Quelque 4 à 5% du personnel de la FGTB devraient être touchés. © Anadolu via Getty Images

La réforme du chômage, un coup dur pour les syndicats? Pourquoi ils sont touchés, mais pas coulés

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’exclusion annoncée de dizaines de milliers de chômeurs aura des conséquences sur le travail des syndicats, leur organisation et leurs finances. Désagréables mais possibles à digérer, disent-ils.

«Je ne pense pas que le premier objectif du gouvernement fédéral soit de nuire aux organisations syndicales, mais si l’exclusion du chômage de milliers de personnes pouvait avoir cet effet-là, ça l’arrangerait sans doute.» Olivier Valentin, secrétaire national de la CGSLB, le syndicat libéral, résume parfaitement l’impression laissée sur les bancs syndicaux par les réformes en matière de chômage annoncées par l’équipe De Wever. «Ces mesures ne nous affaibliront pas, le gouvernement méconnaît notre rôle, ajoute-t-il. Mais on n’a jamais vu un changement de statut aussi fort frapper autant de gens en aussi peu de temps.» A la CSC, on ne dit rien d’autre: «Ces mesures constituent des attaques claires de la part de certains partis de l’Arizona contre les syndicats», affirme sa secrétaire générale Marie-Hélène Ska.

Double peine?

Si les syndicats risquent de sentir passer le vent du boulet gouvernemental, c’est à double titre. Comme la Capac, la Caisse auxiliaire (publique) de paiement des allocations de chômage, la CSC, la FGTB et la CGSLB assurent en effet la même mission auprès de leurs affiliés. Dès lors que des demandeurs d’emploi, soit de longue durée, soit bénéficiaires d’allocations de réinsertion, seront exclus à partir de janvier prochain, les syndicats n’auront plus à les payer. De ce strict point de vue de payeurs, ils auront donc moins de travail. Mais c’est à nuancer, comme on le verra plus loin. Ensuite, les exclus risquent fortement de cesser le versement de leur cotisation syndicale, leurs moyens financiers étant plus limités. Les mesures de réforme du chômage pourraient donc représenter une double peine pour les syndicats…

Le paiement des allocations de chômage ne représente que 15% à 20% des activités d’un service chômage.

L’an dernier, l’Onem a versé 5,9 milliards d’euros aux quatre organismes de paiement recensés. Sur ce total, 44,8% ont été attribués à la FGTB pour le paiement des allocations, 35% à la CSC, 7% à la CGSLB et 13% à la Capac. Cet argent a été alloué, toujours en 2024, à 1.249.673 personnes, dont un bon tiers de demandeurs d’emploi complets indemnisés, un quart en chômage temporaire, un autre gros quart en interruption de travail (crédits-temps, congés thématiques). S’y ajoutent encore des travailleurs à temps partiel et d’autres, dispensés pour formation.

Pour accompagner tous ces bénéficiaires, l’Onem verse par ailleurs des frais d’administration aux organismes de paiement. Cette indemnité est calculée en fonction du nombre de «cas» pris en charge par chacun d’eux, c’est-à-dire le nombre de demandes de paiement introduites chaque mois pour un chômeur. Un même bénéficiaire peut en effet enregistrer plusieurs petits contrats successifs dans le même mois et solliciter plusieurs fois des allocations pour ces périodes de chômage glissées entre ses moments d’occupation professionnelle. Selon ce décompte, la FGTB perçoit 84,6 millions d’euros de frais d’administration pour 2.701.021 cas (44%), la CSC, 69,4 millions (2.215.630 cas, soit 36%), la CGSLB, 15,6 millions (438.933 cas ou 7%) et la Capac, 49,6 millions (766.410 cas, 12%). Si l’on calcule le rapport entre les frais d’administration perçus et le nombre de cas traités, les trois organisations syndicales reçoivent entre 31 et 35 euros par cas. La Capac, en revanche, encaisse le double par cas traité, soit 64,8 euros.

Trop tôt pour mesurer

Entre janvier 2026 et juillet 2027, quelque 184.463 personnes seront exclues du chômage. Quel en sera l’incidence sur les finances des syndicats, leur organisation et le volume de leur personnel? «Il sera limité, assure Thierry Bodson, président de la FGTB. Notamment parce que les exclusions se dérouleront sur deux ans, ce qui nous permet d’absorber le choc sur notre volume d’emploi.» Concrètement, quelque 4% à 5% du personnel de la FGTB devraient être touchés. Certains salariés quittant le syndicat ne seront pas remplacés. Il est peu ou pas question de licenciements. En revanche, «les décisions gouvernementales pourraient nous amener à fermer un bureau ou l’autre», concède Thierry Bodson. La FGTB dispose, par exemple, d’antennes à Waremme, Seraing, Herstal et Huy en plus du bureau central de Liège. Il est possible que l’une d’elles doive fermer.

