Introduit en 2019 mais peu utilisé, le budget mobilité ne sera finalement pas obligatoire pour toutes les entreprises au 1er janvier 2026. De quoi laisser davantage de temps aux employeurs pour s’approprier un dispositif encore jugé complexe, pour lequel des améliorations sont attendues par de multiples acteurs.
Le dernier kern de l’année a été riche en décisions. L’une d’entre elles est quelque peu passée inaperçue, entre les annonces sur le non-déploiement des militaires en rue à Bruxelles ou l’augmentation de plusieurs taxes: elle concerne le budget mobilité. Ce système, introduit en 2019, permet aux travailleurs de remplacer leur voiture de société (ou la possibilité d’en bénéficier) par un budget flexible, utilisable pour l’achat d’une voiture plus écologique, des modes de transport plus durables et des frais de logement (voir encadré). Alors qu’il devrait être obligatoire au 1er janvier 2026 pour toutes les entreprises proposant des voitures de société, le gouvernement en a décidé autrement, préférant une instauration progressive.
Les sociétés de plus de 50 salariés ont jusqu’au 1er janvier 2027 pour se conformer au budget mobilité, tandis que les PME de seize à 50 salariés bénéficient d’une exemption temporaire jusqu’au 1er janvier 2028, et que celles de moins de quinze salariés sont totalement exemptées de cette obligation (mais pourront tout de même proposer le budget mobilité, à leur convenance). «Les textes doivent désormais suivre le processus législatif classique, à savoir leur examen par le Conseil d’Etat, puis par le Parlement», précise le cabinet d’Eléonore Simonet (MR), ministre des Classes moyennes, des Indépendants et des PME, qui a porté cette réforme avec son homologue à l’Emploi David Clarinval (MR). «L’accord trouvé vise à assurer un équilibre entre la taille des entreprises concernées et la charge administrative que représente la mesure. L’objectif est précisément de maximiser l’adhésion et l’efficacité de la mesure, en tenant compte des réalités du terrain.»
Une «mission impossible» évitée
Pas une grande révolution donc, puisqu’aucune modification majeure n’a été faite sur le dispositif en l’état. Mais des éclaircissements bienvenus sur le calendrier, alors que les entreprises voyaient se rapprocher la date butoire du 1er janvier 2026 sans plus de précisions à ce sujet. «Cela laisse encore une année supplémentaire à certaines entreprises pour se pencher sur le sujet, réfléchir à la manière dont elles souhaitent mettre en place le budget mobilité, et envisager concrètement les outils à proposer à leurs travailleurs pour les accompagner dans leur choix, souligne Ayoub Lamrini, advanced reward consultant chez SD Worx. De notre côté, cela nous donne aussi plus de temps pour transmettre de l’information et traduire le cadre légal en conseils pratiques. L’enjeu principal est là: accompagner les entreprises sans devoir travailler dans l’urgence, comme cela aurait été le cas avec une échéance initiale au 1er janvier 2026.»
Un sentiment partagé par Thierry Devresse, directeur général de My Mobility Budget Butler et «facilitateur» du budget mobilité fédéral, pour qui il ne s’agit pas d’un «report» de l’obligation de la mesure. «Il était clair dès le départ qu’obliger toutes les entreprises à être prêtes au 1er janvier relevait de la mission impossible. Il y a environ 50.000 sociétés en Belgique qui devraient se mettre en ordre, notamment en rédigeant des règles d’application du budget mobilité au sein de l’entreprise. Même en étant bien accompagné par un consultant, cela représente environ une semaine de travail interne, plus un à deux jours de consultance. Ce n’est clairement pas quelque chose qui se fait en une journée. On savait donc qu’un délai serait accordé.» A terme, il prévoit que 20.000 entreprises pourraient proposer un budget mobilité, contre environ 2.000 actuellement.
Un dispositif faiblement utilisé
Même si les employés auront le libre choix d’accepter ou non ce dispositif, le renforcement du budget mobilité pourrait ainsi permettre de faire grimper le nombre de bénéficiaires. Selon les chiffres de l’ONSS, ils étaient à peine 18.516 en 2024, soit 0,5% des salariés en Belgique (les chiffres pour 2025 ne sont pas encore disponibles), sur quelque 570.000 personnes disposant d’une voiture de société (14,9% des salariés). Parmi les arguments avancés pour expliquer cette faible adoption: un manque d’informations des entreprises, une complexité administrative et un dispositif surtout privilégié par les personnes travaillant à Bruxelles, mais aussi à Anvers ou à Gand, analyse Midas Bernaerts, expert en rémunération flexible chez Attentia.
«La raison est simple: dans la majorité des cas, le budget mobilité implique de renoncer à la voiture de société. Pour quelqu’un qui vit dans une région moins bien desservie par les transports en commun, comme certaines zones du Limbourg, la voiture reste indispensable. À l’inverse, une personne qui habite en centre-ville est souvent contente de ne plus devoir gérer une voiture.» Cette «géographie» des bénéficiaires explique aussi pourquoi la grande majorité choisissent le remboursement de leurs frais de logement, l’une des mesures permises par le budget mobilité (voir encadré) en cas d’abandon de la voiture de société. «Sur le principe, cela fait sens: les kilomètres les plus verts sont ceux qu’on ne parcourt pas», concède Catherine Langenaeken, Consultant Legal & Reward chez Acerta.
