Loïc Lépine s’est décidé à porter plainte contre Vincent Stavaux en 2022. Ouvrant la voie à d’autres témoignages.

«Au début c’est au-dessus du maillot, après il va en dessous»: le récit glaçant et courageux de Loïc Lepine, victime du coach sportif Vincent Stavaux

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Cet ancien espoir du basket hainuyer a été le premier à dénoncer les attouchements sexuels du manager«star» Vincent Stavaux. Il décrit le modus operandi d’un prédateur impitoyable.

Pendant quatorze ans, Loïc Lepine s’est menti à lui-même. Sa vie banale d’assistant social, teintée d’un mal-être inexpliqué et d’une perpétuelle recherche de sécurité affective, ce n’était pas vraiment lui. Comme si quelqu’un d’autre avait pris les commandes de son existence pendant toutes ces années, malgré son apparente stabilité – en couple, un enfant, un boulot, une famille. Au sortir de la crise du Covid, début 2022, sa vie sentimentale va pourtant connaître un changement radical, qui s’accompagnera d’une importante introspection. Celle qui est aujourd’hui sa femme l’encourage à livrer son secret. Pour lui, tout va changer. Profondément.

Mais avant d’ouvrir les vannes de ses souvenirs, Loïc Lepine a dû consulter. Revivre des scènes douloureuses. Questionner le passé, sans sombrer dans un abîme de culpabilité. La naissance de son fils l’a finalement poussé à franchir le cap. A porter plainte, enfin. «Pour se libérer», a-t-il lâché face à son agresseur, jugé mi-avril devant le tribunal correctionnel de Mons. L’homme, qui a reconnu les faits en partie et encourt six ans de prison, n’est pas n’importe qui. Il s’agit de Vincent Stavaux, la soixantaine, connu pour avoir géré les carrières, entre autres, de la championne de tennis Justine Henin ou du vainqueur de l’US Open, Marin Cilic. Mais aussi pour avoir tenu un rôle prééminent dans la détection de jeunes talents du basket belge, notamment à Mons et à Charleroi, dès le mitan des années 2000.

Prédation

Pour Loïc Lepine, cette période s’annonçait justement pleine de promesses. Alors âgé de 16 ans, il fait figure d’espoir parmi les jeunes basketteurs du club de Mons-Hainaut, au point d’être repéré par Ostende, le club le plus prestigieux de Belgique. Mais pour progresser encore, il faut quitter le nid montois pour se frotter à la concurrence carolo, où l’écosystème gravite autour du Spirou basket club. Au sein de cet environnement sportif de pointe, Vincent Stavaux navigue, lui, entre le club et la pépinière de Gilly, une équipe satellite du Spirou évoluant en D2. Le manager, vénéré par la direction comme par les jeunes, piste les recrues susceptibles d’intégrer Charleroi. Le jeune Lepine, beau et grand garçon aux yeux clairs, est rapidement identifié. Non comme un futur champion. Mais comme une proie, sur laquelle Stavaux s’apprête à fondre.

«J’étais dans une période de changement, je suis rentré à l’internat fin août, et courant septembre j’ai appris que ma grand-mère paternelle était malade. Elle comptait beaucoup pour moi, elle m’avait en partie élevé», raconte Loïc Lepine, qui se rappelle avoir intégré une «belle structure sportive avec kinés, médecin et des entraînements tous les jours.» Sauf que sa tête n’y est pas.

«J’avais un coup au moral et c’est là que Stavaux m’a approché la première fois. Il m’a convoqué dans un bureau, m’a dit que mes performances n’étaient pas terribles, il a un peu commencé à s’énerver. Je me suis effondré, je lui ai dit que je venais de changer de vie, et pour ma grand-mère aussi… qu’il allait me falloir du temps. Sans le savoir, je suis tombé dans le piège. Il m’a pris dans ses bras, m’a dit qu’il était touché. Que maintenant, il allait s’occuper de moi. Cela faisait un bon mois que j’étais à Charleroi. Je cherchais juste mon rythme.»

Dans le bureau, Stavaux affiche ses réussites, fait miroiter dans les yeux de l’adolescent les succès qui ont jalonné sa carrière, dans le tennis et dans le basket. «Tout a démarré peu de temps après cette conversation, se souvient Loïc Lepine. Il est venu me voir et m’a parlé de séances de ‘sophrologie’ au cours desquelles il pouvait m’aider à être plus fort mentalement. Il a dit que ses méthodes étaient un peu ‘spéciales’, mais que je ne devais pas m’en faire, que cela faisait partie du processus pour me rendre plus fort. Il a rencontré mes parents et leur en parlé aussi. Il a dit qu’il viendrait me chercher le mercredi après-midi pour aller chez lui faire ces séances, et que parfois il faudrait peut-être m’y conduire, si jamais lui ne savait pas venir me chercher.»