La portée des décisions gouvernementales devrait aussi être réduite dès lors que le paiement des allocations ne constitue que 15% à 20% des activités d’un service chômage. Le reste du temps est consacré à l’accompagnement des affiliés, notamment administratif, et à la constante mise à jour de leur dossier. Ensuite, les futurs exclus sont uniquement des chômeurs à temps complet. Le paiement du chômage temporaire, des prépensions et des compléments à temps partiel, qui pèsent environ 40% de l’activité du service chômage de la FGTB, se poursuivra, lui, comme auparavant. Il n’y a donc pas de raison pour que ceux qui bénéficient de ces services cessent de verser leur cotisation mensuelle.

«Je ne peux pas ne pas penser que cette mesure affaiblit les syndicats, analyse Thierry Bodson. On perdra des affiliés, parce que les exclus ne pourront plus se permettre de payer leur cotisation. Si on en perd 50.000 sur 1,5 million, c’est désagréable mais pas invivable. On voit bien que cette décision gouvernementale est de principe et inefficace. Dire que l’on va transférer tous les paiements d’allocations à la Capac vise à faire mal aux syndicats.» Cela coûterait en outre deux fois plus cher à l’Etat. Et la Capac ne pourrait seule assumer la masse de travail.

Une analyse partagée par la CSC, qui verrait théoriquement 39.776 de ses affiliés être exclus, sur environ 1,5 million. «Soit quelque 3%, précise Marie-Hélène Ska. Cela aura une influence sur notre travail puisque, à terme, nous aurons besoin de moins de personnel pour assurer ces missions.»

«Si on perd 50.000 affiliés sur 1,5 million, c’est désagréable mais pas invivable.»

Du côté du syndicat chrétien, plusieurs scénarios ont été élaborés, selon que les demandeurs d’emploi exclus restent ou non affiliés et dans quelle proportion. Mais sans savoir si de nouvelles affiliations, liées à de possibles licenciements dans le tissu économique belge, interviendront parallèlement, ni à quelle hauteur. «On n’a jamais connu une telle situation, relève la secrétaire générale du syndicat chrétien. C’est d’autant plus difficile à prévoir que la situation est dynamique sur le marché de l’emploi et que la situation économique est très instable. Le chômage augmente à nouveau mais dans le même temps, des exclusions se produisent. Ça rend les adaptations complexes. Il faut sans cesse adapter la voilure.» La nécessité d’un éventuel remplacement est donc analysée en profondeur lorsqu’un membre du syndicat quitte la maison. Pour l’heure, aucun licenciement n’est envisagé. Mais l’une ou l’autre antenne décentralisée pourrait fermer.

A la CGSLB, la même réflexion est en cours, y compris sur la reconversion de certains salariés, désormais excédentaires, à d’autres postes. Même si on estime qu’il est trop tôt pour mesurer de manière précise l’effet des mesures gouvernementales. «Quelque 5% à 6% de nos affiliés seront touchés par cette exclusion du chômage, évalue Olivier Valentin. Mais seuls 10% de nos affiliés sont des chômeurs. Nous continuons donc à assurer l’essentiel de nos activités syndicales au bénéfice des travailleurs actifs. On ne se sent pas mis en péril, loin de là: le nombre d’actifs affiliés chez nous progresse. Nous ne faisons pas que payer les demandeurs d’emploi, ce qui nous permettra d’absorber plus facilement le départ probable de nos affiliés exclus. Il y aura certainement un contrecoup financier, mais il sera limité et amorti.»

Quoi qu’il en soit, affirmer que les organisations syndicales s’enrichissent systématiquement grâce au paiement des allocations de chômage est incorrect. Le coût de fonctionnement pour ce service n’est pas couvert actuellement par les subsides de l’Onem, assure la CSC. «Il est toutefois difficile de communiquer des chiffres précis car les dotations Onem sont clôturées avec deux ans de retard, après vérification de chaque dossier. Or, la variation du nombre de demandeurs d’emploi peut être grande sur la période.»

A la FGTB, on indique que, lorsque les subsides d’administration de l’Onem sont insuffisants, c’est, selon les années, de l’ordre de 1% à 4% du coût qui n’est pas couvert. Il est donc déjà arrivé que la caisse syndicale doive éponger les pertes opérationnelles du service chômage. Ainsi, le rapport de l’Onem de 2022 épinglait une perte de trois euros par dossier traité pour les syndicats. Un constat négatif déjà observé en 2010, en 2018 et en 2019. En 2020, en revanche, année particulière puisque marquée par le Covid, les syndicats avaient gagné environ 1,33 euro par cas traité. A cette exception près, «le paiement des allocations de chômage n’est pas bénéficiaire depuis dix ans, rappelle Thierry Bodson. La formule de nos frais n’est pas adaptée à l’évolution du chômage ni du coût de la vie.»

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