Les jeunes et le vin
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«Le rapport “qualité-cuite” est moins intéressant»: pourquoi les jeunes délaissent le vin

Trop complexe, trop vieux jeu, trop cher: les clichés entourant le vin sont nombreux auprès des moins de 25 ans. Les tentatives pour séduire ce public se multiplient.


«A consommer avec modération.» Au sein de la Génération Z, ce message de santé publique semble concerner un type d’alcool plus que les autres. Dans les bars ou en soirée, rares sont les moins de 25 ans avec un verre de vin à la main. «Dans les soirées étudiantes, on n’en sert même», souligne Thiago. Du haut de ses 22 ans, il dirige le Cercle œnologique de l’université libre de Bruxelles (ULB), l’une des rares associations étudiantes du genre en Belgique. Chaque mois, plusieurs dizaines de personnes se rassemblent pour ses événements mensuels, avec la découverte de vins autour de diverses thématiques. «Nous avons une grande majorité d’étudiants à chaque fois. Nous essayons de déconstruire les idées préconçues, car beaucoup disent qu’ils n’aiment pas le vin ou qu’ils n’en boivent pas, ou peu, même s’ils font la démarche de venir le découvrir. Et souvent, quand ils goûtent, ils apprécient.»

Selon l’enquête «Comportements, bien-être et santé des élèves» du Service d’information promotion éducation santé (SIPES-ULB), près de 72% des élèves des 2e et 3e degrés du secondaire déclaraient ainsi ne jamais consommer de vin en 2022. Un taux nettement supérieur à celui observé pour la bière, les autres boissons alcoolisées, les mélanges de soda avec alcool ou les alcools forts, que seul environ un élève sur deux évitait complètement.

«J’en parle souvent avec mes trois garçons de 23, 20 et 16 ans: les jeunes générations boivent moins de vin qu’avant», constate Hubert Ewbank, directeur général du Chant d’Eole, le plus grand domaine viticole de Belgique. Une tendance qui s’inscrit dans un contexte plus général où les jeunes consomment moins d’alcool, et différemment, que leurs aînés au même âge.

«Les nouvelles manières de faire la fête, plus intragénérationnelles, l’influence des médias culturels (musique, cinéma, séries…) et la dénormalisation plus générale de la consommation de vin au quotidien font que les jeunes ont plutôt adopté des conduites d’alcoolisation historiquement anglo-saxonnes et vont se tourner vers des bières ou des alcools forts», analyse Nicolas Palierne, sociologue spécialisé dans l’étude de l’alcoolodépendance. «Ils stigmatisent aussi la consommation quotidienne d’alcool, mais une conduite d’ivresse en fin de semaine peut au contraire paraître normale pour une partie de la jeunesse, qu’il s’agisse d’alcoolisation ponctuelle importante ou de binge-drinking, qu’on a beaucoup pointé du doigt il y a une dizaine ou une vingtaine d’années.» Dans le cas où il faut être rapidement alcoolisé en buvant beaucoup dans un laps de temps très court, le vin fait alors rarement l’unanimité. «La bière reste plus conviviale en groupe et se boit plus facilement. Pour faire un ‘affond’, personne ne prendra du vin», concède Thiago.

Pour le secteur, il s’agit de se réinventer avec des vins plus accessibles, notamment financièrement.

«Dérive fâcheuse»

«Le rapport « qualité-cuite » est moins intéressant avec le vin», plaisante Hoa, président de l’Association Inter-Cercles de l’ULB. Pourtant grand amateur de vin, l’étudiant souligne que les clichés qui collent à cette boisson ont parfois, à tort, la vie dure auprès de certaines personnes de sa génération: «Pour beaucoup, cela reste élitiste et cher et l’inflation n’a pas épargné les jeunes. Le goût fera aussi moins l’unanimité, notamment l’amertume de certains rouges.» «On peut avoir l’impression que le vin est réservé aux personnes plus aisées, plus âgées et plus expérimentées», avoue Barbara Hoornaert, sommelière à la tête du bar à vin Bab’s, à Schaerbeek, où elle ne voit «quasiment jamais» de personnes de moins de 25 ans. «Le vin, c’est un peu l’inconnu au début. Les jeunes ont peur de ne pas utiliser les bons termes ou de ne pas bien décrire ce qu’ils veulent. Ils peuvent se retrouver perdus devant la palette aromatique, alors qu’elle est aussi très variée avec la bière. Le côté cérémonial peut également impressionner: ouvrir une bouteille de vin avec un bouchon de liège, ce n’est pas un geste habituel.»

Le vin serait-il perçu comme une «boisson de vieux», trop complexe à appréhender pour les jeunes générations? Pour le géographe Jean-Robert Pitte, ancien président de l’Académie du vin de France et spécialiste de la gastronomie, cela ne fait pas de doute: «Le vin est souvent associé aux parents ou aux grands-parents, il y a une espèce de ringardisation de celui-ci», se désole-t-il devant cette «dérive fâcheuse», soulignant que les producteurs français ont surtout «travaillé leur image à l’étranger ces dernières années, pour exporter leurs produits», quitte à se couper d’une partie des consommateurs locaux. «Une partie des jeunes adultes ont aussi des préoccupations plus progressistes et écologiques lorsqu’ils consomment du vin, qui est beaucoup associé aux pesticides, par exemple», ajoute le sociologue Nicolas Palierne pour tenter d’expliquer ces nouvelles manières de le consommer, ou non.

S’adapter à la société

Le vin nature, dont l’essor a été accéléré par l’arrivée d’une nouvelle génération de viticulteurs ces 20 dernières années, séduit ainsi de plus en plus et symbolise cette nouvelle manière de consommer. A l’instar du vin en canette, du vin désalcoolisé ou du «pet-nat» (vin effervescent élaboré sans ajout de sucres ou de levures et plus artisanal que le champagne), cela s’inscrit dans une recherche de «formats» plus ludiques, adaptés à la société actuelle, avec des pratiques perçues comme plus responsables. Dans cette logique apparaissent également les «vins de soif», faciles à boire, frais et légers, qui n’ont pas besoin de vieillir dans une cave et pouvant être conditionnés avec des bouchons métalliques, pour une ouverture rapide et sans cérémonial.

Car c’est là tout le défi qui se pose aux professionnels du secteur: tenter de se réinventer, d’une certaine façon, en proposant des vins plus accessibles, notamment financièrement. Ou en misant sur une autre façon de communiquer, par exemple sur les réseaux sociaux (en respectant la législation à ce sujet), pour séduire une génération «qui vise une expérience différente» avec le produit de la vigne, comme le note Hubert Ewbank, également membre du conseil d’administration de l’Association des vignerons de Wallonie. «Nous cherchons à créer des émotions, avec de nombreux événements au domaine en ce sens, comme des concerts. Il faut innover, avancer, ne pas rester sur ses acquis.» Il faudra au moins cela pour offrir au vin une seconde jeunesse et dépasser les clichés.

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