencé pour les voitures chinoises en Belgique en 2007. Le distributeur multimarque Cardoen introduisait la Jiangling Landwind, un SUV cinq portes doté d’un moteur Opel. Ce fut un flop: une finition lamentable et des crash-tests désastreux suscitèrent la moquerie. Tue depuis: le «made in China» commence progressivement à détrôner le «made in Germany» comme label de qualité.

«Techniquement, l’EV est une affaire de batterie et d’ICT, explique Philip Eeckels. Sur ces deux terrains, la Chine a pris une avance considérable.» Jochen De Smet, ancien lobbyiste d’EV Belgium et dirigeant d’Ekreo E-mobility Consultancy, qualifie d’«impardonnable» le retard pris par l’Europe. «Nous avons complètement raté le coche, estime-t-il. L’échec du fabricant de batteries Northvolt en est l’illustration douloureuse. C’est une question de vision et de politique. La Chine a mis de l’ordre dans tout l’écosystème, des matières premières aux batteries et à l’infrastructure de recharge, jusqu’aux voitures elles-mêmes. L’Europe ne s’est concentrée que sur le dernier maillon, l’automobile.»

«L’époque où l’on méprisait la voiture chinoise est révolue.»

L’industrie européenne condamnée?

L’industrie automobile européenne est-elle condamnée, comme le prédisent les pessimistes? Nos interlocuteurs ne le pensent pas. «Même si les marques chinoises atteignent 12% du marché en 2030, il restera 88% pour les autres pays, rétorque Philip Eeckels. Des constructeurs comme BMW et Mercedes ne se laisseront pas évincer après avoir dominé le marché du leasing pendant des décennies. Ils investissent massivement pour combler l’écart technologique et élargir leur offre premium.»

La bataille ne se limite toutefois pas à ce seul segment. Peu à peu, l’EV abordable, avec une autonomie acceptable, devient une réalité. Au Salon de Bruxelles, dix modèles à moins de 30.000 euros étaient présentés. Les constructeurs européens Citroën, Renault-Dacia et Fiat s’alignent dans ce segment en alternative à BYD, Dongfeng et Leapmotor.

Il faut néanmoins se garder des effets d’annonce. Les voitures électriques sont des produits globaux, avec des composants venus du monde entier. Le fait est que la Chine domine aussi la chaîne de production. Les voitures premium allemandes sont constituées à 70% de pièces chinoises, dont la batterie, qui représente à elle seule 30 à 40% du coût total.

BMW a présenté au dernier salon de Munich sa très attendue Neue Klasse, des EV aux performances de tout premier plan en matière d’autonomie et de vitesse de charge. Du «made in Germany», mais avec des batteries du leader chinois CATL. «Dans l’automobile, la coopération entre constructeurs européens et chinois est intense, souligne Philip Eeckels. Geely détient 20% de Mercedes, et ensemble ils contrôlent la sous-marque Smart. Stellantis travaille étroitement avec Leapmotor, et VW a investi 700 millions d’euros dans Xpeng: manifestement, cela revenait moins cher que d’investir lui-même en R&D pour combler le retard technologique. A terme, les acteurs chinois qui veulent écouler davantage de volume en Europe construiront des voitures ici, ne fût-ce que pour éviter les droits d’importation. BYD bâtit déjà une usine d’assemblage en Hongrie; Xpeng veut produire des voitures avec Magna Steyr en Autriche.» La part chinoise sur le marché belge, tant professionnel que particulier, ne peut donc que croître.

«La Chine compte environ 150 marques automobiles, rappelle l’expert. Toutes ne viendront pas en Europe. J’en vois cinq s’imposer, celles capables de s’adapter au goût européen et aux cultures organisationnelles locales. On observe déjà que les Chinois s’associent à de grands acteurs de la distribution. Une stratégie intelligente, car la connaissance du marché et les relations des distributeurs locaux sont un atout majeur.» Gregory Goris, lui, voit les Chinois emprunter la même voie que les Coréens. En 20 ans, Hyundai et Kia se sont mués en acteurs mondiaux, avec une image de qualité inoxydable et des ventes en Europe en progression constante.

«Acheter une voiture, c’est de l’émotion, insiste Gregory Goris. Le prestige et le snobisme jouent un rôle. Or, l’époque où l’on méprisait la voiture chinoise est révolue. Cette acceptation s’amplifiera encore à mesure qu’elles seront plus nombreuses sur les routes et que les automobilistes constateront qu’il s’agit de voitures belles et bien finies. Le seul facteur freinant reste la valeur de revente (lire par ailleurs). Il est encore difficile, pour l’instant, de prévoir combien ces voitures chinoises rapporteront sur le marché de l’occasion. Mais ce n’est qu’une question de temps, les Coréens l’ont déjà prouvé.»

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