Matcha. L’engouement autour de la poudre de thé japonaise, alimenté par les réseaux sociaux, touche en particulier les plus jeunes. Mais qu’y a-t-il dans un matcha pour qu’il ait un tel succès? Décryptage.

La folie du matcha: pourquoi ils sont tous fous de ce thé vert japonais

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

L’engouement autour de la poudre de thé japonaise, alimenté par les réseaux sociaux, touche en particulier les plus jeunes. Mais qu’y a-t-il dans un matcha pour qu’il ait un tel succès? Décryptage.

Rue Van Eyck, à Ixelles, entre l’abbaye de la Cambre et le quartier du Châtelain. Elles sont trois, venues chercher à l’heure de midi leur petit bout de Japon chez Wayne Café. Ouverte en janvier, l’enseigne ne désemplit pas. «On adore!» s’enthousiasme Audrey, 21 ans, interrompue par le cri de Celia, membre du trio: «Ils ont un matcha frappé. C’est une tuerie!» Ses copines acquiescent.

Elles sont les dignes représentantes de ces consommateurs de plus en plus nombreux à raffoler du matcha, cette poudre verte au goût légèrement amer, produite à base de thé vert et utilisée traditionnellement pour la cérémonie du thé au Japon. Il est désormais partout. Sur les cartes des cafés, dans les commerces de boissons à emporter, les magasins spécialisés en thé, chez les pâtissiers, et même dans certaines grandes surfaces. De plus en plus de lieux infusent le matcha dans leurs boissons: en version végétale et sans lactose chez Seven, décliné sur tous les tons chez Karma Matcha ou mélangé à une boisson lactée fermentée à la pêche blanche chez Kafei. Comme cette poudre se mélange facilement à n’importe quel ingrédient culinaire, on la retrouve aussi dans de nombreuses préparations culinaires –bonbons, glaces, crêpes, gâteaux, cookies et milk-shakes.

L’engouement pour le matcha est général depuis la fin 2024. La déferlante est arrivée par les réseaux sociaux. Sur Instagram, le hashtag #matcha compte 8,6 millions de publications; sur TikTok, il comptabilise 15 milliards de vue. Au point de faire peser un risque de pénurie sur le marché mondial. La consommation double, triple ou quadruple partout. Ainsi, The Economist, la production tencha (le thé brut utilisé pour fabriquer le matcha) a triplé entre 2012 et 2023 pour passer de 1.430 tonnes à 4.176. Mais, entre 2023 et 2024, les ventes quotidiennes de matcha ont été multipliées par cinq. Et la fureur n’est pas près de s’arrêter. Le marché mondial, qui croît de 33% par an, devrait encore bondir de 53% d’ici à 2030, selon les prévisions du cabinet de conseil Business Research Compagny, relayées par l’hebdomadaire britannique.

Une sorte de produit totem

Mais comment expliquer une telle frénésie hors d’Asie? Sur les réseaux sociaux, le matcha est vanté comme une alternative saine au café et paré de toutes les vertus. Un peu plus calorique (60 calories environ) que le traditionnel thé, il serait bourré d’antioxydants –comme tous les thés verts, mais en plus grande quantité. Ses propriétés préserveraient du vieillissement cellulaire et contribueraient à faire baisser le taux de mauvais cholestérol. Ce n’est pas tout: le matcha est aussi riche en vitamines et source de fer. Bref, un superaliment, une sorte de produit totem. Ce qui ferait son tabac.

Mais le matcha, c’est d’abord visuellement très attirant et hautement photogénique. Son esthétique et sa couleur vert pelouse lui assurent une puissance virale sur Instagram et sur TikTok. «Le produit est déclinable à l’infini, à l’instar de l’avocat et de la pistache», affirme Marie-Laure Hustache, consultante en communication, spécialiste en consommation alimentaire. Une couleur qui évoque aussi les aspirations actuelles: l’écologie, l’alimentation saine, l’un des plus importants vecteurs de la santé.

Ensuite, son succès est surtout porté par la génération Z et les milléniaux, qui boivent moins de café que leurs aînés, passent plus de temps sur les réseaux et se préoccupent de leur santé. Alors que leurs parents consomment du café ou du thé, eux préfèrent le matcha. Pour Marie-Laure Hustache, ce goût symbolise une distinction générationnelle. «Le matcha, à l’instar d’anciennes pratiques, permet à la nouvelle génération de se différencier avec quelque chose que leurs grands-parents ou parents n’ont pas connu.»

Le thé séduit en particulier les jeunes femmes entre 15 et 30 ans. Il est devenu l’emblème des clean girls, ces jeunes filles obsédées par la texture de leur peau, leur corps, qu’elles entretiennent à grand renfort de skincare coréenne, mais aussi par les critères esthétiques à la mode –vêtements minimalistes mais calculés, dont les couleurs sont neutres. Chez les clean girls, la tendance à préparer soi-même son matcha au moyen de la poudre de thé et d’un fouet en bambou, puis servi dans une jolie tasse, a créé une explosion de la demande, ces six derniers mois. En juin, la récolte de 2025 n’était pas encore prête et les stocks de 2024 étaient déjà épuisés, entraînant une pénurie mondiale.

«Le matcha, à l’instar d’anciennes pratiques, permet à la nouvelle génération de se différencier avec quelque chose que leurs grands-parents ou parents n’ont pas connu.»

«Latte», façon cappuccino

Le matcha version Instagram n’a rien à voir avec une cérémonie du thé japonais. Il se boit selon de nouveaux rituels urbains. Le premier consiste à promener ce liquide vert dans un gros gobelet en plastique épais brandi fièrement devant soi sur les photos. Autre rituel: la tasse de matcha décorée d’une mousse blanche en forme d’arbre ou de cœur. L’essentiel de la consommation de matcha en Occident se compose de matcha latte aromatisés, façon cappuccino, extrêmement sucrés, ruinant en grande partie ses bienfaits. Sans compter son prix: autour de 7,50 euros, en moyenne, une tasse de thé matcha, alors qu’il faut deux grammes pour la réaliser. Au kilo, le matcha s’achète entre 130 et 200 euros, en moyenne. Ensuite, ça monte crescendo en fonction de la gamme de qualité. Il peut atteindre les 300 à 500 euros le kilo. Un prix qui contribue à son image de «produit de niche», selon Marie-Laure Hustache.

Une demande qui augmente, une offre qui ne suit pas, un produit de plus en plus rare. Inévitablement, les prix menacent de flamber et se répercuter mécaniquement dans la tasse. Tout cela conduira-t-il à détourner la génération Z de son breuvage favori? Marie-Laure Hustache estime qu’«avec son esthétique soignée et ses promesses de bien-être, le matcha semble prêt à s’installer durablement dans le quotidien des jeunes». Et parce qu’acheter du matcha, c’est comme s’offrir le petit portefeuille d’une marque de luxe parce qu’ils ne peuvent pas se payer le reste.

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