
Audi, BMW, Mercedes et Porsche ont un problème de luxe en Chine, avec de lourdes conséquences
Les ventes automobiles en Chine ont augmenté de 3,5% en 2025, mais beaucoup moins vite que les années précédentes. Les modèles de luxe d’Audi, BMW, Mercedes et Porsche sont même en recul. Certaines chutes sont très fortes: la Mercedes EQS (-56%) et la BMW X7 (-53%). Les marques (de luxe) allemandes n’y font plus figure de référence, et cela a de lourdes conséquences.
Après la disparition ou le déclin des grands salons automobiles européens de Genève (GIMS), Francfort (IAA) et Paris (Mondial de l’Automobile), le salon de l’automobile de Shanghai est devenu, depuis quelques années déjà, le plus grand du monde. La Chine était auparavant déjà le plus grand marché automobile. Un certain nombre de marques chinoises sont d’ailleurs bien parties pour devenir numéro un mondial.
Le salon de l’automobile de Shanghai 2025, qui s’est tenu jusqu’au vendredi 2 mai, en apporte la meilleure preuve. BYD et consorts y exposent leur savoir-faire et leurs avancées technologiques de manière si convaincante qu’il est grand temps pour l’Europe de réfléchir à l’avenir des marques automobiles européennes dans le monde automobile de demain.
Une bataille perdue
Toyota, Volkswagen et Hyundai/Kia ne se rendent pas encore, mais il y a peu de chances qu’ils parviennent à ralentir, et encore moins à arrêter, l’ascension de leurs concurrents chinois. BYD et consorts évoluent en effet à une vitesse fulgurante, passant de suiveurs à meneurs, leur avance technologique s’accroît chaque jour.
A Shanghai, il est devenu évident que le label de qualité «Made in Germany» a perdu une grande partie de son éclat. Tandis qu’Audi, BMW, Mercedes et VW y présentent des concepts prometteurs et des prototypes, les marques chinoises volent la vedette avec des modèles prêts à être commercialisés, d’une beauté époustouflante et dotés d’innovations technologiques de très haut niveau, qui, pour ainsi dire, pourraient être en vitrine dès demain.
S’ajoute à cela un changement radical dans le comportement d’achat des Chinois fortunés. En raison du ralentissement de l’économie et de l’automatisation croissante, la demande de main-d’œuvre peu qualifiée diminue. L’écart de revenus entre personnes avec et sans diplôme s’élargit, les Chinois achètent de manière plus attentive aux prix qu’auparavant.
Des leçons tirées du premier mandat de Trump
Il est pour l’instant difficile de prédire les conséquences de la guerre commerciale avec les Etats-Unis sur la croissance économique de la Chine. Personne ne doute que les droits de douane seront désastreux à court terme. Les analystes de marché anticipent une baisse de la croissance économique de 1,5%. Les avis divergent quant aux effets possibles à moyen et long terme.
Il est vrai que la Chine produit avant tout pour le marché chinois. Neuf voitures électriques sur dix fabriquées en Chine sont vendues sur le territoire national. Les chiffres les plus récents montrent que l’importation de modèles venus des Etats-Unis, d’Europe, du Japon et de Corée du Sud a fortement chuté au cours de l’année écoulée.
Le président chinois Xi Jinping a par ailleurs tiré les leçons du premier mandat de Trump et a structurellement préparé son pays à une deuxième guerre commerciale avec les Etats-Unis. La politique industrielle chinoise a été réorientée: elle ne vise plus la production de biens de consommation bon marché à grande échelle, mais se concentre désormais sur le développement technologique. Cela explique en partie l’avance technologique soudaine des grandes marques automobiles chinoises. Cela a été précédé par beaucoup de réflexion stratégique et intelligente.
«Neuf voitures électriques sur dix fabriquées en Chine sont vendues sur le territoire national.»
Parallèlement, le gouvernement chinois a cherché –et obtenu– de manière apparemment pacifique l’accès aux gisements dits de terres rares, nécessaires à la fabrication de batteries pour voitures. Il faut savoir que l’entreprise à succès BYD est à l’origine un fabricant de batteries, qui ne construit des voitures que depuis 2003.
Les constructeurs automobiles chinois produisent jusqu’à trois quarts des pièces nécessaires en interne, ce qui leur permet de répondre de manière flexible à l’offre et à la demande, sans dépendre des compétences ou de la bonne volonté de leurs sous-traitants.
