Poppers
Du poppers en vente dans les bureaux de tabac. © PHOTOPQR/LE TELEGRAMME/MAXPPP

Le poppers retrouve de l’intérêt: «C’est comme si mon cerveau se rétracte sur lui-même»

Sylvain Anciaux

Débarqué dans les soirées «olé-olé» de la communauté gay dans les années 70, le poppers revient sur le devant de la scène et dans les narines. Analyse d’un flacon moins fun qu’il n’y paraît.

Cela faisait des années que Liza (prénom d’emprunt) n’avait plus touché une bouteille de poppers. «Mais ce soir-là, il y a trois semaines, j’étais en soirée où tout le monde était saoul ou défoncé. En ce moment, je prépare un marathon, donc je prends pas d’alcool, pas de tabac, pas de drogue», annonce celle qui approche la trentaine. Histoire de se mettre dans l’ambiance et de profiter un peu de sa soirée, elle accepte une bouteille de poppers qu’on lui tend. Le geste est moins violent que de craquer une cigarette, une pilule ou de rompre avec l’orthodoxie du sans-alcool. Il suffit de dévisser une petite bouteille, respirer les émanations qui en sortent quelques instants, et profiter d’un état euphorisant pour quelques secondes, quelques minutes maximum.

«C’était la première fois que j’en prenais sobre, se souvient Liza. La bouffée euphorisante était plus modérée que d’habitude, peut-être car je flippais un peu. L’effet a duré 30 secondes, cela donne une impression de bouffée de chaleur, et puis après, c’était un peu comme si mon cerveau se rétractait. Le lendemain, j’avais comme une gueule de bois monumentale, il me semble même avoir pris un Ibuprofen pour calmer mon mal de crâne.»

Le poppers, un invité des soirées «chemsex»

C’est que le produit n’est pas des plus naturels, loin de là. Souvent assimilé à du dissolvant, le poppers est en réalité du nitrite d’amyle, un produit initialement utilisé afin de soigner des maladies cardiaques. Il a débarqué dans les années 70 principalement dans la communauté gay, le poppers permettant d’exacerber la sensualité, de prolonger l’érection, et de détendre certains muscles pour faciliter la pénétration. «Le nitrite d’amyle a pour effet de dilater les vaisseaux sanguins, et donc d’amener plus de sang et d’oxygène au cerveau, ce qui donne cet effet euphorisant et cette sensation de planer», décrit le Dr Deudon, médecin généraliste qui a travaillé sur les substances utilisées lors de relations intimes.

«Aujourd’hui, on constate que le poppers a rejoint d’autres cadres de consommation que les soirées « chemsex » (NDLR: des soirées à plusieurs mêlant sexe et drogues), pose Antoine Boucher, de l’ASBL Infor Drogues. On peut faire le parallèle avec le protoxyde d’azote dont on a beaucoup parlé ces derniers mois. Les effets sont courts, et l’usage que l’on en fait est généralement social.» Bien que constatant des utilisations plus récréatives du poppers, ni Infor Drogues, ni la multitude d’autres organisations questionnées ne dispose d’informations très précises sur le profil des usagers du poppers. Ceci dit, une enquête menée en 2023 par l’Observatoire de la Vie Etudiante laisse tout de même craindre un cocktail dangereux. Ces petits flacons sont reniflés par 5,4% des étudiants lorsqu’ils consomment de l’alcool. C’est le produit le plus consommé après le tabac (33,1%), les boissons énergisantes (17,9%), le cannabis (17,8%) et la cigarette électronique (15,8%).

«Il y a tout de même une contre-indication totale avec le viagra, alerte le Docteur Deudon. Les deux produits font baisser la tension, ce qui peut mener à des chutes de tension, voire un arrêt cardiaque.» Et de manière plus générale, le poppers est à proscrire si un autre produit impactant le cœur a été consommé, comme la vodka, les boissons énergisantes, la MDMA ou la cocaïne. Certains usagers de poppers se plaignent parfois d’avoir les narines irritées après avoir trop inhalé le produit corrosif. «En réalité, des irritations apparaissent quand il y a un contact avec le goulot de la bouteille s’il y reste du produit au moment de renifler.» Détail important, ajoute le professionnel de la santé: «il s’agit d’une substance extrêmement inflammable, je déconseille vraiment d’ouvrir une bouteille de poppers avec une cigarette en main».

L’odeur du marketing

Les revendeurs de poppers, en revanche, ont très bien dessiné leur public cible. Le poppers s’achète généralement dans les sex shops, parfois dans des magasins de nuit, et sûrement sur Internet. Là, les bouteilles ressemblent à ces petits shots colorés et sur-sucrés qu’on s’enfile à l’adolescence. «J’avais l’impression que c’était plus inoffensif que l’ecstasy, raconte Liza qui a découvert le poppers bien avant les pilules. Généralement les drogues dures font peur, le poppers a ce côté fun et convivial. C’est une consommation constante, comme un ecstasy, mais en très très court, et ça procure une joie très « nuageuse »».

Pour ce qui est de l’usage dans le cadre du «chemsex», le docteur Deudon constate une tranche d’âge assez large, de 16 à 50 ans. Les consommateurs «récréatifs» qui dévissent la bouteille en soirée techno ont, généralement, moins de 40 ans.

Le flacon seul s’achète généralement moins de 10 euros avec une promotion à 30 euros pour quatre, et ressemblent à des bouteilles de softs exotiques. Les noms laissent en revanche entendre un produit destiné aux adultes, en toute délicatesse bien sûr, avec «Le jus», «ma pupuce», ou encore «Iron fist no limit». Comme le protoxyde d’azote, l’interdiction de vente du produit a-t-elle pour autant un sens? «L’interdiction ne réduit pas la consommation», alerte Antoine Boucher d’Infor Drogues, qui appelle les politiques à ne pas réitérer «les législations faites sur un coin de table». Il conseille plutôt de commencer par une analyse du phénomène et de la prévention, l’ASBL Modus Vivendi a d’ailleurs pris le pli et prépare une publication sur le poppers d’ici peu.

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