Les frais de logement, un point sensible
Ce point du dispositif fait particulièrement grincer des dents du côté de Renta, la fédération des entreprises de location de voiture, qui a notamment demandé à ce que la partie liée aux frais de logement soit plafonnée et bénéficie d’un traitement fiscal différencié, sans pour autant être entendue. «Aujourd’hui, il est possible d’utiliser la totalité du budget mobilité pour le logement, ce qui, selon nous, n’a rien à voir avec la mobilité», argue Stijn Blanckaert, son directeur général, espérant que la fédération sera impliquée à terme dans des discussions autour du budget mobilité. «Les travailleurs qui utilisent l’intégralité de leur budget pour financer leur logement auront toujours besoin de se déplacer. Or, s’ils consacrent tout leur budget à l’“immobilité”, ils n’auront plus de moyens pour financer des alternatives de transport. Dans ce cas, que vont-ils faire? Ils n’achèteront certainement pas une voiture électrique neuve. Ils se tourneront plutôt vers une voiture d’occasion, souvent plus ancienne et plus polluante, ce qui va à l’encontre de l’objectif d’écologisation des flottes.»
Autre acteur peu emballé par la mouture actuelle du dispositif, la Fédération des entreprises belges (FEB) espère de son côté une simplification de celui-ci et a suggéré en ce sens sept améliorations possibles au gouvernement, qui sont pour l’instant restées lettre morte. Parmi elles, une amélioration de l’information officielle, expose Marie-Lise Pottier, conseillère pour les questions d’emploi et de sécurité sociale: «Le site budgetmobilité.be est très complet, mais aussi très fouilli, difficilement lisible pour les non-initiés, et surtout pas à jour. On pourrait aussi mettre à disposition des employeurs des modèles de documents, afin d’aider surtout les entreprises disposant de moins de ressources internes, ou un outil de calculateur en ligne, permettant au moins de comprendre la logique du Total Cost of Ownership (TCO), dont le calcul est unanimement considéré comme un véritable cauchemar en Belgique.»
«La limite d’un cinquième du salaire pénalise surtout les travailleurs plus jeunes»
Marie-Lise Pottier, conseillère pour les questions d’emploi et de sécurité sociale à la FEB
La FEB insiste aussi sur la nécessité de raisonner non pas en termes de PME ou grandes entreprises, mais plutôt de taille de flotte de voitures de société («De petites structures peuvent avoir une flotte très importante et une expertise avancée»), et demande une réflexion sur le calcul du plafonnement, alors que le budget mobilité est limité à 16.875 euros ou un cinquième de la rémunération annuelle. «Si le plafond absolu peut se justifier, la limite d’un cinquième du salaire pénalise surtout les travailleurs plus jeunes, pourtant souvent les plus intéressés par le budget mobilité», ajoute Marie-Lise Pottier.
Des améliorations attendues
Paradoxalement, des améliorations sont également attendues par les acteurs spécialisés dans le budget mobilité, même s’il faudra probablement attendre 2027 voire 2028 pour cela, selon nos interlocuteurs. Thierry Devresse partage ainsi en partie le point de vue de Renta concernant le plafonnement des frais de logement, suggérant un «pot» de 200 à 300 euros mensuels permettant de financer des «alternatives durables» à la voiture de société (abonnement de train ou de transports en commun, vélo…), le reste pouvant être alloué au logement.
Amaury Gérard, CEO de la start-up bruxelloise Mbrella spécialisée dans la mobilité, attend quant à lui une réponse concernant le délai imposé aux sociétés avant de pouvoir proposer le budget mobilité: «Une société doit proposer des voitures de société pendant trois ans avant de pouvoir introduire un budget mobilité. C’est un frein majeur pour de nombreuses entreprises qui ne proposent pas de voitures, mais qui reçoivent pourtant des demandes de leurs employés pour un budget mobilité. Qu’en est-il des entreprises qui commencent seulement à offrir des voitures de société: seront-elles concernées immédiatement ou non? J’imagine, et j’espère, que ce point sera clarifié dans les textes à venir.»
Pour lui, les clarifications apportées sur le calendrier vont en tout cas pousser certaines entreprises à accélérer sur le dossier du budget mobilité, alternative amenée à séduire de plus en plus de salariés: «J’ai du mal à imaginer qu’une PME souhaitant recruter des profils de moins de 30 ou 40 ans en milieu urbain puisse faire l’impasse sur le budget mobilité sans perdre en attractivité. Le marché les y poussera naturellement.»
Qu’est-ce que le budget mobilité?
Le budget mobilité permet à un travailleur de remplacer sa voiture de société, ou le droit d’en bénéficier, par un budget flexible, fiscalement avantageux, consacré à des solutions de mobilité plus durables. «Ce budget est calculé sur base du coût total de possession (TCO) de cette voiture, qui inclut l’ensemble des coûts liés à celle-ci: leasing, cotisation CO2, dépenses non admises….», précise Catherine Langenaeken d’Acerta. Il peut ensuite se répartir entre trois piliers.
– Le pilier 1 concerne une voiture de société plus écologique, dont le coût ne peut dépasser l’ancien budget voiture et qui doit répondre à des critères environnementaux stricts.
– Le pilier 2 permet de financer des modes de transport durables (transports en commun, vélo, mobilité partagée, trottinette, etc.) ainsi que certains frais de logement. Pour ce dernier cas, cela n’est valable que si le travailleur habite à moins de dix kilomètres de son lieu de travail ou s’il télétravaille majoritairement.
– Le pilier 3 permet de verser le solde non utilisé, soumis à une cotisation sociale spéciale de 38,07%, mais sans impôt supplémentaire.
Le budget mobilité est au minimum de 3.164 euros et au maximum de 16.875 euros par an.