Utilisé depuis des décennies dans l’industrie agroalimentaire, l’hexane est de nouveau pointé du doigt. Les autorités ont décidé de se pencher sur ce solvant, omniprésent dans l’alimentaire et dont la dangerosité pour la santé est régulièrement soulignée.
De l’essence dans nos assiettes. Dans son livre au titre évocateur, publié le 18 septembre, le journaliste français d’investigation Guillaume Coudray relance un sujet qui a fait régulièrement les gros titres ces dernières années: la présence d’hexane dans certains aliments. Dans la foulée, Greenpeace France a dévoilé une liste de plusieurs produits concernés.
Qu’est-ce que l’hexane et pourquoi en retrouve-t-on dans les assiettes?
L’hexane est un solvant chimique, un hydrocarbure dérivé du pétrole et assez proche du white spirit. A l’origine, il était notamment utilisé dans les raffineries, avant qu’une autre utilisation ne lui soit trouvée dans l’industrie agroalimentaire il y a plusieurs dizaines d’années, en raison notamment de son faible coût. L’hexane est ainsi utilisé pour extraire efficacement les huiles végétales des graines préalablement broyées comme le colza, le soja ou le tournesol.
De nombreux aliments du quotidien comportent des traces d’hexane, qui est incolore, mais aussi neutre en goût et à l’odorat. Si la majeure partie de ce solvant disparaît lors de la production d’huile, chauffée et raffinée, ce n’est pas toujours le cas dans sa totalité. «L’utilisation d’un solvant d’extraction peut avoir comme conséquence la présence, involontaire mais techniquement inévitable, de résidus ou de dérivés dans la denrée alimentaire ou l’ingrédient», explique l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca). L’Union européenne a posé un cadre légal autour de l’utilisation de l’hexane (interdit dans l’agriculture biologique) dans l’industrie alimentaire en 2009, limitant notamment sa présence à un mg/kg dans les huiles ou les produits transformés, et jusqu’à 30 mg/kg dans les produits dégraissés de soja.
En Belgique, un arrêté royal évoquant l’hexane date de 1991 et concerne les solvants d’extraction utilisés dans la fabrication des denrées alimentaires (autorisation, conditions, limites…). Modifié à plusieurs reprises depuis, il reprend et adapte les dispositions de la directive européenne dans le droit national, rendant ainsi légale l’utilisation de l’hexane dans l’agroalimentaire en Belgique également.
Il faut aussi savoir que la présence de l’hexane n’a pas à être précisée sur les étiquettes des produits, en raison du fait que cet «auxiliaire technologique» peut se retrouver de «façon non intentionnelle et sous forme de résidu techniquement inévitable», dans les produits finis, ajoute l’Afsca. C’est le cas pour tous les résidus d’auxiliaire ne présentant aucun risque sanitaire et n’ayant aucun effet technologique sur le produit selon les autorités, à l’instar de l’hexane donc.
L’hexane est-il dangereux pour la santé?
«Lorsqu’on a inventé cette technique (NDLR: d’extraction pour les huiles), on croyait que l’hexane était neutre, que c’était inoffensif, et que c’était stable. Il a fallu plusieurs décennies pour commencer à découvrir que ce n’était pas du tout le cas», a expliqué le journaliste Guillaume Coudray au JT de 20 h de France 2 le 16 septembre dernier. En Belgique, l’hexane, également utilisé dans diverses industries (chimique, pharmaceutique…), est néanmoins considéré comme un agent chimique dangereux: les employeurs doivent prendre des mesures spécifiques pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs, en limitant notamment leur exposition.
«Irritation cutanée, somnolence ou vertiges, susceptible de nuire à la fertilité, risque avéré d’effets graves pour les organes à la suite d’expositions répétées ou d’une exposition prolongée» et même possiblement «mortel en cas d’ingestion et de pénétration dans les voies respiratoires»: l’Institut national français de recherche et de sécurité (INRS) dresse de son côté un constat sans appel sur les risques sur la santé liés à l’hexane. Pour l’Echa (Agence européenne des Produits chimiques), l’hexane est un «neurotoxique avéré» pour l’être humain.
«L’hexane est classé comme cause de maladie professionnelle en France depuis 1973.»
