Le secteur de la petite enfance doit se serrer la ceinture et n’entend pas laisser passer les demandes sans réagir. © dpa/picture alliance via Getty I

74 millions d’euros d’économies pour l’accueil de l’enfance: «On risque les mêmes dérives que dans certaines maisons de repos»

Thomas Bernard
Thomas Bernard Journaliste et éditeur multimédia au Vif

Les coupes budgétaires prévues vont étrangler l’accueil de l’enfance, préviennent plusieurs acteurs du secteur. Ceux-ci l’ont rappelé, ce mardi, en se mobilisant devant le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, alors que 74 millions d’euros d’économies ont été annoncés par le gouvernement de la Fédération.

Le secteur de l’accueil de l’enfance a manifesté, ce mardi matin, devant le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) pour dénoncer les restrictions budgétaires annoncées en 2026 et exiger un refinancement urgent. Les syndicats et interlocuteurs sociaux étaient accompagnés de divers acteurs du secteur et de la société civile, venus porter un même message concernant l’étouffement de l’accueil de l’enfance.

Les mesures budgétaires, annoncées début octobre par le gouvernement MR-Les Engagés, font craindre une dégradation de la qualité de l’accueil des enfants, avec des fermetures de structures qui feront perdre des places d’accueil et de l’emploi, des prix plus élevés pour les parents, des réductions d’heures d’ouverture de certains milieux d’accueil et une surcharge de travail.

Des conditions de travail dégradées, qui se répercuteront immanquablement sur l’accueil des enfants, disent les acteurs concernés. «Ce n’est pas un secteur comme les autres et cela ne doit pas le devenir. Si vous faites rentrer une logique de rentabilité et des intérêts purement économiques dans l’équation, vous risquez des dérives, craint Kathia Morano, présidente de la FSMI (Fédération des services maternels et infantiles). Cela va signer l’arrivée de nouveaux acteurs, dont nous ne voulons pas, qui travailleront pour faire entrer des bénéfices dans les poches d’actionnaires. Et comment le faire? En rognant sur les coûts, donc sur la qualité d’accueil. On risque de se retrouver avec des situations similaires à ce qui est vécu dans certaines maisons de repos, avec six repas pour huit enfants, avec de la maltraitance. On parle ici d’humains, d’enfants. Leur bien-être doit toujours rester prioritaire.»

«Aucune marge de manœuvre»

Dans un secteur qui travaille déjà à flux tendu, sans profits, l’annonce de 74 millions d’euros d’économies, dès 2026, sonne comme irréaliste et annonce des «catastrophes». Dans ce montant, huit millions d’euros sont liés à la non-indexation des subsides de l’ONE. Un gouffre qui risque de pousser à la fermeture de certaines asbl du secteur. «Nous n’avons aucune marge de manœuvre. Il suffit de comprendre ceci: 95% de la subvention ONE que nous recevons part dans le paiement des salaires. En gelant l’indexation des subsides, je vais avoir un trou de 55.000 euros. En tant qu’asbl, vous vous doutez que je ne les ai pas. Cela signifie que, dès janvier, nombre d’asbl vont vivre au-dessus de leurs moyens. Tout en sachant que les salaires, eux, pourraient être indexés en février 2026 dans notre secteur. Il n’y a pas 36 issues possibles à une situation pareille», déplore de son côté Catherine Mulkers, présidente de la Cosege (Coordination des services d’accueil d’enfants de la Fédération Wallonie-Bruxelles).

Celle-ci a fait les comptes: dans le Hainaut, le gel des subventions toucherait 28 services, soit 3.316 places d’accueil et environ 3.600 familles, tandis qu’en province de Liège, autre grand bassin, 1.650 places d’accueil, 412 accueillantes et plus de 2.000 familles risquent des répercussions.

«Nous avons déjà les barèmes les plus bas du secteur non-marchand, nous travaillons littéralement avec des bouts de ficelle, embraye Kathia Morano. Tout ce que cela va créer, c’est un accueil à deux vitesses, avec des parents qui auront les moyens de payer une place et d’autres pas. Car il faudra bien combler ce trou budgétaire. Et celui-ci existait déjà avant les restrictions annoncées.»