Vincent Stavaux, tel un gourou

Pour assurer son emprise, Vincent Stavaux, tel un gourou, s’assure en réalité que rien ne filtre avec l’entourage, et en particulier avec les parents. «Je ne devais pas parler du contenu de ces séances, que ce soit à mes parents ou à qui que ce soit. Et il a dit la même chose à mes parents, qu’ils ne pouvaient rien en savoir, qu’il fallait lui faire confiance, que sa méthode portait ses fruits…»

Dans les mois qui suivent, à intervalle régulier, Stavaux convoque donc l’adolescent chez lui. Loïc Lepine doit revêtir sa tenue de basket et s’allonger sur un canapé, à côté duquel le manager s’agenouille. «Je vais te dire des choses à l’oreille, tu dois toujours fermer les yeux, ne jamais les ouvrir, lui dit-il, comme s’il cherchait à l’hypnotiser. «Je vais toucher des parties de ton corps. Tu vas entrer en transe et réfléchir à des faits de match, et ça va améliorer ton mental. ‘Tu as la balle, il reste cinq secondes, c’est toi qui dois aller marquer, tu défonces tout sur ton passage’», glisse-t-il, tout en le touchant. «Au début c’est au-dessus du maillot, après il va en dessous», explique Loïc Lepine, d’une voix qui aujourd’hui ne tremble nullement. Et pour finir il abaisse mon short et commence une masturbation, jusqu’à éjaculation.»

Pendant l’acte, «j’entendais sa respiration accélérer, je sentais aussi qu’il changeait d’attitude, qu’il touchait de plus en plus agressivement. C’était de l’excitation. C’était malsain», se rappelle Loïc Lepine. A chaque fois qu’il avait terminé, il allait dans son fauteuil s’allumer une clope. Il me donnait un morceau de sopalin. ‘Tiens, vas-y, essuie-toi’. Et il continuait de fumer.» De séance en séance, Stavaux rivalise d’inventivité pour garder le garçon sous sa coupe. Il y a les cadeaux, comme ces places pour la coupe Davis ou ce book, pour peut-être, un jour, faire du mannequinat. Et puis des conseils personnalisés de basketteurs pros, dont certains, convoqués par Vincent Stavaux, viennent spécialement voir un match du jeune sportif.

«Il me vendait du rêve. Un jour, il a été chercher un maillot de l’équipe nationale, il m’a dit de le mettre, et après ça il a appelé le sélectionneur national. Et devant moi il a mis le haut parleur pour que j’entende toute la conversation. Il disait: ‘J’ai un jeune devant moi, tu le connais, je veux que tu le prennes ou que tu y réfléchisses… et là le gars lui a dit ‘oui’, qu’il allait y penser…» Mais Stavaux n’oubliait jamais de siffler la fin de la récré. «‘Allez, allonge-toi’, il m’a dit, alors que j’avais toujours le maillot de l’équipe nationale…»

Humiliation

Au fil des semaines, puis des mois, Vincent Stavaux tente d’aller de plus en plus loin. « Un jour, il me trouvait trop mou, il m’a coincé contre une armoire, m’a attrapé les parties génitales en fourrant sa langue dans ma bouche, décrit Loïc Lepine. Une autre fois, il a fait venir un autre joueur – qui était majeur, il était en D2 avec Gilly – et il m’a dit: ‘Montre-moi que tu as évolué, allonge-toi et tu dois avoir une érection sans que je te touche.’ Ils se sont assis et m’ont regardé.» Parce qu’il ne bande pas, les deux hommes l’humilient, gribouillent sur son corps nu, l’affublent d’une coquille utilisée normalement dans les arts martiaux pour protéger les parties génitales. Sauf que là, c’est pour y claquer violemment des oeufs, à l’intérieur même de la coquille. L’homme qui assistait Stavaux ce jour-là a pris une photo, d’après Loïc Lepine. Ce témoin a bien été convoqué par la police suite à la plainte déposée en 2022: il n’est jamais venu, ni n’a souhaité s’exprimer sur son mentor, invoquant son droit au silence. Une autre victime a subi le même genre de bizutage, aux dires de Loïc Lepine.

Les stratagèmes de prédation se sont succédés ainsi, au fur et à mesure des séances. «Une fois, il m’a invité à dormir chez lui. J’y suis allé et il m’a proposé d’aller à une soirée avec ce même joueur (NLDR: présent lors du bizutage avec la coquille), déroule encore Loïc Lepine. Stavaux parlait de soirée privée, qu’il fallait être invité, parrainé. Il m’a fait boire du whisky pur, je n’avais pas l’habitude, j’ai vomi sur le chemin du retour. Arrivé chez lui, je me souviens être allé à quatre pattes aux toilettes, et m’endormir contre la cuvette, vraiment malade. Je me suis réveillé avec le pantalon abaissé, je ne sais pas ce qu’il s’est passé

Ce n’est qu’au bout de quelques mois que Loïc Lepine a finalement réussi à entrevoir la véritable personnalité de Vincent Stavaux. «Un jour, il fumait sa clope, il a allumé la télé, et il y avait un reportage sur les abus d’un coach de tennis. Et là, il dit: ‘Tu vois, ça c’est un gars qui a tout donné à ses joueurs et c’est comme ça qu’on le remercie, en le balançant’.»