Les constructeurs européens, en revanche, s’approvisionnent à hauteur de 70% en pièces détachées auprès de fabricants asiatiques. Cela vaut aussi pour des composants essentiels tels que les batteries, alors même qu’une batterie représente environ 40% de la valeur totale d’un véhicule électrique. Il n’est pas judicieux, en tant que constructeur occidental, de rester aussi dépendant de fournisseurs issus d’un pays dictatorial comme la Chine, qui ne respecte pas les droits humains.
La Commission européenne n’est pas non plus irréprochable. Où sont les usines de batteries que la Commission européenne avait promises à l’époque pour soutenir les constructeurs automobiles européens? Ou est-il vrai que Bruxelles n’a pas obtenu le feu vert de Berlin, Paris, Madrid et Rome? Les intérêts nationaux ont-ils porté le coup de grâce au plan bien intentionné de la Commission européenne?
Début de la fin
Retour à l’actualité du jour. Plus de 70 constructeurs automobiles chinois et étrangers ont exposé jusqu’au 2 mai dernier leurs nouveaux modèles ou modèles remis au goût du jour au Shanghai National Exhibition and Convention Center. Les noms de la plupart des exposants chinois sont complètement inconnus en dehors de la Chine.
Les marques allemandes sont elles aussi très présentes, un signal qu’elles souhaitent continuer à jouer un rôle important en Chine. Le fait est qu’elles y ont régné en maître pendant des décennies. Jusqu’il y a peu, elles y réalisaient jusqu’à 40% de leur chiffre d’affaires et de leurs bénéfices. La Chine était leur vache à lait proverbiale.
Aujourd’hui, la Chine est devenue leur principal sujet d’inquiétude. Les modèles électriques d’Audi, BMW, Mercedes et Porsche ne se vendent absolument pas en Chine, car ils sont trop chers et pas assez innovants ou performants sur le plan technologique. Même des réductions de prix spectaculaires n’ont pas permis d’inverser la tendance. Une déroute douloureuse au moment même où les ventes de voitures électriques battent tous les records en Chine.
Depuis peu, les ventes des modèles de luxe à moteur thermique «made in Germany se sont également effondrées. Par rapport à la même période en 2024, les ventes des Audi A8, BMW Série 7 et Mercedes Classe S ont reculé ce printemps de respectivement 30, 37 et 30 %. Cela s’explique bien sûr par la flambée de l’électrique en Chine: aussi bien les modèles 100% électriques que les hybrides rechargeables et ceux dotés de prolongateurs d’autonomie s’y vendent comme des petits pains.
Au siège d’Audi à Ingolstadt, de BMW à Munich et de Mercedes à Stuttgart, on s’active fiévreusement à chercher des solutions. L’Audi A8, la BMW Série 7 et la Mercedes Classe S génèrent en effet les marges bénéficiaires les plus élevées. Ces modèles sont d’ailleurs destinés à être les premiers à recevoir des technologies permettant la conduite autonome.
La conduite autonome est un sujet brûlant dans les coulisses du Shanghai Auto Show 2025. A la suite d’un accident mortel impliquant une Xiaomi SU7 électrique, le gouvernement chinois a en effet imposé de nouvelles règles aux constructeurs automobiles concernant l’utilisation des termes tels que «intelligent» ou «autonome» dans leur publicité. On soupçonne Pékin d’instrumentaliser cet événement pour introduire, de manière sournoise, de nouvelles règles et normes qu’il pourrait ensuite imposer au reste du monde.
VW a présenté à Shanghai trois modèles d’étude axés sur des groupes cibles spécifiques.
En Chine, pour la Chine
Selon leurs propres dires, les marques automobiles allemandes profitent du Salon de l’auto de Shanghai 2025 pour envoyer un signe de vie à leurs millions de clients chinois. Audi y dévoile une berline prête à être commercialisée, dotée d’un empattement allongé, développée en collaboration avec un partenaire chinois. Le célèbre logo aux quatre anneaux est remplacé par le nom de marque AUDI. Ce changement doit convaincre les clients potentiels qu’Audi prend un nouveau départ en Chine.
VW présente trois véhicules conceptuels électriques (ID. AURA, ID. ERA et ID. EVO) qui préfigurent les 30 nouveaux modèles VW qui seront lancés sur le marché chinois dans les années à venir, en ciblant des groupes spécifiques de consommateurs.
