
Guide de la fête pour les timides et les introvertis: comment survivre en soirée
Les fêtes peuvent avoir tendance à angoisser. Et pourtant, même les personnes timides et introverties peuvent en profiter, selon Eva Asselmann, professeure de psychologie différentielle et de la personnalité à l’université de Potsdam. Quelques conseils pour devenir un pro du small talk et ne plus subir sa timidité.
Madame Asselmann, vous décririez-vous comme une reine de la fête?
Eva Asselmann: Non, en réalité je suis plutôt quelqu’un d’introverti. J’aime beaucoup les fêtes, mais je reste en général à l’écart de la piste de danse et je discute plutôt dans un coin. Je préfère une ambiance plus posée, c’est pourquoi je privilégie les coulisses –ce qui est heureusement possible dans la plupart des fêtes.
Pourquoi les gens font-ils la fête, existe-t-il une explication en psychologie évolutionniste?
Nous sommes fondamentalement des êtres sociaux et ne pouvons survivre sans communauté. Nous sommes donc, par nature évolutive, conditionnés pour établir des liens et entretenir des relations interpersonnelles. Aujourd’hui, un adulte pourrait théoriquement vivre en marge de la société, mais la plupart ressentent néanmoins le besoin d’être intégrés socialement. Le deuxième facteur, c’est le désir naturel de plaisir et de joie. On souhaite simplement vivre de belles expériences qui procurent du plaisir. S’ajoute à cela le fait que, lors des fêtes, les structures hiérarchiques issues du monde professionnel ou de la société ont souvent moins d’importance –faire la fête peut créer du lien au-delà de ces barrières.
Pourtant, beaucoup de personnes ne trouvent guère de plaisir à faire la fête. Elles sont timides, évitent le small talk et les foules. Certaines souffrent même de ce statut de rabat-joie.
Deux facteurs jouent ici un rôle. Le premier est l’introversion: certaines personnes ont besoin de plus de temps pour elles-mêmes et préfèrent s’entourer d’un cercle restreint de proches. Pour elles, l’ambiance d’une fête est perçue comme bruyante et accablante. La surcharge sensorielle les stresse. Le deuxième facteur est l’anxiété sociale. Les personnes concernées sont timides et inhibées. Elles ont du mal à s’ouvrir dans des situations sociales inhabituelles et craignent d’être jugées par les autres ou de se ridiculiser. Bien que ces deux facteurs soient distincts, ils apparaissent souvent ensemble –les personnes anxieuses sur le plan social sont donc aussi, de manière générale, plus introverties.
Que peut-on faire contre cela?
Ceux qui, comme moi, sont plutôt introvertis peuvent simplement chercher des coins tranquilles lors des fêtes et essayer d’échapper un peu à la foule et à la surcharge sensorielle. C’est différent dans le cas des angoisses sociales ou d’une grande timidité. Ici, la stratégie d’évitement –ne pas aller du tout à la fête– peut devenir un gros problème. Car l’évitement peut amplifier les peurs et les transférer à d’autres situations. La première étape consisterait ici à accueillir les émotions désagréables et à les laisser survenir. Selon le principe: «Je me sens embarrassé en ce moment, mais ce n’est pas grave.» Ces sentiments sont de toute façon difficiles à réprimer –la clé pour mieux les gérer réside d’abord dans l’observation et l’acceptation. En parallèle, on peut s’approcher petit à petit de ces situations sociales. Cela peut commencer, par exemple, par le simple fait de se joindre à un groupe et d’écouter les conversations sans participer immédiatement. L’idée que «je suis embarrassant et déplacé» n’existe souvent que dans notre tête. Il y a d’ailleurs une grande différence entre la perception de soi, souvent marquée négativement, et le jugement des autres. Il est important aussi d’en prendre clairement conscience.
«La stratégie d’évitement –ne pas aller du tout à la fête– peut devenir un gros problème. Car l’évitement peut amplifier les peurs et les transférer à d’autres situations.»
L’alcool peut-il aider?
Il est vrai que certaines personnes deviennent plus détendues ou plus communicatives sous l’effet de l’alcool. Mais se donner du courage en buvant n’est pas une bonne idée. D’une part, il y a un risque de s’y habituer et de penser ensuite qu’on ne peut aborder les autres de manière décontractée qu’avec de l’alcool. D’autre part, la question du dosage est déterminante –à partir d’un certain seuil, cela devient désagréable pour tout le monde. Il y a cependant un aspect, dans le fait de boire, qui peut vraiment aider: avoir un verre à la main permet littéralement d’avoir quelque chose à tenir et d’éviter de trop se focaliser sur soi-même par nervosité. Beaucoup de gens, lorsqu’ils sont tendus, ne savent pas quoi faire de leurs mains. Bien sûr, cela fonctionne aussi avec une boisson sans alcool.