Le jeune homme finit par dire stop. «Je n’étais pas bien, j’avais envie de vomir chaque fois que j’y repensais, la boule au ventre à chaque fois que j’y retournais. Quand j’ai décidé d’arrêter, par message, il l’a très mal pris. Il a été très froid. A partir de ce moment-là, il n’a plus été question de sélection. Mais il a essayé de relancer, ce n’était pas suffisant de lui avoir dit stop. De temps en temps, il rappelait. Moi, en cachette, je faisais les démarches pour revenir sur Mons. C’était ma seule porte de sortie

De retour chez lui, Loïc Lepine plonge. Sa grand-mère décède, il rate sa rhéto, abandonne le basket. Ses parents divorcent l’année suivante, en 2008. Il se renferme, coupe parfois les ponts avec des amis qui ne le comprennent pas. Ses premières véritables relations amoureuses sont vécues sous cloche, comme cernées par une invisible menace. Il travaille un temps comme aide-soignant, tâtonne, passe un bachelier d’assistant social en cours du soir. Son père, Jean-Pierre Lepine, figure socialiste locale (actuellement député wallon et ancien bourgmestre de Quaregnon), entend un jour des bruits de couloir sur Vincent Stavaux, venu s’occuper de jeunes à… Mons, quelque temps après que Loïc ait quitté le club. Le père questionne le fils. On est au début des années 2010 et le jeune homme, la vingtaine, nie. Parce qu’il a honte, et qu’il tente désespérément de sortir la tête de l’eau.

Questions vertigineuses

Dix ans plus tard, dans la foulée des révélations de Loïc Lepine auprès de sa famille, puis de la police, le père et le fils se sont mis en quête d’autres victimes potentielles. Sur une vingtaine de témoignages récoltés, moins d’une dizaine (8) ont pu être traités par la justice. Certains jeunes, aujourd’hui devenus adultes, parfois pères de famille, ont préféré passer à autre chose. Mais ceux qui ont parlé évoquent un traumatisme durable – plusieurs tentatives de suicide sont mentionnées.

A l’audience, mi-avril dernier, Vincent Stavaux a pour sa part évoqué des «dérapages inadéquats sur une période de [s]a vie». Avant son procès, courant 2024, le manager avait proposé à ses victimes de les indemniser en gage de «respect». Pour Lepine, il a estimé le préjudice à 3.000 euros. Contacté par Le Vif, l’avocat de Vincent Stavaux a opposé une fin de non-recevoir. En attendant, les commentaires le concernant ont commencé à affluer. De Belgique, et d’ailleurs – Vincent Stavaux a notamment encadré des jeunes en France. Au niveau du basket national chez les espoirs belges, un encadrant dit également avoir remarqué des «comportements anormaux» dans son chef, en 2012-2013.

«Il y en a beaucoup trop qui se taisent, soupire Loïc Lepine. J’ai reçu un témoignage d’un gars qui doit avoir peut être 50 ans, et qui m’a dit que quand il était jeune, Vincent Stavaux était déjà comme ça. Il avait 15 ans à l’époque, c’était il y a 35 ans, et il dit avoir subi des attouchements… donc Stavaux devait avoir seulement 25 ans. Du coup, combien y-a-t-il de victimes? Les faits connus actuellement, c’est entre 2007 et 2011… quatre ans. Qu’est-ce qu’il a fait avant, qu’est-ce qu’il a fait après? Il faut que les victimes parlent. On doit mener le combat ensemble, on ne doit avoir peur de rien. La honte doit changer de camp

Sur les réseaux sociaux, d’anciens joueurs s’épanchent: «On entendait des rumeurs», «on savait tous». Les questions sont vertigineuses: «Si nous on le savait, qu’en pensaient les kinés, les coachs (…)?» «C’était très tabou, partout. Vincent Stavaux avait une influence terrible. Il pouvait faire ou défaire votre carrière», analyse Loïc Lepine, qui a reçu peu de soutien de la part de ses anciens coachs et a adressé plusieurs interpellations, notamment à l’association Wallonie-Bruxelles de basket-ball (AWBB) ou à son ancien club, les invitant «à prendre position publiquement, à faire preuve de solidarité, et à contribuer à instaurer une culture de protection, d’écoute et de prévention au sein de notre sport.»

Jusqu’ici, c’est plutôt un silence gêné qui prédomine.

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