Les modèles d’étude appartiennent à la catégorie dite NEV (new energy vehicles), qui englobe à la fois les modèles entièrement électriques, les hybrides rechargeables et ceux dotés d’un prolongateur d’autonomie. Ils sont développés et fabriqués en Chine pour la Chine, en collaboration avec des partenaires chinois. L’objectif est de mieux répondre aux attentes des clients chinois et de réduire de manière drastique les délais de développement et de production afin de rester compétitifs face aux marques chinoises. Ces dernières parviennent déjà à achever ce processus en tout au plus trois ans, tandis que les marques européennes prennent un ou même deux ans de plus.
L’attraction principale du Salon de l’auto de Shanghai 2025 est sans aucun doute la Mercedes Vision V. Elle combine le luxe et l’élégance d’une limousine avec l’espace intérieur généreux et une expérience utilisateur immersive digne d’un van. Une cloison vitrée modulable sépare le salon privé du poste de conduite. Les sièges de première classe évoquent d’élégants fauteuils lounge, reposent sur des structures polies composées de coussins tubulaires flexibles, et affichent un design futuriste unique.
Le design extérieur du concept Vision V marque la prochaine étape dans le développement du langage stylistique de Mercedes-Benz. La calandre est équipée de trois lamelles vitrées horizontales illuminées, et la ligne de toit tendue se prolonge en une partie arrière arrondie avec fluidité.
Le fossé technologique se creuse
Aussi dur que cela puisse paraître, le Salon de l’automobile de Shanghai 2025 montre que l’avance technologique des marques chinoises sur les européennes s’accroît. Leurs modèles avant-gardistes portent la signature de designers européens renommés et utilisent les toutes dernières technologies et applications en matière de motorisation et de numérisation. La finition et la qualité des matériaux utilisés comptent parmi les meilleures du marché. En matière de sécurité, ils répondent aux normes européennes les plus strictes. Contrairement à leurs concurrents européens, ils offrent au minimum cinq à sept ans de garantie. Leurs modèles sont en outre très bien équipés dès la version de base. Ce n’est pas le cas de la plupart des marques européennes.
Nobody is perfect! Cela vaut aussi pour les marques automobiles chinoises, dont certaines ne sont présentes sur le marché que depuis une dizaine d’années tout au plus. Les points d’attention et d’amélioration concernent l’ergonomie intérieure, la convivialité d’utilisation parfois perfectible, ainsi que l’affinage de la tenue de route et du confort de conduite. Dans ces domaines, les marques européennes tirent parti de leur savoir-faire et de leur longue expérience.
Bien entendu, les marques chinoises connaissent elles aussi parfois quelques maladies de jeunesse, mais elles ne sont ni de nature ni d’ampleur à justifier l’énorme différence de prix entre des voitures comparables fabriquées en Chine et en Europe.
«En l’espace de cinq ans, certains constructeurs chinois sont passés du statut de suiveur à celui de leader.»
Au lieu de nous demander pourquoi les voitures chinoises sont si bon marché, nous devrions plutôt nous interroger sur les raisons pour lesquelles les voitures européennes sont si chères, en partant du constat que la moitié, voire les trois quarts des pièces de toutes les voitures sont fabriquées en Chine, y compris les batteries et les logiciels. Plus encore, certains modèles de marques européennes premium renommées destinés au marché européen sont produits en Chine.
La vérité, c’est qu’en l’espace de cinq ans, certains constructeurs chinois sont passés du statut de suiveur à celui de leader. Dans de nombreux domaines, ils obtiennent de meilleurs résultats que leurs homologues européens. Si leur part de marché en Europe reste encore assez marginale, c’est parce qu’ils ne sont pas encore suffisamment familiers des spécificités du marché européen. Mais entre-temps, leur réseau de concessionnaires prend forme, un lien de confiance personnel se noue avec les clients, et les acheteurs potentiels peuvent, par exemple, plus facilement effectuer un essai routier. En Belgique, un nombre frappant d’ex-concessionnaires de Stellantis sont passés à une marque chinoise.
S’il existe une raison de ne pas acheter une voiture chinoise, c’est bien la violation des droits humains par le régime. Le gouvernement ne tolère ni contestation ni opposition et réprime sévèrement ceux qui ne se conforment pas à la ligne. Et on peut douter des intentions pacifiques du président Xi Jinping, dont la volonté fait loi.
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