Richard Ramos, député français
Dans un article publié en 2022 dans la revue Foods, et relayé par Libération, des chercheurs soulignent que, bien que l’hexane soit efficace pour extraire des huiles, ses effets possibles sur la santé humaine incitent à chercher des alternatives plus sûres. Ils citent notamment des effets sur le système immunitaire, le système nerveux avec des liens possibles avec la maladie de Parkinson, et la fertilité. «La toxicité de l’hexane a été découverte dans les années 1960 lorsque des ouvriers de la chaussure ont développé des polyneuropathies et d’autres maladies neurologiques. Il est classé comme cause de maladie professionnelle au moins en France (depuis février 1973), en Italie, en Allemagne, au Japon», a ainsi fait savoir le député français Richard Ramos (MoDem) dans une proposition de loi visant à demander son interdiction dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux en mars dernier.
Pour autant, il n’existe pas à l’heure actuelle d’étude sur les effets de l’ingestion d’hexane à faible dose sur l’homme, comme cela est le cas avec plusieurs aliments.
Dans quels aliments retrouve-t-on de l’hexane?
Huiles, beurres de cacao, biscuits, laits infantiles, volailles, compléments alimentaires pour femmes enceintes… L’hexane est utilisé dans le processus de production de nombreux produits de notre quotidien et des résidus peuvent être alors présents. Dans une enquête sur ce «scandale sanitaire silencieux», Greenpeace France explique que l’analyse de 56 produits de marques variées a révélé la présence de résidus d’hexane dans 36 d’entre eux. Sont concernés plusieurs huiles (Lesieur, Carrefour), du beurre (Président, Elle & Vire), des cuisses de poulet, du lait infantile (Gallia, Blédina) ou encore du lait demi-écrémé (Lactel, marque repère de Leclerc): beaucoup de ces produits sont également disponibles à l’achat en Belgique.
Il faut toutefois noter qu’aucun de ces produits ne dépasse le seuil légal autorisé d’hexane. «Même lorsque de l’hexane est détecté dans un produit, cela ne signifie pas pour autant que d’autres échantillons de ce produit en contiennent systématiquement, de même qu’il est possible que certains produits dans lesquels Greenpeace n’a pas détecté d’hexane puissent en contenir au sein d’un autre échantillon», fait aussi savoir l’ONG, qui s’en prend notamment au groupe Avril, géant de l’agroalimentaire possédant les marques Lesieur ou Puget. «Chez Avril, neuf graines sur dix sont transformées dans des usines utilisant de l’hexane», assure Greenpeace. Dans Le Monde, le groupe se défend en avançant ne pas dépasser les seuils autorisés dans ses produits finis. La Fédération nationale française des Industries de Corps Gras pointe du doigt l’étude, qui n’obéit pas aux critères appliqués par les autorités sanitaires et qui a été menée par un laboratoire non accrédité par des organismes officiels. «Il n’y a aucune alerte sanitaire concernant l’hexane. Dire qu’il y a du pétrole dans les assiettes est complètement faux. L’hexane est éliminé, il n’est plus présent dans les produits mis à la consommation, si ce n’est sous forme de traces résiduelles», selon le porte-parole de la fédération.
Quelle est l’attitude des autorités concernant l’hexane?
Face aux multiples alertes, les autorités européennes n’ont pas eu d’autre choix que de se pencher sur le dossier. «En 2024, nous avons conclu une évaluation sur la nécessité de réévaluer la sécurité de l’utilisation de l’hexane technique comme solvant d’extraction. Nos scientifiques ont indiqué que cette réévaluation devrait prendre en compte les informations relatives à la composition de l’hexane, à ses utilisations réelles et à ses résidus dans les aliments. Nous avons récemment lancé cette réévaluation, en tenant compte de l’exposition orale aux résidus d’hexane par toutes les sources alimentaires», fait savoir l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
L’objectif, précise l’Afsca, est de «redéfinir les seuils autorisés, en prenant en compte de nouvelles méthodes de détection et les expositions cumulées, particulièrement chez les enfants et les nourrissons». Il faut dire que les seuils en vigueur actuellement se basent sur une étude effectuée… sur des rats en 1996. Les conclusions sont attendues fin 2027. D’ici là, le suivi reste consultable en ligne. Faute d’alternative aussi performante et rentable, les industriels continueront d’utiliser l’hexane dans le cadre légal actuel.