Le succès du burger s’explique par «sa capacité à répondre aux exigences de notre mode de vie moderne». © GETTY

Pourquoi le burger traverse toutes les époques et résiste à la baisse de consommation de viande

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Conçu aux Etats-Unis en 1893, il déferle depuis lors sur la planète. Mis à toutes les sauces, il s’adapte en permanence. Y compris au recul prôné de la consommation de viande.

C’est un mariage heureux, qui dure depuis 130 ans et dont l’aura s’étend aujourd’hui la planète entière: l’alliance d’un petit pain moelleux (bun) et d’un steak haché, unis en un hamburger, ou par aphérèse «burger». Cette création occupe désormais, avec la pizza, la plus haute marche du podium des produits culinaires consommés partout dans le monde. C’est également une réussite économique incontestable, soutenue par plusieurs inventions technologiques et logistiques, que raconte l’historien de l’alimentation Pierre Leclercq, dans son ouvrage Petit traité du burger (1).

L’histoire commence en Allemagne, où l’on prend l’habitude de hacher du bifteck dans les années 1830. Le hachage «permet de convertir une viande de deuxième ordre telle que la cuisse, en une pièce à griller ou à poêler vendue 30% moins cher que le bifteck classique», indique l’auteur. Ce qui n’est pas pour déplaire aux classes populaires. Entre 1830 et 1870, quelque 2,3 millions d’Allemands franchissent l’Atlantique pour s’établir aux Etats-Unis. Tout indique que les migrants germaniques emportèrent avec eux la tradition du steak haché, car en 1880, l’hamburger fait déjà partie du décor alimentaire dans les quartiers populaires de New York. «Manifestement, le plat plaît beaucoup aux Américains de souche au point de se ménager une véritable place dans la culture culinaire anglo-saxonne et de s’imposer sur la carte des restaurants non allemands», écrit Pierre Leclercq.

Treize ans plus tard, en juillet 1893, un burger est pour la première fois glissé dans un sandwich. Très vite, ce hamburger sandwich s’inscrit dans la conscience collective en tant que produit de la petite restauration, nourrissant, bon marché, rapidement commandé et aussi vite consommé. Vendu dans des lunch wagons (échoppes de rue) ou des lunch counters (bars de restauration rapide à chaises hautes), il séduit massivement les travailleurs des villes.

«Il est évident que l’histoire du hamburger évolue parallèlement avec l’histoire de la démocratisation de la viande, relève l’historien. Le steak haché sera toujours le steak le meilleur marché. Il a donc tous les atouts pour s’imposer durablement comme symbole de l’alimentation populaire.»

Des châteaux de burgers

Il faudra attendre les années 1920 et les deux entrepreneurs américains J. Walter Anderson et Edgar Waldo Ingram pour assister à l’émergence d’un premier empire du hamburger sandwich, la White Castle System of Eating Houses: standards d’hygiène élevés, service rapide, repas financièrement accessibles et tournés vers un public familial expliquent le succès de ces établissements en forme de châteaux. C’est le début d’une chaîne qui, en 1931, compte 131 établissements.

«Le steak haché sera toujours le steak le meilleur marché. Il a donc tous les atouts pour s’imposer durablement comme symbole de l’alimentation populaire.»

Au même moment, les frères Richard et Maurice McDonald entrent dans la danse du burger en attachant une importance particulière à la rationalisation de la chaîne de production. «La fabrication et la vente des burgers sont divisées en une série de tâches simples, de la prise de commande à la délivrance du sac au comptoir, chacune étant exécutée par une personne assignée à son poste», détaille l’auteur. Au menu: un burger à quinze cents, avec un steak de 45 grammes, du ketchup, des oignons hachés et deux tranches de cornichon. Outre les frites et les milkshakes, le client peut choisir entre une petite ou une grande boisson gazeuse. Il est aussi prié de faire la queue, d’emporter lui-même son repas puis de débarrasser sa table sans s’attarder. Il n’y a pas de vaisselle: des plateaux et des emballages jetables lui sont préférés.

Immuable recette… A la fin du XXe siècle, 96% des Américains avaient visité un McDonald’s au moins une fois dans leur vie et, chaque jour, 22 millions d’Américains y mangeaient.

Un burger mondialisé

Aujourd’hui, les Etats-Unis comptent 50.000 points de vente consacrés au burger. Selon des chiffres datant de 2022, les Américains dévoreraient environ treize milliards de burgers par an. En France, McDonald’s compte à lui seul plus de 1.500 points de vente, devant Burger King, qui en totalise 527. En Belgique, où Quick avait devancé, en 1971, l’arrivée du géant américain, on recense 122 enseignes McDonald’s.

Le succès du burger s’explique par «sa capacité à répondre aux exigences de notre mode de vie moderne, détaille Pierre Leclercq. Il s’adapte facilement au travail à la chaîne; il s’intègre au sein de n’importe quelle culture; il réunit à lui seul tous les éléments d’un repas; il s’achète, se vend et se consomme en un temps record; il est démocratique; il s’est converti au végétarisme; son steak haché et son pain moelleux s’avalent sans le moindre effort.» Le burger, malléable, s’adapte à la culture locale et aux tendances. Il existe sous forme végétarienne ou végan, forme pour laquelle le Parlement européen souhaiterait d’ailleurs interdire l’appellation «burger» ou «steak», poussé par l’industrie de la viande.

D’autant que les chaînes de fast-food n’échappent pas aux polémiques. Attaquées pour leur incidence environnementale et pour leur contribution évidente au phénomène de la malbouffe, elles tentent d’y répondre en optant pour des fournisseurs locaux quand c’est possible, des emballages en matière recyclée et la mention des apports caloriques sur leurs produits. «Le burger devient aussi, affirme l’historien, le symbole de la clean meat, branche technologique de l’alimentation appelée à répondre aux enjeux environnementaux et éthiques soulevés par l’élevage intensif des animaux.»

(1) Petit traité du burger, par Pierre Leclercq, Ed. Le Sureau, 224 p.

Le Big Mac, indice économique

Imaginé en 1986 –au départ comme une plaisanterie– par le magazine The Economist, le Big Mac Index est aujourd’hui reconnu comme un outil d’analyse économique pertinent. En s’appuyant sur la relative uniformité du Big Mac à travers le monde, cet indice permet de comparer les pouvoirs d’achat dans différents pays en se basant sur le prix de ce produit. Ainsi en 1991, à Paris, il fallait 39 minutes de travail d’un salarié moyen pour s’acheter un Big Mac, contre 18 aux Etats-Unis et en Australie. Alors qu’au Mexique et à Bombay, il en exigeait à l’époque… 24.048.

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