Du moustique aux toilettes, en passant par le yoga ou les victimes du terrorisme: chaque jour du calendrier possède désormais sa Journée mondiale. Trop c’est trop? Mais face à cette inflation commémorative, une question s’impose: trop de Journées mondiales ne finissent-elles pas par tuer les Journées?
Le moustique a droit à sa Journée mondiale tous les 20 août, et plus précisément la découverte, en 1897, par Sir Ronald Ross, du fait que les femelles de cette espèce sont responsables de la transmission du paludisme. Ce 21 août, la société rend hommage aux victimes du terrorisme, et le jour d’après, ce sera au tour des victimes de violence en raison de leur religion ou de leurs convictions.
A chaque date du calendrier, sa Journée internationale, sa commémoration, son hommage. Si certaines Journées semblent plus insolites que d’autres –la Journée mondiale des toilettes, du yoga ou encore des astéroïdes–, toutes sont établies dans un même but: «Aborder des aspects essentiels de la vie humaine, des enjeux importants du monde ou de l’histoire et à sensibiliser le public», indique l’ONU sur son site. Les Nations Unies sont à l’origine de pas moins de 218 Journées et onze Semaines mondiales réparties sur l’année. Ses Etats membres peuvent proposer la création d’une Journée, qui fait ensuite l’objet d’un vote à l’Assemblée générale. Certaines d’entre elles sont choisies par ses divisions spécialisées (Unesco, OMS, FAO…).
Parallèlement, des centaines d’autres Journées existent par le biais de particuliers (comme celle du moustique lancée par Ronald Ross lui-même) ou d’associations (celle contre l’interdiction des vols de nuit a été initiée en 2024 par plusieurs collectifs qui luttent contre les nuisances sonores liées aux avions).
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Surchauffe commémorative
Au total, pas moins de 700 Journées commémoratives sont dénombrées, soit bien plus que le nombre de jours dans le calendrier. Dans cette vaste soupe d’hommages quotidiens, gare au risque de «surchauffe commémorative». Pour Philippe Marion, professeur émérite de l’Ecole de communication de l’UCLouvain et auteur de plusieurs ouvrages, «trop de commémoration tue la commémoration», à l’instar de «trop de pub tue la pub».
«Si des gens dans une même pièce gesticulent pour essayer de vendre leurs fruits, il y a un effet de neutralisation, de saturation, de banalisation. C’est pareil pour les Journées commémoratives», illustre-t-il. Pour le professeur, il existe une forme de «discrédit par démultiplication» qu’il compare aux saints du calendrier: «Qui se soucie encore qu’aujourd’hui soit la Saint-Germain? Ce remplissage est devenu une banalité.» Et d’ajouter: «La commémoration doit pourtant avoir ce caractère spécial, particulier. Si elle est multipliée, elle risque d’être galvaudée et de perdre sa crédibilité.»
Outre cette banalisation par saturation, le professeur émet une seconde crainte: que la commémoration, dans son caractère unique, agisse comme un «somnifère social», «parce qu’elle empêche de regarder les vrais problèmes, de les affronter, avec pour effet, l’endormissement, la léthargie d’une société tournée vers le passé». Avec l’effet de surchauffe, Philippe Marion évoque pourtant une réaction inverse: «Une prise de conscience négative, voire le soupçon d’une forme de manipulation orchestrée par une autorité, avec donc un risque de rejet.»
Bénéfice social
Pour autant, certaines Journées obtiennent plus de retentissement médiatique que d’autres. «Ainsi, la lutte pour les droits des femmes s’est imposée comme une évidence au moment où la société prenait conscience du mépris dont elles avaient longtemps été victimes et de leur manque de visibilité dans l’espace public. Porté par une mobilisation croissante et amplifié par les médias, ce mouvement a trouvé une résonance particulière», expose le professeur qui loue «un bénéfice social» propre aux commémorations. «C’est dans ces moments que la société prend le temps de mettre de côté ses problèmes, les conflits, pour célébrer collectivement.» Philippe Marion parle de «lubrifiant social» et de «vertu d’apaisement». Et de citer Daniel Dayan, chercheur au CNRS et auteur du livre La Télévision cérémonielle (PUF, 1998): «La grande erreur est de considérer que ces grands événements qui mobilisent les gens, comme les commémorations, ou les mariages des rois, etc., sont insignifiants. Au contraire, ce sont des moments d’apaisement, de halte, où la société prend le temps de vivre ensemble et de dire qui elle est. Et ça, ça n’a pas de prix.»
A la question, faudrait-il réduire le nombre de Journées mondiales, le professeur se montre nuancé: «Il en faut, car elles apportent de la cohésion et participent à la mémoire collective. Mais sans tomber dans l’excès.» Et de conclure: «Il faut une stratégie non pas de remplissage, mais de choix sélectif. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire, mais il est important de résister à la tentation du “une journée, une commémoration”, qui finit par banaliser l’ensemble.»