De plus en plus d’automobilistes se sentent désemparés face aux écrans tactiles: ouvrir la boîte à gants ou régler la climatisation à l’aide de ces interfaces relève souvent du casse-tête. Et cela peut s’avérer dangereux –au point que certains constructeurs envisagent de réintroduire davantage de boutons.
Dans une Tesla Model Y flambant neuve, impossible de trouver un simple levier pour accéder à la boîte à gants. Nombre de conducteurs et conductrices désorientés se tournent alors vers YouTube. Selon l’utilisateur «Teslamonial», il faut appuyer en bas à gauche du grand écran tactile sur une minuscule icône en forme de voiture, puis ouvrir le menu «Contrôles». Il en fait la démonstration. Une fois ces étapes franchies, une petite icône de boîte à gants apparaît enfin. «Oh mon Dieu, c’est ridicule», s’exclame le jeune homme après plusieurs tentatives infructueuses. Ce n’est qu’alors que le compartiment s’ouvre.
L’omniprésence de l’écran tactile agace de plus en plus les automobilistes. Dans pratiquement tous les modèles récents, un écran trône à droite du volant. Ce dispositif central a relégué au second plan les bons vieux boutons, les interrupteurs et même les leviers de clignotants ou d’essuie-glaces. De nombreux conducteurs se sentent dépassés, ce qui entraîne une hausse des accidents, alerte notamment Kirstin Zeidler, responsable de la recherche sur les accidents auprès des assureurs allemands. Des marques comme Hyundai, Renault ou Volkswagen commencent à infléchir leur stratégie et envisagent de réintroduire davantage de boutons physiques.
L’écran tactile permet certes de contrôler la radio ou la navigation, mais aussi un grand nombre de fonctions liées à la conduite –souvent de manière peu intuitive. Certaines commandes sont même enfouies dans des sous-menus. Le manuel d’utilisation de Tesla, pionnier du tout-tactile, indique par exemple: «Touchez Véhicule > Dynamique > Accélération pour régler la force d’accélération souhaitée lors de la conduite de la Model 3.» L’utilisateur doit ensuite choisir entre les modes «Détente», «Standard» ou «Démentiel».
Pour des experts comme Kirstin Zeidler, le fait que des fonctions essentielles de conduite ne soient pas accessibles de manière intuitive constitue un véritable danger. Beaucoup de conducteurs jonglent sans cesse entre la route et l’écran. «Cela leur donne l’illusion de garder le contrôle, observe-t-elle. Mais en réalité, ils ne sont pas pleinement concentrés sur la circulation.»
Les aides numériques sont en cause dans 5 à 25% des accidents –un chiffre vraisemblablement sous-estimé et en augmentation.
Les aides numériques sont en cause dans 5 à 25% des accidents, estiment les spécialistes –un chiffre vraisemblablement sous-estimé et en augmentation. Kirstin Zeidler évoque un taux élevé de cas non recensés: bien souvent, la police ne peut pas déterminer si la distraction provient d’un smartphone ou d’un système embarqué.
Si un conducteur détourne son regard pendant une seconde à 50 km/h, le véhicule parcourt quatorze mètres avant même que le moindre obstacle soit visible, calcule-t-elle. Et cela sans compter la distance de freinage. C’est la raison pour laquelle le code de la route n’autorise qu’un «bref regard» vers l’appareil.
L’ordinateur de bord, un risque pour la sécurité
Certains conducteurs du VW Tiguan actuel semblent ne pas réussir à régler la climatisation. Dans une vidéo, un testeur explique que «toucher est en réalité plus efficace que glisser». Si on fait glisser le doigt sur l’écran au lieu de toucher, on «glisse rapidement vers un endroit où on ne veut pas aller».
Il y a quelques années, en Allemagne, un conducteur de Tesla a passé un peu trop de temps à manipuler l’écran tactile pour modifier l’intervalle de balayage des essuie-glaces, alors qu’il roulait sur route rapide sous une pluie battante. Il a perdu le contrôle du véhicule, quitté la chaussée et percuté plusieurs arbres. Résultat: interdiction de conduire. Le tribunal régional supérieur de Karlsruhe a estimé qu’il aurait dû s’arrêter pour effectuer ce réglage.
Selon une étude du Centre de technologie Allianz, près de 50 % des conducteurs interrogés se sentent distraits lorsqu’ils interagissent avec les ordinateurs de bord et les écrans tactiles. S’attarder dans les menus augmente le risque d’accident de 44 %.
VW veut réintroduire boutons et touches
Des essais en simulateur de conduite menés par le laboratoire britannique TRL montrent que l’utilisation d’Apple CarPlay ou d’Android Auto augmente davantage le temps de réaction que la conduite sous cannabis ou avec un taux d’alcoolémie de 0,8 g/l.
«L’utilisation d’Apple CarPlay ou d’Android Auto augmente davantage le temps de réaction que la conduite sous cannabis ou avec un taux d’alcoolémie de 0,8 g/l.»
«La folie du tout-tactile a été une erreur, admet Andreas Mindt, responsable du design chez Volkswagen. Nous allons réinstaller des boutons, promet-il, de vrais interrupteurs physiques, toujours au même endroit, au centre du tableau de bord, faciles à atteindre et qui ne se transforment pas en autre chose.»
Les boutons doivent produire un «clic», et les molettes doivent cranter, selon lui. Plus la mécanique est explicite, mieux c’est. VW prévoit de réintroduire des boutons rotatifs traditionnels pour régler le volume sonore, la ventilation et la température côté conducteur et côté passager. Entre les deux, un bouton servira à activer les feux de détresse. Cette rangée de cinq commandes sera lancée en 2026 avec la citadine électrique VW ID.2, puis intégrée à tous les nouveaux modèles ou modèles restylés. «C’est la première chose à laquelle nous allons nous attaquer», assure Andreas Mindt.
«La folie du tout-tactile a été une erreur. Nous allons réinstaller des boutons.»
Lors d’essais sur route, les clients de VW ont apprécié le fait de pouvoir manipuler des boutons. Et rien à voir avec une nostalgie rétro, insiste Andreas Mindt.
Le mot d’ordre «Bring Back Buttons» (Ramenez les boutons) est aussi repris par Euro NCAP, le consortium qui regroupe ministères des Transports, instituts techniques et clubs automobiles, et qui évalue la sécurité des véhicules particuliers. A partir de 2026, les fonctions essentielles devront pouvoir être contrôlées par des boutons physiques, sous peine de pénalité. «Nous y allons en douceur», rassure cependant Matthew Avery, chargé de la stratégie au sein de l’organisation. Les constructeurs disposeront de temps pour réintégrer progressivement davantage de commandes physiques dans les habitacles.
Les écrans tactiles ne vont pas disparaître –d’autant qu’une voiture moderne doit gérer entre 80 et 100 fonctions. La commande vocale ne convainc pas tous les conducteurs. Mais une centaine de boutons? «Personne ne veut que l’intérieur d’une voiture ressemble à un cockpit d’avion de ligne», souligne Matthew Avery. Pour toutes les fonctions secondaires, l’écran reste malgré tout pratique pour tapoter et faire défiler.