«Avoir un verre à la main permet littéralement d’avoir quelque chose à tenir et d’éviter de trop se focaliser sur soi-même par nervosité.»
On pourrait aussi adopter une attitude transparente face à une compétence sociale déficiente, du genre: «Je suis vraiment nul dans ce genre de situations et pas très à l’aise.» Est-ce que cela peut aider?
Absolument! Il n’est d’ailleurs pas nécessaire, comme je l’ai dit, de prendre immédiatement les rênes de la conversation. On peut, par un tel aveu, relâcher un peu la pression dans la situation et rester d’abord passif. Cela peut parfois même conduire à des échanges qui semblent d’emblée beaucoup plus naturels que le sempiternel small talk.
Pour beaucoup, c’est de toute façon une épreuve. Ils ne savent pas quoi dire ou ne s’intéressent tout simplement pas aux banalités. Peut-on apprendre le small talk ou même l’amener à un autre niveau avec de bonnes techniques?
Oui, c’est assez simple. Pour aller au-delà de sa timidité, on peut se préparer, avant une fête, quelques questions de base, neutres et adaptées au contexte. Cela inclut aussi l’écoute attentive et le fait de rebondir sur les sujets déjà abordés. Peut-être que les contenus sont un peu banals au départ –mais le small talk sert justement à passer progressivement de sujets généraux à des sujets plus personnels. Je ne commencerais en tout cas pas directement par la religion ou la politique. Il s’agit de donner à l’autre l’occasion de livrer quelque chose de lui-même. C’est exactement pour cela que poser des questions et écouter sont bien plus importants que de se mettre soi-même en avant. En général, cela passe très mal de ne parler que de soi.
Certaines personnes ont aussi tout simplement peur d’être ennuyeuses et de ne pas tenir leur place dans la conversation. Est-ce peut-être lié à une conception erronée de la «compétition sociale»?
Oui, et cela nous ramène à la perception de soi et à celle qu’on suppose chez les autres. Beaucoup de gens ont une vision très étroite de ce qui est attrayant ou socialement désirable. On a une image idéale en tête –alors que ce qui plaît est extrêmement individuel. Les personnes particulièrement timides devraient aussi garder à l’esprit qu’on ne peut pas être aimé de tout le monde. Cette idée qu’il faut toujours plaire crée une pression énorme. Il est utile d’essayer de rester soi-même, plutôt que de jouer un rôle. Cela paraît rapidement artificiel et pas vraiment sympathique.
«Les personnes particulièrement timides devraient aussi garder à l’esprit qu’on ne peut pas être aimé de tout le monde. Cette idée qu’il faut toujours plaire crée une pression énorme.»
La tenue vestimentaire joue aussi un rôle important pour beaucoup. Un look extraverti pourrait-il servir de «porte d’entrée» pour les personnes plutôt réservées?
Pour entamer une conversation? Je déconseille fortement. Le risque est bien plus grand de se sentir mal à l’aise et déplacé. Une personne timide n’incarnerait pas vraiment cette extravagance –ce contraste serait plutôt source de confusion. Le mieux est de s’habiller de manière à se sentir à l’aise.
Pourquoi les gens diffèrent-ils autant dans leur besoin de sociabilité, de communication et de fête?
Le besoin de lien et de contacts sociaux varie d’une personne à l’autre. Le trait de personnalité de l’extraversion joue ici un rôle important. Ce trait est en partie influencé par nos gènes et en partie par nos expériences. Les personnes extraverties peuvent tirer de l’énergie et de l’épanouissement d’une fête, alors que les introvertis ont souvent besoin, après coup, d’une phase de récupération pour se régénérer. Nos cerveaux sont différemment sensibles aux stimuli extérieurs. Les extravertis ont besoin de davantage de stimulation extérieure pour atteindre un niveau d’activité qui leur semble agréable.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, une bonne fête?
Des personnes intéressantes, des interlocuteurs passionnants et un environnement dans lequel on trouve une forme de connexion. Mais bien sûr aussi de la bonne nourriture et d’excellentes boissons! Pour moi, l’essentiel est de rencontrer de nouvelles personnes et de créer des liens dans un cadre détendu. Cela dit, pour tous les réfractaires aux fêtes qui souffre de timidité, il est peut-être aussi important de rappeler une chose: on peut avoir une vie épanouie sans ces soirées. Il y a parfois cette pression diffuse qui fait croire qu’on rate quelque chose si l’on ne va pas à telle ou telle fête. Mais il existe aussi suffisamment d’autres occasions sociales pour satisfaire ce besoin de lien et de communauté.
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