Les femmes sont de plus en plus nombreuses à épouser des hommes au niveau de diplomation inférieur. Un concept désigné sous le nom d’«hypogamie féminine». © Getty Images/fStop

L’«hypogamie féminine» en plein essor: comment cette tendance chamboule la vision traditionnelle du couple

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

De plus en plus de femmes épousent des hommes moins diplômés qu’elles. L’essor de cette «hypogamie féminine» remet en question la répartition traditionnelle des rôles au sein du foyer. Sans la renverser totalement.

Qui se ressemble s’assemble, dit l’adage. Au-delà du coup de foudre inopiné, la science relationnelle a longtemps prouvé que les individus aux valeurs et aux centres d’intérêt communs étaient plus susceptibles de tomber amoureux. Un constat qui prévaut également pour les partenaires issus d’un même niveau socio-économique ou socio-culturel.

Pourtant, depuis une vingtaine d’années, une nouvelle tendance se dessine dans le paysage conjugal: l’hypogamie féminine. Les femmes seraient ainsi de plus en plus nombreuses à épouser des hommes moins diplômés qu’elles. Ce différentiel d’instruction s’observe notamment aux Etats-Unis. La proportion de couples composés d’individus au niveau d’éducation identique (dits «homogames») est passée de 47% dans les années 2000 à 44,5% en 2020, selon une étude menée par Christine Schwartz, professeure de sociologie à l’Université du Wisconsin. Dans le détail, parmi ces couples hétérogames, la femme était la plus instruite dans 62% des cas en 2020, contre 39% en 1980.

En Belgique, la progression de cette hypogamie féminine a également été documentée par deux chercheurs de la KULeuven en 2017. En analysant les unions de Belges nés entre 1910 et 1975, Jan Van Bavel et Eli Nomes ont noté un «revirement remarquable» au fil des générations. «Les femmes, qui avaient tendance à épouser des hommes plus (ou aussi) instruits qu’elles jusqu’aux cohortes des années 1950, sont désormais plus susceptibles d’épouser des hommes moins (ou aussi) instruits qu’elles», relèvent les chercheurs. L’hypogamie féminine s’impose aujourd’hui comme le deuxième modèle relationnel le plus commun, après l’homogamie, notent-ils.

Logique mathématique?

Une tendance que les scientifiques attribuent logiquement à l’accession progressive des femmes aux études supérieures à partir de 1970. Aujourd’hui, elles sont d’ailleurs le sexe dominant sur les bancs de l’université. En 2024, 56,9% des femmes de 25-34 ans étaient diplômées de l’enseignement supérieur, contre 44,4% des hommes, selon les données de Statbel. Cet écart entre les sexes ne cesse de s’accentuer: de 5,9 points de pourcentage en 2000, il a ainsi atteint 12,5 points en 2024. La logique statistique «contraindrait» ainsi les femmes à épouser des hommes moins diplômés. «C’est un peu pareil que pour la taille des partenaires, avance Jacques Marquet, professeur émérite à l’UCLouvain. La norme sociale impose, dans la majorité des couples, que l’homme soit un peu plus grand que la femme. Il se fait donc que les femmes très grandes –ou les hommes très petits– ont plus de mal à trouver un partenaire.»

Un impératif statistique qui s’accompagne toutefois d’une évolution des mœurs. Alors que les femmes les plus diplômées étaient fortement désavantagées sur le marché conjugal au sein des générations nées avant-guerre, cette pression a progressivement diminué, souligne une étude menée en 2014 par le Centre français de recherche en économie et statistique (Crest). Aujourd’hui, le «célibat définitif» des femmes n’augmente plus avec leur diplôme. «Dans les années 1970-1980, les femmes très diplômées (qui restaient une minorité à l’époque) avaient tendance à rester seules, non pas car elles ne souhaitaient pas se mettre en couple, mais car elles sortaient trop des rôles traditionnels dominés par l’image du «male breadwinner» (NDLR: l’homme pourvoyeur de revenus), ce qui repoussait les hommes, confirme Mireille Le Guen, professeure de sociologie à l’UCLouvain et membre du CIRFAS (Centre interdisciplinaire de recherche sur les familles et les sexualités). Les hommes font sans doute aujourd’hui preuve de moins de réticence à épouser une femme plus diplômée qu’eux.»

