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Des logements sociaux prévus en zone inondable en région liégeoise: «Ce n’était pas plus que 1,3 mètre»

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

De nouveaux habitats publics pourraient être érigés à côté de la Vesdre, sur un terrain inondé en juillet 2021. La question, en matière de territoire, de budget et de logement, est cornélienne.

Sous le regard de deux hérons, la Vesdre coule au bout du terrain et Franklin Roosevelt, qui donne son nom à la chaussée longeant cette parcelle, entre Fraipont et Nessonvaux (Trooz), n’en a cure. Pourtant, il s’y connaît en lutte contre les inondations lui qui, autour de 1933, lança de vastes travaux de construction de barrages et de plantations d’arbres pour empêcher l’eau, parfois furieuse, de tout ravager sur son passage.

A Trooz, les dégâts ont déjà été commis. Les 14 et 15 juillet 2021, les inondations provoquées par le débordement de plusieurs rivières de la région liégeoise, dont la Vesdre, ont enseveli une partie de la localité. Trois personnes ont perdu la vie. Dans cette commune de 8.200 habitants, 1.587 bâtiments ont été touchés et 628 d’entre eux ont été détruits, en tout ou en partie, selon le bilan de l’ULiège.

Quelque 36 logements sociaux, installés au lieu-dit La Fenderie, juste à côté de la rivière, sont envahis par les eaux sur 2,6 mètres de hauteur. Faute de chemin d’évacuation, leurs habitants n’en sont extraits qu’après la crue. Quelques mois plus tard, ce lieu est déclaré inhabitable par la Région wallonne: les 36 logements publics seront donc détruits et leurs occupants relogés ailleurs. La commune de Trooz rachète le terrain dans le but d’y aménager un parc public susceptible d’être immergé temporairement en cas de nouvelles crues.

«On nous a pris pour des amateurs!»

Pour le Foyer de la région de Fléron, gestionnaire des logements publics dans sept communes avoisinantes, la pilule est amère: sur ses 2.922 bâtiments, 440 ont été touchés par les inondations, dont 136 gravement, essentiellement à Trooz et Chaudfontaine. Or, la demande en logements publics ne cesse de croître en Région wallonne. Quelque 50.000 ménages sont officiellement en attente d’un habitat social, soit une augmentation de 25% en cinq ans. Parmi eux, 2.500 piaffent aux portes du Foyer de Fléron. Il s’agit donc de remplacer au plus vite les habitats perdus sur le site de La Fenderie.

Un terrain libre, le Foyer en possède bien un, rue Franklin Roosevelt. Dix logements sociaux y étaient déjà construits en 2021. Ils ont d’ailleurs été inondés, à hauteur de 2,6 mètres, selon la carte WalOnMap. «Ce n’était pas plus que 1,3 mètre», assure Michel Deffet, le directeur du Foyer de Fléron.

Le projet émerge donc de construire trente nouveaux logements à cet endroit, entre la Vesdre et la voie de chemin de fer. La Région wallonne a prévu 8,13 millions d’euros pour financer leur construction, à condition qu’ils soient achevés en juin 2028. Le lieu n’offre pas d’échappatoire à la rivière, coincée entre une colline et le talus sur lequel cheminent les rails du train. Lorsque son niveau monte, l’eau ne peut s’échapper nulle part, sauf sous les arches du pont de chemin de fer.

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Un premier marché public de travaux design and build (conception et construction) est lancé en avril dernier. Son cahier des charges ne mentionne pas le fait que le terrain a été inondé quatre ans plus tôt. Sur la carte d’aléas d’inondations en Wallonie, qui date d’avril 2021 –trois mois avant la catastrophe– et qui ne sera actualisée qu’en 2027, cette parcelle n’est effectivement pas considérée comme inondable. Mais la carte des classes d’exposition, établie, elle, en 2023 et validée par la Région wallonne, colore ce terrain en jaune et en orange, soit en classes d’exposition faible et moyenne. Autrement dit, dans sa version 2027, la carte d’aléas d’inondations qualifiera cette parcelle de zone inondable.

Dans les semaines qui suivent le lancement de ce marché public, six candidats y répondent, dont trois sont retenus. Ceux-ci ne disposent toutefois pas encore du cahier des charges définitif. «Nous espérons pouvoir attribuer ce marché à la fin de 2025», expose Michel Deffet. Mais entre-temps, la députée écologiste Veronica Cremasco a interrogé sur ce sujet le ministre wallon du territoire, François Desquesnes (Les Engagés). Sur le fond, il ne s’est pas prononcé, ne s’étant saisi d’aucun dossier. Mais sur la forme… «Je m’étonne qu’une procédure de type certificat d’urbanisme numéro 2 (1) n’ait pas été introduite avant de lancer ce marché public, disait-il. C’est typiquement pour ce genre de dossier un peu particulier que cet outil existe. (…) Je comprends le cri d’alarme par rapport à ce dossier, qui devrait réveiller les porteurs de ce projet. Il n’est pas normal de se lancer dans un projet de cette ampleur sans avoir pris préalablement une série de mesures de précaution, d’information, d’investigation.» Et de renvoyer la balle à la ministre Neven, en charge du logement. «Ce certificat d’urbanisme numéro 2, plus personne ne le demande depuis 30 ans, rétorque Fabien Beltran, le bourgmestre de Trooz (PS): c’est long et coûteux. Ce dossier est une tempête dans un verre d’eau. Il ne pose aucun problème si on respecte les conditions drastiques de la Région wallonne, dont la construction sur pilotis.»