Recentrer l’ONE sur ses missions

Autre doléance, la remise en cause du financement du taux d’encadrement, qui devait permettre de passer de une à 1,5 accueillante pour sept enfants, ajoute encore à l’inquiétude du terrain. Ce point, promis par l’ancienne majorité et figurant au sein de la déclaration du gouvernement actuel MR-Les Engagés, devait coûter environ 106 millions d’euros, mais est gelé.

Un montant pris en compte dans l’effort exigé du secteur, mais qui demande des précisions. «Ce n’est pas véritablement une économie, puisqu’il s’agit en réalité un budget qui a été calculé, que nous n’avons jamais inscrit ou promis. Et ce budget, nous ne l’avons pas aujourd’hui. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne va pas chercher à amener des réponses au secteur», précise la ministre en charge de l’Enfance, Valérie Lescrenier (Les Engagés).

S’ajoutent à ce montant les huit millions de non-indexation des subsides, plus trois millions d’économies en outils informatiques. «De ces montants, il faut donc retrancher 43 millions de nouveaux de moyens qu’on a été chercher au niveau du gouvernement pour permettre à l’ONE de remplir ses missions», rappelle encore la ministre.

L’organisme dédié à l’enfance est ainsi appelé à se recentrer sur ces missions essentielles, en continuant d’être l’entité référente pour accompagner à la professionnalisation du secteur. Contacté, celui-ci précise ne pas vouloir s’exprimer à ce stade, alors que d’autres échéances s’annoncent.

Une rencontre vendredi

Parmi les prochaines dates importantes, une rencontre est prévue, ce vendredi, entre la ministre Valérie Lescrenier et différents acteurs du monde de l’enfance. Celle-ci doit permettre d’échanger sur les pistes concrètes pour soutenir le secteur. La priorité, martèlent plusieurs parties, reste de garder une offre suffisante, tout en maintenant sa qualité, dans l’intérêt de l’enfant.

«Il faut absolument éviter d’avancer vers une forme de privatisation du secteur de la petite enfance et garantir des places de qualité pour chaque enfant. Les discussions tournent parfois autour de recherche de solutions alternatives ou innovantes pour accueillir les enfants. On évoque notamment les crèches en entreprise, mais cela ne va pas sans poser de questions. Ces crèches seraient réservées aux employés uniquement, avec une forme de contrôle par l’employeur et des travailleurs qui pourraient se retrouver un peu otages de leur contrat de travail s’il n’existe pas de places disponibles par ailleurs. Quid aussi en cas de perte d’emploi?», interroge encore Kathia Morano.

«Vendredi, nous espérons conscientiser la ministre sur les enjeux derrière ces questions budgétaires, afin de ne pas déconstruire ce que nous avons mis des années à bâtir, à savoir un accueil de grande qualité pour les enfants. Cela tout en veillant à pérenniser les places d’accueil», détaille Catherine Mulkers.

«Je sais la charge de travail des travailleurs et travailleuses du secteur, c’est une profession pour laquelle j’ai un immense respect. Je ne ferme pas les yeux sur les difficultés et demandes qui ont été formulées, j’en ai d’ailleurs déjà entendues certaines aujourd’hui et cela ne m’a évidemment pas laissée insensible. Ce que nous devrons faire, c’est travailler en bonne concertation. Nous devons par exemple tenir compte des nouvelles réalités des familles. Le besoin de places d’accueil a évolué par rapport à ce qu’il était il y a 20 ou 30 ans. Les familles travaillent autrement, vivent autrement, dans des configurations différentes. L’ONE doit être davantage dans une dynamique de réactivité par rapport aux modèles qui sont proposés et à l’offre disponible pour l’accueil. L’enfance reste un réel enjeu pour lequel nous avons déjà amené une série de réponses qui, effectivement, ne sont pas encore pleines et complètes aujourd’hui. Mais le travail se poursuivra tout au long de la législature», conclut la ministre Lescrenier.

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