L’hypergamie à bout de souffle

Les applications de rencontre pourraient-elles également avoir joué un rôle? De plus en plus nombreux, les couples formés grâce à Tinder, Bumble ou Hinge ne sont généralement pas issus du même cercle social et pourraient ainsi tendre vers davantage d’hétérogamie éducative. «Théoriquement, les applications permettent de rencontrer un peu n’importe qui, confirme Jacques Marquet. Mais dans la pratique, on observe qu’une grande partie des “couples Tinder” restent homogames, car les utilisateurs de ces plateformes cherchent des personnes dotés d’intérêts similaires. Or, le goût pour telle activité et pas l’autre est une construction sociale, qui dépend du milieu socio-culturel dans lequel l’individu a grandi.»

Comme évoqué, l’hypogamie féminine, bien qu’en progression, n’a pas (encore) détrôné le modèle dominant de l’homogamie. Dans La Sexualité qui vient. Jeunesse et relations intimes après #MeToo, la sociologue Marie Bergström note d’ailleurs que, même pour les coups d’un soir, 47% des partenaires de 18 à 29 ans ont le même niveau de diplôme.

L’hypogamie a toutefois largement supplanté l’hypergamie, permettant aux femmes une émancipation progressive des rôles traditionnels. «Les unions hypogames confèrent aux femmes un certain pouvoir, ou du moins une capacité de négociation supérieure dans la répartition des tâches éducationnelles et domestiques, souligne Mireille Le Guen. Ca ne veut pas dire qu’elles en font moins que les hommes en situation d’hypergamie, mais elles sont en tout cas en meilleure posture de négociation.»

Une diplôme insuffisant

Mais un niveau de diplomation supérieur n’est pas systématiquement synonyme d’une inversion totale de ces rôles. «Le statut d’étudiante ou de diplômée ne suffit pas en lui-même à offrir une position de supériorité au sein du couple, ni une plus grande facilité à renégocier les rôles, pointe à nouveau l’étude du Crest. Seule l’activité professionnelle semble avoir un certain effet en ce sens, du moins lorsque les revenus de la femme sont assez élevés par rapport à ceux de l’homme.» Or, même bardée de diplômes, les femmes continuent (par conformisme ou désir personnel) d’opter pour des carrières davantage compatibles avec la maternité. Et donc à occuper des postes à moindre responsabilité ou moins bien rémunérés. Dans plus d’un couple hétérosexuel belge sur quatre (26,2%), l’homme est occupé à temps plein alors que la femme travaille à temps partiel, selon les données de Statbel. A ambition professionnelle égale à celle des hommes, les femmes se heurtent en outre davantage au plafond de verre et aux inégalités salariales.

Dans certains cas, l’homme –bien que moins diplômé– peut également rechigner à l’implication professionnelle de son épouse. Soit par ego masculiniste: pour certains hommes, l’idée que sa partenaire gagne mieux sa vie reste insupportable. Soit par conservatisme ancré dans le couple. «Les hommes moins diplômés ont tendance à avoir une conception plus traditionnelle du genre, ce qui pourrait suggérer que les femmes très diplômées qui les épousent partagent également ces visions», souligne une étude menée par Nadia Steiber, chercheuse à l’Université de Vienne. En Belgique, 14,2% des couples hétérosexuels reposent toujours sur le modèle «homme occupé à temps plein – femme sans emploi». Bref, l’hypogamie féminine est encore loin d’avoir renversé la vapeur.

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