«Il est imaginable de reconstruire dans la vallée, en hauteur. Mais sur certains terrains, il ne le faut pas.»

Le Foyer de Fléron assure qu’il a bien pris ses informations préalablement au lancement du marché public. «On nous fait passer pour des amateurs, mais nous avons demandé son avis au fonctionnaire délégué, assure le directeur Michel Deffet. Nous avons aussi rencontré les représentants de la commune et de la direction des cours d’eau non navigables du service public de Wallonie. Tous confirment la constructibilité du site. Ce terrain est d’ailleurs le seul dont nous disposons. Et aucune décision de la Région wallonne n’interdit de bâtir le long de la Vesdre. Nous construirons sur pilotis pour ne pas mettre les habitants en danger.»

Construire sur pilotis est une chose. Mais si de nouvelles inondations surviennent –ce qui risque d’arriver deux à trois fois d’ici à 2050, selon les prévisions des climatologues– les habitants seront bloqués en hauteur sans pouvoir s’extraire de leur habitation. «Il faut non seulement que les nouveaux bâtiments construits incluent des zones-refuges hors eau mais il faut aussi prévoir des chemins d’accès et d’évacuation, rappelle un expert. Or cette contrainte est largement ignorée. Et la question se pose d’ailleurs pour tous les habitants de Nessonvaux.»

Depuis les inondations de 2021, les experts appelés au chevet de la région sinistrée ont tous attiré l’attention sur l’impérieuse nécessité de penser désormais les projets de construction de façon transversale, au-delà des limites communales, en se demandant notamment si un nouveau bâtiment n’aggravera pas la situation: construire sur pilotis et garer des voitures au rez-de-chaussée signifie qu’en cas d’inondation, ces voitures feront barrage au passage de l’eau et feront monter le niveau. Et construire sur les plateaux augmente l’imperméabilisation des sols, rendant la vallée plus vulnérable encore.

Pourquoi pas ailleurs?

Le programme de développement durable des quartiers, établi après les inondations, épingle pourtant un autre lieu, à Trooz, où ces nouveaux logements publics pourraient être reconstruits: juste à côté de la gare, en hauteur donc. «C’est impossible dans les délais impartis, répond Michel Deffet. Je n’ai pas non plus l’argent nécessaire pour procéder aux expropriations.» En 2023, Fabien Beltran, qui est bourgmestre de Trooz et administrateur du Foyer de Fléron, avait pourtant approuvé cette proposition contenue dans le Masterplan.

A travers le dossier de Nessonvaux, c’est toute la question de la reconstruction de la vallée qui est posée. Comment reconstruire, où et comment habiter sans désertifier ces lieux ni envoyer tous les habitants s’installer sur les hauteurs ? «Il n’est pas question de vider ces localités de leurs habitants ni de tout raser, tempère Jacques Teller, urbaniste à l’ULiège. La vallée dispose d’incontestables atouts, avec toute une série de services proposés comme la liaison ferroviaire, les commerces, les écoles, les infrastructures sportives qu’il faut conserver. En revanche, il faut veiller à ne pas ajouter d’obstacles ou de difficultés supplémentaires sur le territoire, donc identifier les zones vulnérables et les supprimer. En rasant certains bâtiments, on laisse plus de place à l’eau. Il n’est pas inimaginable de reconstruire dans la vallée, plus en hauteur. Mais sur certains terrains, il ne faut absolument pas le faire. Ce n’est plus dans l’intérêt collectif à certains endroits.»

In fine, la question qui se pose est celle de la responsabilité. «Au cas où de nouvelles inondations surviennent, suppose un expert, et que des habitants logés sur la parcelle de Nessonvaux y trouvent la mort, qui assumera cette responsabilité devant les tribunaux ?»

Et le labo Vesdre?

C’était l’une des recommandations du schéma stratégique du bassin versant: la création d’un laboratoire de la Vesdre, chargé d’orchestrer la mise en œuvre du plan. Plus de quatre ans après les inondations, et malgré de fortes réticences politiques, un groupe de travail d’une quinzaine de personnes a été constitué. Piloté par le bureau de la conférence des bourgmestres de Verviers –très demandeur– en cheville avec la ministre-présidence wallonne, il intègre des représentants des cabinets Desquesnes (Territoire), Dalcq (Ruralité) et Jeholet (Economie) et des administrations régionales concernées. La SPI, l’agence de développement territorial pour la province de Liège, assure la logistique. Cette task force inondations, qui se retrouve une fois par mois, s’est vue les 5 septembre et 3 octobre. La prochaine réunion est fixée au 14 novembre. Un juriste, auparavant attaché au Commissariat spécial à la reconstruction, en constitue le point de contact unique et joue un rôle de facilitateur entre tous les intervenants pour les questions techniques ou les projets complexes. Les représentants des bourgmestres sont Philippe Boury (Theux), Maxime Degey (Verviers), Valérie Dejardin (Limbourg), Philippe Godin (Pepinster), Fabien Legros (Stavelot), Daniel Bacquelaine (Chaudfontaine), Fabien Beltran (Trooz), Willy Demeyer (Liège) et Thomas Lennertz (Eupen).

(1) Ce certificat fournit des informations générales sur le statut urbanistique des parcelles ou parties de parcelles cadastrales désignées dans la demande et indique toutes les contraintes et prescriptions réglementaires qui s’appliquent.

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