En période de forte chaleur, le littoral belge peine à absorber l’afflux touristique. Une problématique qui risque de s’accentuer avec la multiplication des épisodes de canicule. Certains bourgmestres n’hésitent pas à imposer des restrictions, dont les «excursionnistes» sont souvent la cible.
30 degrés en Ardennes, 34 en Campine et… 23 à la Côte. Alors que la Belgique suffoque, un vent de fraîcheur souffle sur le littoral en ce début de week-end. Sans surprise, les touristes répondent en masse à l’appel iodé des stations balnéaires, prises d’assaut depuis le début du pic de chaleur.
Pour réguler cet afflux touristique, la SNCB augmentera son offre de trains à destination d’Ostende et de Blankenberge samedi et dimanche. La commune de Knokke-Heist, elle, a préféré anticipé en activant son plan «chaleur et mobilité» dès jeudi. L’accès au centre-ville en voiture y est ainsi interdit entre 12h30 et 17h aux non-résidents, qui sont invités à se garer sur des parkings de délestage à trois kilomètres des plages. Une première sur le territoire flandrien. «Dès qu’il fait plus de 28 degrés à l’intérieur du pays, on voit affluer quelque 40.000 personnes en quête de fraîcheur, contextualise la bourgmestre Cathy Coudyser (N-VA). Or, environ 70% de ces touristes d’un jour viennent en voiture. Il est donc indispensable de réguler la circulation pour éviter les embouteillages et les problèmes de stationnement.»
Un succès continu
Le cas knokkois pourrait inspirer d’autres communes côtières, assaillies de touristes d’un jour dès le retour d’une météo clémente. Alors qu’environ 40% de la population belge réalise moins d’un long séjour touristique (quatre nuitées ou plus) par an, les excursions à la Côte rencontrent toujours un franc succès. En 2023, les stations balnéaires avaient ainsi comptabilisé un total de 17,9 millions de visiteurs d’un jour, selon Westtoer, l’office de tourisme de Flandre-Occidentale. Un attrait qui devrait s’amplifier avec le réchauffement climatique. «Dans un contexte où les épisodes de chaleur et les pics de températures élevées risquent de se multiplier, ces zones de proximité avec la fraîcheur et l’eau risquent d’être soumises à une fréquentation plus importante», estime Jean-Michel Decroly, professeur de géographie et de tourisme à l’ULB.
Avec des répercussions non négligables sur la tranquillité des locaux. Outre les embarras de mobilité, l’afflux de vacanciers engendre également nuisances sonores et amas de déchets. Les services de propreté de Blankenberge en avaient fait les frais après la forte affluence du 1er mai. Du personnel supplémentaire avait dû être rappelé en renfort pour nettoyer des montagnes de détritus. Des épisodes qui rappellent également les débordements de l’été 2020, où les restrictions de voyage liées à la pandémie de Covid avaient conduit de nombreux Belges à se rabattre sur la Côte pour changer d’air, conduisant à une saturation de certaines plages et à des bagarres localisées. Dans la foulée, les communes de Knokke et de Blankenberge avaient tout bonnement refusé l’accès à leur territoire aux touristes d’un jour. Une mesure qui avait suscité de vives critiques.
Des motivations économiques
«Ce qui est très frappant dans la gestion des flux de lieux à forte fréquentation touristique, c’est que les premiers visés par les restrictions sont toujours les touristes d’un jour», observe Jean-Michel Decroly. A Venise, par exemple, une taxe a été instaurée pour les vacanciers de passage durant moins de 24 heures. Un choix souvent motivé par des raisons financières. «Les touristes en séjour prolongé ont un apport économique par journée de présence plus important que les excursionnistes, indique le professeur de l’ULB. D’abord, car ils louent un appartement ou une chambre d’hôtel. Mais de nombreuses études montrent également qu’ils dépensent généralement davantage dans la restauration et les commerces.»
Un argument économique qui va également de pair avec d’autres motivations moins assumées. «A Knokke, les touristes d’un jour sont parfois perçus comme des personnes à l’origine sociale plus modeste, ou de communautés issues de l’immigration, analyse Jean-Michel Decroly. Une image qui ne colle pas avec le public que vise cette station balnéaire historiquement huppée, et qui le reste. A mon sens, c’est une forme de discrimination qui ne dit pas son nom.»
Se pose alors une question: quels dispositifs mettre en place qui ne soient pas discriminants, mais qui soient toutefois capables de limiter les désagréments pour les locaux? «C’est une équation difficile à résoudre», concède Jean-Michel Decroly, qui rappelle que, pour les bourgmestres, la priorité sera toujours d’être attentifs aux plaintes de la population résidente, la seule à mettre un bulletin dans l’urne.
37.800 emplois
Autre difficulté: comment réguler l’accès aux stations balnéaires sans totalement plomber l’attrait touristique de ces destinations? Car, au-delà des potentielles nuisances, les touristes (même d’un jour) sont sources d’importantes retombées économiques. A la Côte, les vacanciers d’une journée ont dépensé pour plus de 955 millions d’euros en 2023, selon les données de Westtoer. Un chiffre qui grimpe à 3,6 milliards d’euros tous types de touristes confondus (excursions, séjours avec nuitée(s) ou résidents secondaires). Logiquement, ces activités créent aussi de l’emploi: quelques 37.800 personnes œuvrent dans le secteur touristique au littoral.
Les restrictions imposées par certaines stations balnéaires sont donc vues d’un mauvais œil par le secteur. «Il faut rappeler que la Côte, c’est plus de 67 kilomètres de plages, avec énormément d’espace pour tout le monde, insiste Michelle Martens, porte-parole de Westtoer. Le littoral est assez large pour accueillir tous les touristes, qu’ils soient là pour un ou plusieurs jours.» L’office du tourisme rappelle que les journées de grosse affluence restent rares. «Les jours où on comptabilise entre 150.000 et 200.000 touristes se limitent à environ dix par an», confirme Michelle Martens.
De son côté, la bourgmestre de Knokke rassure. Outre le pan «chaleur et mobilité», aucune autre restriction ne devrait voir le jour dans les semaines à venir. «La priorité, c’est de réguler la circulation, insiste la nationaliste flamande. Pour le reste, tous les touristes sont les bienvenus à Knokke, pour autant qu’ils respectent les commerçants, les policiers ainsi que les valeurs de la ville.»